(Billet 298) – Quatre cafouillages et un confinement

(Billet 298) – Quatre cafouillages et un confinement

Aucun Etat, aucun gouvernement, aucune société ne sont et n’ont jamais été préparés à la situation aussi effarante qu’effrayante que vit le monde aujourd’hui. Tous sont confrontés à cette réalité kafkaïenne de limitation, voire d’interdiction de toute mobilité à une époque où tout le monde se déplace, se déplace vite et se déplace partout. Au Maroc, comme ailleurs, l’Etat, le gouvernement et la société essaient de faire au mieux, mais les cafouillages ne sont jamais très loin. On ne peut décemment pas le leur reprocher, tant est que les choses se passent (jusque-là) bien, mais une bonne communication et tout sera, peut-être, parfait.

1/ Un Etat quatre jours durant en état de non droit. Le 19 mars, une annonce du ministre de l’Intérieur intimait cet ordre hallucinant à 35 millions de Marocains. Arborant la mine grave des heures sombres, M. Laftit nous disait : « Restez chez vous ! ». Les quatre jours suivants, la maréchaussée a gentiment, puis moins aimablement, puis plus fermement, demandé aux gens de ne plus sortir, de travailler moins, de s’enfermer. Ce n’est que le 24 mars que le gouvernement a adopté des décrets-lois pour poser la norme et imposer les sanctions y liées (même s’il a inversé les numéros de ces textes, commençant par la sanction, avant la norme…). Et pour éviter un fâcheux précédent liberticide, le parlement adoptera ce décret-loi dès la reprise de ses travaux, le 10 avril. Les apparences sont sauves, le droit respecté.

2/ Violente algarade entre patrons et banquiers. La pandémie est là, le confinement a suivi, y voulant mettre le holà, mais la baisse d’activité économique et entrepreneuriale s’invite. Conscientes du danger, les autorités monétaires et les autorités tout court ont réagi, mettant en place un vaste plan de soutien aux entreprises sinistrées et à leurs employés licenciés. Il faut aller vite, et les choses ne sont pas assez rapides. Le président du CGEM est étroitement harcelé par ses membres qui, ne voyant rien venir ou presque, s’énervent. Il adresse une lettre de mauvaise humeur au GPBM qui lui répond le sourcil froncé et la bouche en O, et dans la foulée, accélère la cadence des « cadeaux ». Amen, le capital est en verve et on a évité de justesse de passionnants débats philosophiques.

3/ Alors, ces 100.000 kits de prélèvements et autant de testeurs, nous les avons achetés ou non ? Selon le ministère des Finances,...

c’est oui, et il le dit noir sur blanc sur son site : « (…) Un effort substantiel a été consenti au profit du secteur de la santé, avec l’allocation de 2 milliards de DH pour le renforcement du dispositif médical. Ce montant a servi essentiellement à l’achat d’équipement médical et hospitalier (1000 lits de réanimation, 550 respirateurs, 100.000 kits de prélèvements, 100.000 kits testeurs, équipement de radiologie et imagerie…) … ». Fort bien, c’est daté du 28 mars. Pourquoi donc M. Mohamed Lyoubi, directeur de l’épidémiologie au ministre de la Santé, appelle-t-il cela de la « spéculation », le plus officiellement du monde, à la très officielle MAP ? Autrement dit, le ministère des Finances dit avoir acheté 100.000 kits, l’ambassadeur du Maroc à Séoul pose avec le patron de l’entreprise qui les a vendues au royaume, mais le ministère de la Santé dément… A votre santé !

4/ Le wali de Marrakech, ou l’art du rebond et l’âme d’une de l’éolienne. Le wali de Marrakech, las de voir des éponges humaines siphonner de pleines bouteilles et sillonner la ville dans cet état, prend le chemin le plus court, en l’occurrence interdire la vente d’alcool… mais le chemin le plus court n’est pas forcément le meilleur, s’aperçut notre ombrageux wali. Une poignée d’heures après le premier arrêté d’interdiction, survient un second arrêté, qui arrête cette même interdiction. Puisque les Marocains ne boivent pas, on le sait, on a dû s’apercevoir qu’interdire la vente d’alcool à d’inexistants touristes ne rimait à rien. Le wali confondrait-il confinement et manque de finesse ?

Quatre cafouillages lors d’un confinement, mais rien de grave tant est que le principal soit fait. L’Etat réagit sérieusement, mais il arrive par moments que les uns et les autres dérapent ou prennent un mauvais départ pour cause de volontarisme technocratique exacerbé.

En 15 jours, le Maroc a mis en place un Comité de veille économique, un fonds qui a atteint 35 milliards de DH, et il semblerait qu’une Commission scientifique et technique travaille, mais on n’en connaît pas grand-chose.

Pour éviter de tels cafouillages, il serait peut-être sensé, pour faire sens, améliorer la gouvernance et augmenter la confiance, d’installer une équipe de communication pour gérer tout cela, une fois les décisions prises par les spécialistes et les politiques. N’oublions jamais que tout un peuple est confiné, et qu’il demande à croire et à comprendre ce qui lui arrive…

Aziz Boucetta