(Billet 295) – Le coronavirus et la banalisation de la violence

(Billet 295) – Le coronavirus et la banalisation de la violence

En moins d’un mois, la pandémie du Covid-19 aura changé le monde, piétinant ses grandes et belles envolées de solidarité, pulvérisant ses équilibres et écrabouillant ses certitudes. Populations confinées chez elles, promiscuité inhabituelle donnant lieu à des scènes de violence, patrouilles musclées ici et là pour faire respecter le confinement, pays qui s’enferrent et familles qui s’enferment… Nous voyons cela et nous nous en accommodons. Que sortira-t-il de cette épidémie ?

La situation elle-même recèle une extraordinaire violence, et dans le monde entier. Ordonner à une population de ne pas sortir de chez elle, pour beaucoup de ne plus trouver de quoi manger, est une violence. Voir un Etat « chiper » la marchandise destinée à un autre et ne rien dire est une forme de violence. Entendre un chef d’Etat « commander » à un autre Etat d’ « agir au plus vite », est une autre forme de violence. La violence est celle de l’Etat, elle est toujours aussi légitime et bénéficie d’un soutien quasi unanime…

Nous vivons une époque où tout va très vite et où nous assistons à des comportements extrêmes. L’extraordinaire chaîne de solidarité qui s’est spontanément constituée au Maroc, pays pauvre où l’Etat ne peut tout et même peut très peu, apporte la réplique à des actes d’une violence variable, et peu connus. On voit ici et là des agents d’autorité énervés souffleter des types énervants, et ce n’est pas l’apanage du Maroc, puisqu’en Espagne on gifle aussi, en France, on botte, aux Etats-Unis, on plaque au sol, on tabasse… Face à une indifférence générale, voire même à une forme de justification de ces actes. La peur, comme la faim, justifie-t-elle les moyens ? Il semblerait que oui…

En France, des statistiques ont été publiées sur les violences conjugales durant le confinement. Elles sont terribles : une recrudescence de 34% de ces violences, en une semaine. En Chine, le bilan psychologique de l’épidémie montre que...

les cas de maladies mentales sont en hausse, et une augmentation massive de la violence domestique envers les femmes et les enfants a pu être constatée…

On ose donc à peine imaginer ce qui se passe dans ces immeubles bondés et ces appartements calfeutrés à Casablanca et ailleurs, où « Rajel » confiné, déprimé, privé de son café avec ses semblables et/ou de ses matchs avec ses copains et/ou de prières avec ses « frères », s’en prend à ses enfants et à son épouse… Il n’y a pas de statistiques et il n’y en aura pas, car les gens violentés ne peuvent même pas s’en plaindre, empêchés de sortir pour le faire ou même d’appeler au secours, le conjoint étant à proximité. Pour ces femmes, ces marmailles, il ne peut y avoir d’aide, puisque tout le monde est enfermé chez soi, entre soi. Et ramadan est à nos portes, claquemurées, avec les claques qui menacent…

Le confinement bouleverse la dynamique des ménages et peut engendrer des tensions. Dans des foyers déjà potentiellement toxiques où les conjoints se font face, violence en bandoulière et la lippe mauvaise, la fatigue quotidienne et la fatigue psychologique augmentent l’anxiété, puis l’angoisse, et dégénèrent souvent en actes de violence ; ces actes sont également favorisés par cette promiscuité forcée, avec des enfants impatients et intenables dans des espaces réduits et avec des parents non habitués à gérer cela. Les fake news et vidéos anxiogènes ne sont pas de nature à calmer les ardeurs, pas plus que la panique face au risque de dénuement économique.

A l’issue de cette crise mondiale, rien ne sera plus comme avant, au Maroc comme ailleurs. Deux mois et tout aura changé. Il faudra guetter les effets sur les enfants, une fois de retour dans leurs écoles, car les séquelles seront très difficiles à dépasser. Dans l’intervalle, confinons-nous et tentons de raison et de calme garder !

Aziz Boucetta