(Billet 359) – Mabrouk le déconfinement !

(Billet 359) – Mabrouk le déconfinement !

Plus de trois mois de confinement pour les Marocains, et ce n’est pas fini pour des centaines de milliers, voire des millions de personnes chez nous… Quand on aime, on ne compte pas, et le gouvernement qui nous aime tant n’a pas compté, pas plus qu’il ne compte, semble-t-il, « libérer » les Marrakchis, les Tangérois, les Kenitris et les Larachis. Une pensée pour eux, et pour les zonards 1, la joie de pouvoir sortir !

A Casablanca, on a remarqué un allègement des mesures d’urgence dès cette semaine, dès après l’annonce du déconfinement pour aujourd’hui. L’incivisme a repris ses droits, les automobilistes profitant malicieusement, et en toute inconscience, de l’épuisement visible des policiers masqués en faction aux carrefours. Klaxons tonitruants, feux grillés, limitation de vitesse écrabouillée par des chauffards bouillonnants… on retrouve notre vie « normale » faite d’irrespect, d’égoïsme et d’incivisme.

On reprend notre sport national de râler, puis de douter. On s’énerve contre les cas de contaminations qui apparaissent, de ces clusters qui surgissent et de ces chiffres qui surprennent. Et on doute encore des pouvoirs publics. Il est vrai que ces derniers, après un sans-faute initial, ont multiplié les fautes et les valses hésitations… mais pour autant, il serait bien d’être réaliste et de convenir que l’envolée des contaminations est chose normale après un confinement.

A Casablanca, à Rabat, ici et là, des foyers naîtront. Dans tous les pays qui ont déconfiné, cela s’est produit. C’est normal. Prenons Casablanca par exemple… des millions de personnes sortiront, en même temps, se retrouveront dans les mêmes lieux, toucheront ou palperont les mêmes objets. Attendons-nous donc à recevoir en pleine figure des chiffres de contaminations en hausse brutale.

Mais attendons-nous également à des mouvements d’humeur sectoriels. Les taximen ne sont pas contents, les transporteurs interurbains fulminent, les cafetiers et restaurateurs enragent, les gérants de hammams pestent…...

Ils ne peuvent pas reprendre leurs activités au rythme normal, devant se contenter de 50% de leurs capacités, mais engager 100% de leurs charges.

Non, le déconfinement n’est pas la reprise d’une vie ordinaire mais une interruption d’une longue phase extraordinaire. Retrouver des parents, des proches, des amis d’enfance, des contacts de circonstance, multiplier les rencontres familiales bruyamment et les escapades « presque familiales » (dixit M. Elotmani) à bas bruit…

Il faudra s’habituer à voir des gens masqués, ne pas les dévisager, se priver de cette marque de reconnaissance individuelle qu’est le visage, avec ses tics et ses mimiques, se priver aussi des moues et des sourires… il faudra se résoudre à ne pas enlacer, ne plus embrasser, se retenir de tousser, tenir de se distancier… il faudra s’habituer à s’inquiéter des recrudescences des contaminations, à attendre un possible reconfinement.

Nos vies ont changé, et c’est le déconfinement qui nous le montrera, en changeant nos habitudes ou en vivant avec cette épée du trio Elotmani/Laftit/Aït Taleb suspendue sur nos têtes, pouvant tomber à tout moment en nous reconfinant, par 35° à l’ombre. Il faudra bien se résoudre à changer, à vivre et supporter cet anonymat généralisé, cette rupture sociale et sociologique, anthropologique, qui marquera à vie celles et ceux qui l’ont vécue.

Et, enfin, sachons, comprenons, admettons que tout dépendra de nous. Le virus est en embuscade, guettant les négligences et les insouciances, menaçant indistinctement tout le monde, démocratisant le danger, imprimant en creux un rythme ralenti à une population qui veut accélérer le temps pour rattraper le temps perdu.

Le déconfinement est un sursis, et la récidive sanitaire produit les mêmes effets que la récidive judiciaire ; la peine initiale est appliquée. Sortons donc, rendons-nous visite, rions et travaillons, mais n’oublions pas que le déconfinement n’est absolument pas synonyme de disparition du virus.

Aziz Boucetta