(Billet 216) – Il faut s’inscrire sur les listes expectorales !

(Billet 216) – Il faut s’inscrire sur les listes expectorales !

Les élections générales approchent à grande vitesse au Maroc… 2021 est en effet une année électorale où les Marocain(e)s devront renouveler leur classe politique, une classe politique à laquelle, selon un récent sondage, 75% des gens n’accordent que très peu de crédit. Que faire en pareil cas ? On la change, et le meilleur, et unique, moyen est d’aller voter. Et c’est là que le bât blesse…

Dans ses projections démographiques, le HCP estime la population en âge de voter à 24,4 millions d’âmes, dont seules 15,4 millions sont inscrites sur les listes électorales. Ce sont donc les deux tiers des populations en âge et en droit de voter qui peuvent effectuer ce geste symbolique de glisser un bulletin dans une urne, ce qui signifie que le tiers est exclu, pour diverses raisons : désintérêt, désillusion, ignorance des droits…

Pourquoi l’Etat ne décide-t-il pas, enfin, d’ouvrir le vote à tout citoyen de plus de 18 ans, non privé de ses droits civiques ? Mais la théorie politique, et surtout démocratique, a ses raisons que les raisons politiques, et passablement démocratiques, de l’Etat ignorent… Passons.

Sur les 15,4 millions de personnes inscrites, et si l’on en croit les taux de participation officiels (45 % environ aux derniers scrutins), 8,5 millions s’abstiennent. Ces gens, pourtant, pensent et dépensent, votent et souvent vivotent. Leur voix est donc leur arme pour peser sur les élections. Mais c’est de leur droit de ne vouloir rien dire, tout en fulminant… et en subissant.

Par ailleurs, si l’on croise les données de l’Intérieur et du HCP, seuls 4% des jeunes de 18 à 24 ans sont inscrits sur les listes électorales, et ils sont 2,5 millions de jeunes de cette tranche d’âge à vivre en milieu urbain. Cela signifie que seuls 100.000 jeunes Marocain(e)s sont inscrits et votent, ou peuvent voter. Cela laisse une véritable armée électorale de réserve de 2,4 millions de jeunes.

Si on applique le même raisonnement pour les personnes actives urbaines, de 25 à 59...

ans, dont l’effectif est de 11 millions et dont 73% sont inscrits sur ces fameuses listes, cela laisse près de 3 millions de citoyen(e)s en marge de l’opération électorale, une autre armée de réserve pour les élections.

Or, les jeunes et les actifs urbains sont par essence et par nature les plus au fait de leurs droits et les plus critiques également des politiques publiques. Si ces 5,4 millions de personnes, étudiants et actifs, décidaient de s’inscrire sur les listes et d’user de leur « droit de colère », la réalité politique marocaine en serait transformée et la pratique politique avantageusement réformée.

En effet, et selon un sondage l’Economiste-Sunergia publié en octobre 2018, 59% des 18-24 ans souhaitent quitter le pays où ils se sentent délaissés, déclassés, oppressés, de même que 40% des 25-34 ans et 42% des 35-44 ans. Mais pour l’instant, ils sont là et peuvent agir sur le cours de la politique et réagir aux discours des politiques de plus en plus pétris de leurs certitudes, qui disent être fermes, mais qui la ferment surtout.

La tendance au mécontentement est certes générale et universelle, ainsi qu’on le voit dans deux indicateurs : le très large mouvement de contestation sociale enregistré en 2019 dans le monde, et l’émergence de nouvelles forces politiques qui submergent les anciennes un peu partout. Aujourd’hui, le mécontentement est là aussi, au Maroc, ainsi qu’en témoignent les millions de personnes qui ragent et enragent sur le web, qui visionnent les vidéos de contestation… et qui les « likent », et qui gagneraient à faire des listes électorales des listes expectorales.

La population a aujourd’hui deux moyens de manifester son ire… Soit l’abstention, soit la participation massive aux élections. Il semblerait que l’Etat, dont le chef fait montre également de son mécontentement, peut agir dans le sens d’une adhésion importante des électeurs, seul moyen véritable et véritablement citoyen de changer les choses, en répondant à cette question existentielle : notre classe politique est-elle plus futile qu’inutile, ou inversement ?

Aziz Boucetta