(Billet 342) – Wiqaytna ou la prévention à reculons

(Billet 342) – Wiqaytna ou la prévention à reculons

Ça y est, Wiqaytna est téléchargeable depuis hier 1er juin ! L’application est un élément de plus du dispositif mis en place par le ministère de la Santé, et un peu aussi celui de l’Intérieur, pour ralentir la propagation du virus, avec le lavage fréquent des mains, le port du masque et la distanciation physique. Mais son lancement a été fait discrètement, presqu’à reculons…

« Le Maroc a mis en place un dispositif parmi les plus stricts dans le monde », dit-on dans les médias étrangers. Et c’est vrai, pour le meilleur et pour le pire… en confinant presque trois mois, en distribuant vivres et argent, en ouvrant grand les vannes financières de l’Etat (pour le meilleur), en livrant plus de 30.000 des nôtres à leur (triste) sort, dehors (pour le pire). Résultat : un peu plus de 200 morts et une situation plutôt maîtrisée. Allez, bien maîtrisée, pour faire plaisir au ministre de la Santé qui en a bien besoin en ce moment.

Mais alors, pourquoi avancer masqué pour annoncer Wiqaytna ? Deux petites communications et puis c’est tout. Un avis favorable de la CNDP en avril et une téléconférence des ministères de l’Intérieur et de la Santé, en mai, passés tous deux fissa. On dirait bien que les concepteurs de cette application ont peur de quelque chose, mais quoi ?  Qu’on les accuse de vouloir violer les données persos ? Qu’on pense qu’ils ont quelque chose à cacher ? Qu’on craigne un recul des libertés et une progression des contrôles ?…

En réalité, personne ne sait de quoi il retourne… Les données seront-elles stockées quelque part avant d’être « officiellement » détruites ? Et si tel est le cas, par qui le seront-elles, dans quel objectif ? Les concepteurs de l’application ont alors fourni les codes sources sur la plateforme gidhub, un outil gratuit pour héberger du code open source, donnant ainsi la possibilité à ceux qui veulent savoir de savoir, puis de répondre à ces questions.

Dans l’intervalle, et dans une étrange discrétion, le débat juridico-technique ou technico-juridique a commencé, à intensité faible, les uns défendant mollement l’application et les autres en doutant gentiment. Mais personne ne remet résolument en question son utilité sanitaire, en assurant la circulation de l’information et en aidant le service public à identifier les éventuels...

cas contacts, les tester et éventuellement les placer en quarantaine, en quatorzaine ou en neuvaine...

Alors pourquoi les ministères de l’Intérieur et de la Santé ne veulent-ils pas communiquer autour de leur invention ? Ce refus de communication est en soi, on le sait, une communication, dans ce cas mauvaise. On dit ici et là qu’il faut que 50 à 60% de la population télécharge Wiqaytna pour que l’application devienne utile. Mais comment atteindre ce seuil critique – s’il est valable – alors même que les inventeurs restent sur l’expectative, donnant vaguement le sentiment de cacher quelque chose ? On parle de 5.000 téléchargements la journée d’hier ; on est donc loin des 50%...

Cette solution numérique est 100% marocaine, mise au point par nos ingénieurs, nos développeurs, nos jeunes et nos entreprises. C’est déjà là un motif de fierté, qu’on pourrait amplifier en ces temps de mental national en berne. Les décideurs politiques, en l’occurrence les deux ministres, n’étant pas des communicateurs aguerris, ils sont en revanche entourés de collaborateurs talentueux, expressifs, convaincus et peut-être même potentiellement convaincants. Mais aucun débat, aucune annonce sauf un pâle communiqué du ministère de la Santé, aucun effort pédagogique, laissant la seule twittoma discuter de la chose

Comme toute application, Wiqaytna présente des faiblesses, ne serait-ce que l’autonomie de la batterie mise à mal avec l’utilisation obligée du Bluetooth pour que l’application fonctionne. Elle doit avoir d’autres défauts. Ce n’est pas grave, puisqu’elle participe de l’intérêt général. Mais il faut parler, expliquer, débattre, combattre les idées reçues et apporter des arguments, comme cela a été fait précédemment pour l’ensemble des mesures prises pour lutter contre le virus. Et puis, puisqu'on a tout fait, ou presque, comme la France, pourquoi ne pas l'imiter aussi dans le débat public autour de l'application ?...

Quand quelqu’un devient ministre de l’Intérieur sous nos cieux, il se tait à jamais, et le ministre de la Santé n’a pour sa part jamais été très causant. Mais ils ne sont pas les seuls à pouvoir s’exprimer et animer des débats autour de Wiqaytna. Il serait dommage d’avoir réussi une si jolie prouesse technique, pour rien, ou presque, en laissant la rumeur faire son office...

Aziz Boucetta