(Billet 333) – Déconfinement : jamais deux sans trois… semaines

(Billet 333) – Déconfinement : jamais deux sans trois… semaines

On a coutume de dire « jamais deux sans trois », et Saâdeddine Elotmani vient de le confirmer, avec une légère variante pour mettre la chose à la sauce locale : jamais deux mois sans trois semaines. Le Maroc entier restera donc confiné 21 jours de plus et le deuxième personnage de l’Etat, médecin de son état et lancé à toute vapeur, a mis de la finesse et de la pédagogie pour faire son annonce.

Une heure et demie de discours, que le président de la Chambre des représentants a tenté tout aussi mollement que vainement de raccourcir, pour aboutir à cette annonce que tout le monde subodorait : les Marocains sont assignés à résidence pour trois semaines de plus. Cela, on le pressentait depuis que l’état d’urgence sanitaire avait été prolongé d’un mois. « Libérer » les bonnes gens les derniers jours de ramadan aurait été suicidaire, ou plutôt génocidaire car cette période est sacrée ; la joie est dans les cœurs, mais le virus aurait menacé les poumons.

Le Maroc a transformé « la politique des petits pas » en politique des petits mois, pour éviter tout faux-pas et tant pis si la décision plonge les Marocains dans l’émoi. C’est pour leur bien. La chose aurait pu être débattue, concertée, mais comme en pareilles situations les gens ont besoin de chefs, alors les chefs ont décidé et tout le monde entre dans le rang. Le Maroc aura été l’un des tout premiers à confiner sa population, et il sera très vraisemblablement l’un des derniers, voire le dernier, à déconfiner.

Tout cela est fort rassurant, sauf que… sauf que, dans un pays, il y a une société, mais aussi une économie, et pour la bonne tenue de l’ensemble, les deux doivent continuer de vivre, et s’il est bien de vivre, il est meilleur de bien vivre et pas seulement survivre. Or, les gens vivotent et les entreprises suffoquent. Mais les chefs sont là, et s’ils ne disent rien sur la suite, c’est que sans doute ils n’en savent rien eux-mêmes. Le gouvernement a sorti beaucoup d’argent, il faut le reconnaître, mais ce n’est pas suffisant : il faudra...

sortir encore plus d’argent, qu’on n’a pas, pour en faire des choses, qu’on connaît peu.

Globalement, l’Etat a vu ses ressources fondre comme l’optimisme et ses dépenses bondir comme la colère. On ne peut lui reprocher de dépenser sans compter car au final, il est responsable de ce qui arrive… On sait que l’état d’urgence sanitaire et le confinement dans les chaumières ne visent pas à triompher de la maladie mais à protéger notre système de santé. Ainsi, la durée du confinement montre certes la sollicitude des pouvoirs publics, mais également l’état de décrépitude de nos installations sanitaires.

Si l’Etat avait mis jadis les moyens nécessaires dans la santé publique, il n’aurait pas à sortir aujourd’hui de l’argent à gros bouillons. Nos dirigeants ont-ils compris cela ? On peut l’espérer. Mais nos dirigeants ont-ils également compris que pour se sortir de cette dangereuse passe, il va falloir tout changer et renoncer aux rustines administratives ? On peut en douter.

L’Etat a montré aujourd’hui une capacité insoupçonnée à agir, prenant en un temps record des décisions impensables voici seulement quelques semaines. Mais aura-t-il l’audace, demain, de poursuivre ses efforts et pousser son avantage ? Les éternels cartels seront-ils mis au pas ? Le pactole planqué dehors sera-t-il rapatrié ? La dette interne pourra-t-elle être convertie en investissements publics (réellement) productifs ? La justice gagnera-t-elle en indépendance et surtout en pertinence ? L’entrepreneuriat social sera-t-il consacré et sérieusement bancarisé ? L’Etat consentira-t-il réellement les efforts fonciers nécessaires pour créer cette chimérique classe moyenne rurale ? La rente cédera-t-elle la place à la rentabilité ?

Ce lundi, au parlement, le chef du gouvernement était en mission. Le bon docteur qu’il est a fait passer la pilule du confinement prolongé, mais toutes ces questions restent en suspens et l’avenir de ce pays en dépend. Néanmoins, passer une heure et demi à discourir sans un mot sur la relance économique et sans une pensée pour ces dizaines de milliers de Marocains coincés à l’étranger ne prête pas à un optimisme béat.

Et pourtant, Etat et population auront montré de louables prédispositions à bien faire, il reste juste à les mettre sur la même barque.

Aziz Boucetta