(Billet 339) – Ce que le Covid et l’état d’urgence nous auront appris sur nous…

(Billet 339) – Ce que le Covid et l’état d’urgence nous auront appris sur nous…

C’est aux lendemains des grands chocs ou bouleversements que les gens, en règle générale, observent des moments de méditation et d’introspection, revisitant leurs existences et apportant des correctifs là où il y a lieu de le faire. Et bien, les sociétés fonctionnent selon la même logique, découvrant des aptitudes et de la sollicitude, des comportements et de l’engagement, et tant d’autres choses… Au Maroc aussi nous avons découvert des choses que nous ignorions…

1/ Les sans-grades. Une nouvelle catégorie sociale est apparue, transverse à toutes les autres, sociales ou professionnelles soient-elles, celle des « petites mains ». Dans le royaume nous avons découvert, à défaut d’avoir préalablement vu, ces gens admirables qui ont travaillé, se sont acquittés de leurs missions, parfois en maugréant parfois pas ; elles et ils ont toutes et tous travaillé d’arrache-pied durant ces deux mois de peur et de frayeur. Les agents de propreté, les sans-grades de la médecine (aides-soignants, préparateurs, personnels d’hygiène…), les caissier(ère)s des grandes surfaces, les agents de sécurité, les fonctionnaires de police, des communes, les enseignants…  Tous ces gens étaient considérés, dans le monde d’avant, comme exerçant des métiers sans avenir, mais aujourd’hui ou demain, nous saurons ou devrions savoir que s’ils n’ont pas d’avenir, ils assurent le confort de notre présent. Il faudra en tenir compte… à l’avenir.

2/ Les Forces armées royales. Jusque-là cantonnées dans leurs casernes et sans relation aucune avec les populations, les militaires sont apparus dans les espaces publics en 2014, pour renforcer les dispositifs antiterroristes. Mais avec cette crise, l’armée a basculé de son rôle essentiellement militaire et accessoirement sécuritaire à une action résolument solidaire. Sillonnant les artères des grandes villes pour contribuer au respect de l’état d’urgence sanitaire, on a vu les militaires agir sur le plan logistique (hôpitaux de campagne…) et médical.

3/ L’incurie des partis. Au risque de répétition, les partis politiques se sont illustrés par leur absence, soigneusement camouflée par la volonté, disent-ils, de ne pas contrarier l’effort national. C’est heureux, car leur non intervention n’a contrarié personne. Nous avons eu droit à une sorte de gouvernement bis, appelé Comité de veille qui a fonctionné à merveille, nonobstant quelques hiatus de certaines banques à la liquidité frileuse et de nombre d’entreprises aux déclarations frauduleuses.

4/ La posture religieuse. Les Marocains ont également montré un très haut degré de civisme concernant leurs pratiques religieuses. Il aura certes fallu une pandémie tueuse et une position publique implacable sur les mosquées, mais on aurait pu penser que l’adhésion des gens...

à cette décision allait être plus ardue. L’attrait pour la science temporelle a semble-t-il dépassé la transcendance spirituelle, du moins dans la pratique religieuse quotidienne, moins marquée par la prédication et davantage soulignée par l’observation des consignes de précaution.

5/ Police et autorité. Le « nouveau concept de l’autorité » remonte à une vingtaine d’années, et s’est mis en place depuis, lentement et sûrement. Depuis ce mois de mars, on a vu une police de proximité, des agents d’autorité agir avec humanité et efficacité. Des brebis galeuses sévissent toujours, mais leur effectif reste insignifiant. Pour la police, les comportements ont changé depuis quelques années, contrairement à l’autorité restée… autoritaire. Formons des vœux pour que le mode de gestion Covid demeure, à rebours de tous les clichés…

6/ La solidarité. Une chaîne de solidarité s’est formée, multidimensionnelle. La solidarité comportementale (par l’exécution des consignes de précaution), la solidarité matérielle (aides financières ou en nature), la solidarité professionnelle (médecins, psychologues, infirmiers…), et une nouvelle forme de solidarité, intellectuelle celle-ci, qui se manifeste à travers les interventions de scientifiques, économistes, sociologues… au moyen de contributions gracieuses et totalement désintéressées en faveur des décideurs. Il aura cependant manqué une solidarité « nationale » avec nos compatriotes abandonnés à l’étranger.

7/ L’informel. L’Etat a, enfin, reconnu le secteur informel, peuplé de plusieurs millions de personnes. Identifiés, recensés, soutenus matériellement, ces gens ont aujourd’hui trouvé leur place parmi leurs pairs dans la nation. Ils ne pourront plus être ignorés, et cela impactera la caisse de compensation, puisque la solution technique pour décompenser le gaz est désormais là…

8/ La créativité. Le Maroc a su mettre en avant sa "matière grise" qui, au service de ses entreprises, a su inventer, innover créer... Des mesures sociales inédites, des aides financières jusque-là proscrites, du matos mis au point par nous-mêmes, comme les masques, les respirateurs (même élémentaires mais respirateurs quand même), des applications numériques...

Conclusion : deux mois durant, les Marocains se sont sentis plus égaux, réunis en ordre compact derrière les autorités publiques qui, force est de le reconnaître, ont déployé les grands moyens et agi avec une intelligence, une constance et un mode de gouvernance qu’on ne leur connaissait pas nécessairement. Ne pas commettre d’erreurs dans les jours, semaines et mois à venir, et maintenir cette dynamique, voilà ce que devrait être le rôle de l’Etat, pour que le Maroc sorte plus fort de cette crise qu’il n’y est entré et pour que société et Etat ne vivent plus dans deux mondes parallèles.

Aziz Boucetta