(Billet 358) – Préférence nationale : oui, mais…

(Billet 358) – Préférence nationale : oui, mais…

Le Maroc s’est arrêté, presque figé, trois mois durant ; il doit maintenant redémarrer. Des pans entiers de l’économie sont pulvérisés, d’autres craignent de l’être et certains d’entre eux le seront. Les gens attendent de sortir enfin, et guettent les derniers chiffres des contaminations, l’œil rivé sur les autres pays qui reconfinent. Les secteurs touchés n’ont plus de larmes pour pleurer leur sort, après avoir perdu leur voix à appeler à l’aide. La relance, en plus de l’offre, se fera aussi et surtout par la demande, et la demande, c’est un peu de patriotisme en ces temps troubles de renfermement général sur soi dans le monde…

Il faut consommer marocain, donc… Nous ne produisons pas grand-chose certes, mais les produits qui sortent de nos manufactures doivent bénéficier de notre bienveillance. C’est cela la préférence nationale, car tout produit marocain acheté renforce le secteur qui en est à l’origine. Le Made in Morocco… Soit, mais cela nécessite des préalables.

Pour une préférence nationale, il est nécessaire de disposer d’une conscience nationale, et celle-ci est tributaire également d’un récit national. Mais nous n’en avons pas, malgré notre nombrilisation avancée et notre glorification bruyante de phases historiques qui ne remontent pas à assez longtemps pour construire une mémoire nationale. Et pourtant, le royaume, ancien et très vieux Empire, a marqué de son empreinte l’histoire de la Méditerranée occidentale et des routes maritimes atlantiques Europe-Afrique…

La préférence nationale, ce ne sont pas seulement les citoyens consommateurs, c’est aussi le fait de la puissance publique, imprégnée de son tropisme français dans pratiquement tous les domaines, le dernier en date étant l’étrange similitude de la réaction marocaine à la Covid-19 avec celle retenue en France dans bien des domaines. Et au-delà de cela, l’Etat, en signant à tour de bras des accords de libre-échange,...

a aimablement contribué à étrangler notre tissu productif national, même si certains pans résistent pourtant encore et toujours aux envahisseurs.

L’Etat, sa préférence à lui est souvent internationale ! Si on peut admettre cela pour le TGV, on comprend moins les délégations de services publics accordées à des étrangers, comme le transport urbain, la distribution d’eau et d’électricité dans les villes, la téléphonie, l’éducation… et aussi l’industrie pharmaceutique, niche de talents, riche d’innovation et de créativité, mais rudement bousculée par les libertés prises au niveau gouvernemental avec certaines règles, comme l’autorisation de mise sur le marché (la fameuse AMM), ou encore la commande publique.

La préférence nationale, c’est également une pertinence nationale au sein des entreprises. Ainsi de la compagnie aérienne nationale par exemple, d’une grande partie des établissements touristiques, de certaines banques, d’établissements d’enseignement… qui, au lieu de favoriser cette préférence nationale, affichent une forme d’arrogance regrettable, qui éloigne les clients. Cinq grandes compagnies nationales souffrent aujourd’hui, et ne pourront redécoller qu’avec une commande massive du citoyen marocain : la RAM, l’ONDA, l’ONEE, l’ONCF et Autoroutes du Maroc. Soit, mais hormis la dernière, les services procurés par les quatre premiers s’apparentent davantage à des sévices.

La préférence nationale est une expression grandiose, mais qui nécessite de la symbiose. Que l’Etat montre la voie, par sa politique, par son « nationalisme », en soutenant résolument l’industrie nationale, en plaçant fermement le Marocain, la Marocaine, au-dessus de tout… en s’inscrivant dans une attitude de fierté nationale, en renonçant au réflexe (qui rime avec complexe) du colonisé.

Les Marocains sont chauvins, ils aiment leur pays et leur monarchie et sont attachés à leur appartenance. Mais peut-on décemment leur reprocher de se préférer eux-mêmes ? Que l’Etat montre la voie, que les entreprises empruntent cette voie, et les Marocains leur emboîteront le pas. Avec fierté.

Aziz Boucetta