(Billet 184) – Libération de Hajar & Co, l’aberration des lois et du reste

(Billet 184) – Libération de Hajar & Co, l’aberration des lois et du reste

Le roi, donc, a accordé sa grâce à Hajar Raïssouni, à son fiancé (photo), son gynécologue ainsi que deux personnels paramédicaux. C’est heureux, car on est toujours heureux de la fin du calvaire d’un être humain. 46 jours de privation avérée de liberté, pour une dépravation qu’il reste à prouver, et ce n’est parce que la loi le dit que c’est le cas.

Mme Raïssouni et ses codétenus sont donc sortis de prison, lavés de toute condamnation, et le Maroc doit aujourd'hui entrer dans la Raison. Plusieurs remarques se posent, et des mises au point s’imposent.

1/ La grâce. Habituellement, le roi fait savoir ses décisions de grâce par communiqué royal, sans commentaires ni explications. Cette fois, c’est un communiqué du ministère de la Justice qui annonce la décision, avec des précisions. On y apprend en substance que puisque les deux jeunes gens voulaient convoler en justes noces, on passe l’éponge sur leur « erreur ». Et c’est là le cœur du problème. N’a-t-on donc le droit de s’aimer charnellement que si on veut se marier ? Oui, mais il est important que cela change… Et dans ce cas, pourquoi la grâce des autres, (gynéco, anesthésiste et assistante), poursuivis pour pratique et complicité d’avortement ?

La réponse est simple. Le roi a accordé sa grâce en réponse à la mobilisation, largement pacifique, même si énervée par moments, par endroits et pour certaines personnes, mais il a répondu, à sa manière, laissant la porte ouverte à la mobilisation législative, et indiquant en creux aux juges qu’une jurisprudence, même prudente, aurait été la bienvenue au lieu de l’application pas très pertinente de la loi.

2/ La mobilisation. Elle fut grande et grandiose, ici et ailleurs, mais désordonnée, brouillonne et gouailleuse. Chacun y est allé de son combat personnel… qui pour tout libéraliser, inconséquemment, et qui pour régler des comptes avec le makhzen. La modération, pourtant la posture la plus efficace, était assez inaudible tout au long de ces 46 jours. On s’est passionné, on a pétitionné, on a postillonné, on a fait montre de beaucoup d’émotion, mais peu ont pensé à la motion législative populaire. C’est pourtant la seule possibilité de faire évoluer la loi, en l’absence d’une classe politique efficace et perspicace face aux mutations sociétales.

3/ La justice. Cette affaire pose la question de la nature du pouvoir judiciaire, de sa fonction et de ses capacités d’intervention. Le procureur a fait arrêter et juger Hajar Raïssouni, et 14.503 personnes pour débauche en 2018. Pour 35 millions d’âmes, 14.503 relations intimes, c’est peu… Ce sont donc 14.503 victimes d’une loi inepte et punitive et d’une justice inapte et sélective, expéditive. Nos députés devraient se pencher sérieusement sur cette excroissance du Moyen-âge en 2019, dans un Maroc qui se prétend ouvert sur la modernité.

Il est également important de revenir sur les examens imposés à Mme Raïssouni, et s’assurer de leur régularité. Dans le cas où cela ne serait pas le cas, cet examen serait un « mauvais traitement, inhumain et dégradant », puni par la...

loi d’ici et d’ailleurs. Et quelqu’un devrait rendre des comptes.

4/ Les convictions et les positions. La majorité de la population est conservatrice, et est donc favorable au maintien de cet article 490, mais l’histoire de l’humanité montre que ce sont des minorités agissantes qui imposent leurs vues aux majorités silencieuses. Or, ces minorités, dans l’affaire Hajar Raïssouni, viennent des deux camps conservateur et « progressiste », dont les points de vue convergent pourtant de plus en plus. Les pétitionnaires deviennent motionnaires et légalistes, et les conservateurs et religieux littéralistes se montrent plus tolérants et réalistes. La loi pénale en son article 490 d’abord, doit changer, et cela est désormais possible.

5/ L’article 490 du Code pénal. Montesquieu avait raison en disant que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires »… Il faut donc abroger le très inutile article 490. Il est vrai que « dura lex, sed lex », mais pas pour le sexe. On ne freine pas l’amour, on ne bride pas la nature et on ne peut lutter contre l’attirance entre les sexes, bien antérieure aux religions. En conséquence, on ne peut, on ne doit plus accepter qu'une loi soit violée quotidiennement. Si la loi est inapplicable, c'est qu'elle est mauvaise et qu'il faut la changer. Et si nos législateurs ne le comprennent pas, il faudra les changer aussi !

Par ailleurs, réclamer l’abolition de l’interdiction de l’homosexualité, de l’adultère et de l’avortement dans la foulée du 490 est une erreur stratégique et tactique. Abrogeons le 490, l’homosexualité et l’adultère suivront ! Pour l’avortement, c‘est plus délicat.

6/ La pratique du deux poids deux mesures. On retiendra les postures de la presse étrangère, essentiellement française… Elle sort souvent de son rôle d’analyse, alimentée par certains compatriotes remontés contre le système politique du royaume. Il est du plein droit de ces derniers d’avoir leurs opinions, et il est légitime aussi que les médias, français ou autres, publient ces opinions. Mais on ne peut s’empêcher de noter que le traitement de l’affaire catalane en Espagne, de Carlos Ghosn au Japon, de la féroce répression des Gilets jaunes en France (24 éborgnés, 6 amputés de la main, 2 morts), ne font pas l’objet du même traitement de l’affaire Hajar, insoutenablement condescendant.

 

Aujourd’hui, l’erreur est réparée, mais le climat social restera abîmé et le malaise profond. La condamnation de Hajar & Co n’est pas une erreur judiciaire, mais une erreur de jugement et une paresse du juge. Le chef de l’Etat, encore une fois, rectifie le tir, en dépit des inutiles précisions apportées par le ministère qui a publié le communiqué de la grâce. Il appartient aux forces vives de la société, même minoritaires, de poursuivre la lutte pour faire aboutir, légalement et institutionnellement, l’abrogation de l’article 490, dans le cadre de ce qui pourrait être appelé « amendement Hajar ». On lui doit bien ça… Dans l’attente, il faut croire dans le pays, ses lois et ses institutions qui, aussi largement perfectibles soient-elles, donnent la possibilité de les améliorer et de les contrôler…

Aziz Boucetta