(Billet 237) – La Commission pour le futur écoute les gens du passé

Batailler, c’est trop dur, et snober, c’est pas beau… écouter est un bon compromis. Mais savoir qui écouter et dans quel ordre, c’est encore mieux. La Commission Spéciale sur le Modèle de Développement – c’est son appellation officielle, majuscules à l’appui – s’est attelée au travail, démarrant ses séances d’écoute dans ce qui évoque une Grande Psychanalyse Nationale. Après avoir commencé dans la joie et la bonne humeur avec les redoutables jeunes de l’école 1337 de Benguérir, M. Benmoussa et ses pairs ont écouté, sans rire, certains chefs de partis, de parti-cules et d’un syndicat.

Pourquoi sans rire ? Parce qu’il faut disposer d’une sérieuse dose de self-control pour ne pas se tordre de rire, ou au moins pouffer, peut-être même déprimer, en écoutant nos poussifs chefs de partis mettre l’autocratie en cause et le développement en prose. En réalité, ou ils se taisent à jamais ou ils soliloquent ad nauseam à en perdre l’âme. Or, dans la vraie vie, et médecine exceptée, il est rare de voir la cause d’un problème contribuer à sa résolution, et les partis politiques étant le problème, ils ne peuvent représenter, ou même présenter, une solution.

Allons donc… Si les partis politiques s’y connaissaient en développement et faisaient des miracles, le Maroc n’aurait tout simplement pas eu besoin de la fameuse Commission et de son oracle. C’est simple et basique. Las… les retors de la rhétorique rétorqueront la lippe tremblante qu’ « on ne les laisse pas travailler, car le véritable pouvoir est ailleurs ! ». C’est exact, tout à fait exact, comme cela l’est pour le véritable pouvoir ailleurs, à l’Elysée en France, à la Maison Blanche aux USA, au Kremlin en Russie… sauf que dans ces pays, les ministres prennent leurs instructions en haut et les mettent en musique en bas, ou ils s’en vont. Nos ministres risquent-ils le bagne et les fers s’ils ne se laissent pas faire et que, dans un acte héroïque, ils claquent la porte ? Non. Donc en...

ne faisant rien et en restant, ils ont perdu le peu de crédibilité qui leur restait.

Sous nos latitudes, on attend les ordres. S’ils viennent, tant mieux, et s’ils ne viennent pas, alors on continue d’attendre, agitant de vagues mots pour remédier aux véritables maux. Et de fait, on n’a encore jamais ouï un ministre dire non et se faire ainsi un nom, du moins dans les 20 dernières années.

La Commission Benmoussa, donc… Elle a entendu M. Elomrani du PJD et ses frères, qui ont insisté sur la tradition nationale et les valeurs ancestrales, puis M. Baraka de l’Istiqlal, flanqué du toujours studieux Karim Ghellab, qui ont développé des idées aussi intelligentes qu’inintelligibles sur les rentes, par ailleurs très présentes dans le parti… Ensuite, arrive M. Lachgar, vaillant patron de la moribonde USFP, qui a disserté sur l’égalité des chances, sa fille à ses côtés… Et encore M. Moukhariq de l’UMT, dont seul Dieu connaît le maigre effectif, qui a causé épicerie, et enfin le fantomatique MDS, parti aussi héréditaire qu’inconnu. Presque tous rentiers, ils ont tous pourfendu l’économie de rente ; très peu démocrates pour la plupart, ils ont tous défendu la démocratie.

Sur les images, on voit des amis de longue date rire de bon cœur… MM. Jettou, Baraka, Benmoussa et Ghellab ont joué les chaises musicales dans deux gouvernements et MM. Benmoussa, Baraka et Chami (ministres dans le même gouvernement), se sont passés le relais au CESE. Tout ce monde a gagné du temps pour les présentations, mais en termes de représentation, on fait mieux. Puisqu’il faut de l’écoute coûte que coûte, n’eût-il pas été préférable de changer le casting de ces auditions, côté Commission ?

Ce n’est très certainement pas avec des gens du passé qu’on pourra appréhender l’avenir, mais avec des jeunes qui ont l’avenir devant eux, comme les excellentes pousses de 1337, entre autres ! Mais peut-être que M. Benmoussa a voulu expédier les partis avant d'entamer la phase sérieuse de sa mission...

Aziz Boucetta