(Billet 271) – Les jeunes, c’est bien… les jeunes « vieux » aussi

(Billet 271) – Les jeunes, c’est bien… les jeunes « vieux » aussi

 

Dans un vieux pays comme le Maroc, on n’a d’yeux que pour les jeunes. Les jeunes par ci, les jeunes par là, les jeunes partout, et au final la jeunesse nulle part, qui chôme ou qui part... Mais on oublie les moins jeunes, ceux qui ont travaillé des décennies durant, ont accumulé de l’expérience, peuvent la partager… mais sont laissés en jachère.

Est-on « vieux » à 60 ans, ou même 65 ans ? On dit qu’on a l’âge de ses artères et de ses neurones… et dans ce cas, un(e) sexagénaire est rarement vieux dans le sens commun du terme, mais il est en revanche toujours un « jeune vieux » que le même sens commun admet plus et intègre mieux. Alors pour l’emploi de ces personnes, on parle désormais de transition et de « post-carrière », où l’individu concerné met à profit et fait profiter son employeur de ses connaissances et de ses compétences.

On a coutume de penser que les « vieux » employés « privent » les jeunes d’emplois et qu’à 60/65 ans, il est temps de prendre une retraite méritée et un repos tout aussi mérité. Mais il existe des métiers, des domaines où il est regrettable, voire même coupable, de se priver des services des gens expérimentés, et au Maroc plus qu’ailleurs, comme la diplomatie, la prospective économique, la migration…

Ainsi dans la fonction publique par exemple… Prenons le cas du ministère des Affaires étrangères… Un cadre entre, apprend, traverse la vie dans plusieurs services et moult directions, devient directeur ou ambassadeur, parcourt le monde et court par monts et par vaux. Un jour, il a 60 ans et on lui envoie une lettre sèche lui signifiant « au revoir et merci »… Nous avons donc là un jeune « vieux », pimpant et fringant, doté d’une grande expérience, armé de très utiles connaissances, mais abandonné en toute insouciance. Erreur… faute.

Au Maroc, ces seniors commencent à être employés, avec rémunération ou non, dans certains think tank comme l’IRES (Institut royal pour les études stratégiques)...

et aussi, peut-être surtout, le Policy Center for the New South. Ils sont anciens officiers supérieurs, anciens diplomates, anciens (très) hauts cadres de l’administration territoriale, anciens sécuritaires… et ils produisent, réfléchissent, cogitent, étudient, écrivent, proposent… Il ne s’agit pas là de remplacer ou de « priver les jeunes d’emploi » car ils font ce que les jeunes ne sauraient faire… La compétence c’est bien, l’expérience aussi, et les séniors ont les deux, en politique et en économie, en sport ou en diplomatie, dans la finance et aussi la sécurité…

Voici ce qu’en disait le philosophe français Jean-Baptiste-René Robinet (18ème) : « L’expérience est une suite de l’âge. L’homme de génie verra mieux à 40 ans [qu’à 25], se perfectionnera encore jusqu’à 60 : il ne verra plus à travers le voile de la passion ». Et il ne sera surtout pas submergé par les urgences du quotidien, les contingences de la fonction, et l’impatience de l’ambition. Un ministre, ça vient et ça part, un Sage se maintient et se bonifie chaque jour, chaque mois, chaque année, car si « la valeur n’attend point le nombre des années », elle grandit avec elles.

Aux Etats-Unis, les grandes entreprises sont à la recherche incessante des seniors, anciens de l’administration. En France, l’Elysée reçoit chaque jour les fameux « visiteurs du soir », très souvent des retraités de la fonction publique, des anciens de la diplomatie ou de l’entreprise… Très souvent aussi, des Conseils sont nommés, des cellules de réflexion et de prospective sont mise en place, menés et peuplés d’ « Anciens » de 60, 70 ou même 80 ans qui orientent et conseillent.

Au Maroc, on le sait, un ministre ou un haut responsable, ça sait tout. Mais avec un peu d’humilité et surtout de quête d’efficacité, ce ministre ou ce haut responsable serait avisé de faire appel, d’avoir recours aux expériences des Anciens, qui voient, agissent et réfléchissent « sans les voiles de la passion »… La vieillesse n’est pas toujours un naufrage, elle est souvent un avantage.

Aziz Boucetta