(Billet 340) – Marocains bloqués, le test constitutionnel par la reddition des comptes

(Billet 340) – Marocains bloqués, le test constitutionnel par la reddition des comptes

Les jours passent, puis les semaines, et aujourd’hui les mois, et les espoirs trépassent doucement, les uns à la suite des autres, pour les au moins 31.000 de nos compatriotes bloqués à l’étranger. Rarement un gouvernement aura tenu si longtemps une position aussi intenable, et cette douloureuse et malheureuse affaire trouvera son épilogue dans les quelques jours à venir, tout au plus deux ou trois semaines…

En effet, au risque de ruiner son économie, et sa population, le Maroc devra bien rouvrir ses frontières, incessamment. Nos compatriotes pourront alors rentrer chez eux, après trois mois d’une très dure et très lourde expérience, doublée d’une inoubliable amertume, voire rancœur. Ce sera alors le moment de mettre en œuvre l’un des fondements, voire le principe fondamental et fondateur de la constitution, en l’occurrence la reddition des comptes.

Les 31.000 personnes abandonnées à l’étranger (le gouvernement n’aime pas le terme abandonner, mais n’en propose aucun autre meilleur), leurs familles proches et lointaines, leurs amis ont souffert et souffrent encore. Pour certains, celles et ceux qui ont perdu leur emploi, celles et ceux qui n’ont pas participé aux funérailles d’un être cher, celles et ceux qui se sont appauvris et paupérisés, le traumatisme sera marquant à jamais.  Tous ces gens méritent des excuses officielles, et aussi quelques explications.

On peut certes invoquer la théorie des circonstances exceptionnelles, quand la légalité normale devient tellement inadaptée qu’il faut lui substituer provisoirement une légalité d’exception. C’est l’état d’urgence, le confinement… Mais tous les Etats, ou presque, étant confrontés au même péril, ils ont dans leur écrasante majorité rapatrié leurs ressortissants. Cela était donc possible pour le gouvernement marocain, qui ne l’a pourtant pas fait, renonçant à son devoir constitutionnel premier et fondamental de protéger ses citoyens, au Maroc et à l’étranger, bien qu’il en ait eu les moyens.

Qui est responsable ?

Les membres du gouvernement ont cette étrange habitude de toujours invoquer le Roi, ses directives, ses orientations, ses initiatives. Il est certes détenteur de larges pouvoirs et attributions, mais pour autant, un ministre acceptant de siéger au gouvernement sait qu’il est seul responsable des actions entreprises par son département et accepte de l’être. Aujourd’hui, avec cette catastrophe humanitaire, plusieurs membres du gouvernement disent en off que ce n’est pas eux qui décident… Qui donc ? Qu’ils le disent explicitement ou qu’ils se taisent à jamais. Et dans le...

premier cas, ils devront expliquer, peut-être même s’expliquer sur quoi ils sont responsables, ce qu’ils font au gouvernement et surtout pourquoi ils ont observé un dramatique silence sur l’affaire, tout au long de cette funeste période ?

Ils pourraient, un jour prochain, répondre de ces questions devant une quelconque juridiction. En effet, l’article 24 de la constitution dispose qu’« est garantie pour tous, la liberté de circuler et de s'établir sur le territoire national, d'en sortir et d'y retourner, conformément à la loi ». Mais les décrets-lois sur l’instauration de l’état d’urgence, qui pourraient mentionner explicitement l’empêchement de retour de ces gens, n’en disent rien et la décision de fermer les frontières ne précise pas qu’elle s’applique aux Marocains bloqués dehors. L’article 24 préserve donc tout son sens.

L’article premier de la même constitution dispose, lui, que « le régime constitutionnel du Royaume est fondé sur (…) les principes de bonne gouvernance et de la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes ».

Qui est responsable ?

Si, au départ de cette affaire, les doigts accusateurs étaient pointés vers le seul ministre des Affaires étrangères, les choses ont par la suite évolué vers une responsabilité collective du gouvernement, avec les ministres de la Santé, de l’Intérieur et aussi, bien évidemment, le chef du gouvernement auquel la constitution confère assez de pouvoirs pour imposer ses décisions à tous, sans risque d’être limogé puisque la constitution ne permet pas son renvoi.

Alors que nous basculons de la première phase de la pandémie, celle de freiner la propagation du virus, à la seconde, celle de vivre avec, l’image que nous retiendrons de cette crise, relayée par le gouvernement et les partis politiques, est celle de la centralité du pouvoir royal et de l’efficacité des décisions prises, mais aussi les atermoiements, les tâtonnements, voire l’amateurisme d’un gouvernement tétanisé, désuni et fébrile.

Il est donc inutile et irresponsable de la part d’un ministre d’invoquer ou de cibler une autre responsabilité que celle du gouvernement, le chef de l’Etat au Maroc, à l’instar de tant de pays européens, ne pouvant être tenu responsable dans l’exercice de ses fonctions. Si action en justice il y a, un jour, comme suite de ce blocage indigne, elle sera intentée contre le gouvernement, collectivement, ou contre plusieurs ministres, individuellement, celui des Affaires étrangères en tête.

La vie et la dignité des Marocains valent bien cela !

Aziz Boucetta