1999-2019 : Plongée rétrospective du RNI avec des intellectuels (1ère partie)

1999-2019 : Plongée rétrospective du RNI avec des intellectuels (1ère partie)

Dans quelques jours, le roi Mohammed VI bouclera ses 20 ans de règne, et voici quelques semaines, un communiqué d’un palais royal avait recommandé de ne pas engager des dépenses ou frais pour cet anniversaire. Cela n’empêche en rien de revenir sur ces vingt dernières années, où beaucoup de choses ont été réalisées, tant sur les plans social que politique, économique que logistique. C’est l’exercice auquel s’est livré le RNI ce 17 août dans un palace de la capitale, devant quelques centaines d’intellectuels et de cadres du parti et d’ailleurs.

Si le Bureau politique du RNI était là, au complet ou presque, avec à sa tête Aziz Akhannouch et les ministres actuels ou passés, le parti semble avoir veillé à ne pas faire de la récupération. Il s’est contenté de laisser faire et dire les choses, dans ce qui ressemble à un retraçage de l’histoire récente de ce pays, tout en restant en marge. Et force est de constater que les intervenants, du moins dans le premier panel, celui des institutions, ne peut en aucun cas être soupçonné de complaisance envers le système politique marocain.

Le colloque est divisé en deux parties, l’institutionnelle et l’économique. Les panels étaient riches et animés par des personnalités extérieures au RNI, chacune d’entre elles occupant ou ayant occupé une fonction de premier plan dans les domaines examinés. Dans ce premier volet, nous reviendrons sur les analyses effectuées en matière institutionnelle.

Ainsi, prenant la parole en tout début, Mohamed Aujjar, seul RNIste sur scène, est revenu sur les grandes dates de ce règne, en commençant par l’acte d’allégeance signé par tout ce que le Maroc compte de personnalités, ce fameux 23 juillet 1999, jour du décès de feu Hassan II. L’acte est fondateur, la succession est actée, et le nouveau règne commence. M. Aujjar a passé ensuite en revue les grandes décisions, et il y en a eu… De l’éviction de Driss Basri à la Moudawana, de l’INDH au 9 mars 2011, le ministre de la Justice, prenant son temps mais pris par le temps, a exposé et rappelé les étapes de ce règne. En un mot comme en cent, le credo du roi est le suivant : Il faut réconcilier le passé avec le présent, pour s’élancer vers l’avenir

 

Le militant en droits humains et membre du CNDH Abbas Bouderka est revenu sur cette période charnière du début du règne, quand il siégeait à l’Instance Equité et Réconciliation, en 2004, et qu’il fallait réconcilier le Maroc présent avec le passé qui avait été secoué par diverses et nombreuses atteintes aux droits de l’Homme. M. Bouderka explique comment des fosses communes avaient été découvertes, puis comment les différents cas avaient été réglés. Il détaille la manière dont les sinistres lieux de torture étaient devenus des lieux de mémoire, comme Derb Moulay Cherif ou encore le bagne de Tazmamart. Les grandes avancées dans l’apurement des dossiers des droits de l’Homme n’avaient pu être rendues possibles que grâce aux interventions du roi, qui avait eu son fameux mot « Foncez ! », en réponse à des demandes qui lui étaient formulées par les gens de l’IER en butte aux inévitables résistances administratives, voire militaires, pour découvrir les charniers après les émeutes de 1981. Le roi est également intervenu à d’autres reprises pour faire avancer les choses et donner un sens au mot « réconciliation ».

A une question sur les garanties pour l’avenir, que tout cela ne se reproduira plus jamais, Abbas Bouderka a répondu ceci : « Jadis, votre enfant disparaissait et vous ne saviez pas ce qu’il lui était arrivé. Aujourd’hui, une personne interpellée puis placée en détention est traçable, la police faisant le travail dans le plus pur respect du droit. Et s’il y a des abus, et il y en a, on en trouve dans tous les pays du monde, et comme dans tous les pays du monde, le Maroc dispose d’une justice et d’une police qui remédient aux choses ». Dites par un homme de cette trempe, militant de toujours, ces choses recèlent cette part de crédibilité et d’assurance nécessaires...

pour ce type de problèmes.

Prenant la parole à son tour, Nadia Bernoussi revient sur les avancées institutionnelles, et essentiellement constitutionnelle. Evoquant l’élaboration de la Loi fondamentale de 2011, elle revient sur ces moments qui ont marqué l’histoire du pays. La constitutionnaliste et ancienne membre de la Commission de révision de la constitution explique à un public agité depuis quelques mois par le débat sur une révision constitutionnelle qu’un tel texte est analysable selon deux ordres de grandeur : un temps long et un temps court. Si ce dernier sert à analyser, expliquer les actes et décisions pris par les politiques, le temps long est seul à même de jauger de l’efficacité d’une constitution. Il existe alors trois pistes d’analyse de la constitution : celle qui dit que la constitution n’est pas appliquée, celle qui soutient que le texte n’est pas applicable dans certains articles, et celle qui affirme que la constitution présente un lourd déficit démocratique.

Mme Bernoussi explique alors un décalage entre l’esprit du texte de 2011 et sa mise en œuvre, son application concrète, comme pour la parité par exemple. Tout dépend alors de la dimension humaine pour l’exécution à la lettre de l’esprit de la constitution. Et de donner comme exemple la loi cadre sur l’enseignement, qui a mis des années à être adoptée, et elle ne l’est pas encore, d’où un risque de mauvaise gouvernance en matière éducative.

Et c’est au tour d’Ali Bouabid, politologue et fils de son père Abderrahim… Il revient d’emblée sur la question d’une éventuelle révision constitutionnelle ; s’il pense que certains aspects techniques pourraient être amendés, il estime que le Maroc ne dispose pas d’une classe politique qui fasse vivre une constitution comme celle de 1996, alors a fortiori celle de 2011. Le problème n’est donc pas dans le texte mais dans la façon qu’ont les acteurs de travailler sur ce texte, par ailleurs très en avance.

Cela étant, en 20 ans de règne de Mohammed VI, les acquis sont incontestables, bien que des problèmes sont également incontestables… mais un bilan sert d’abord et avant tout à se projeter dans l’avenir. Un mot d’ordre général : la cohésion nationale, qui existe, a toujours existé, mais est aujourd’hui ébranlée, et a besoin de se régénérer, et Mohammed VI l’a indirectement suggéré. « Quand le roi demande un nouveau modèle de développement, c’est que l’actuel ne fait plus société et que donc il est inapte à répondre aux attentes des gens », assène Ali Bouabid, qui explique que la voie du futur passe par cela.

Plus politiquement, M. Bouabid ajoute que « la cohésion nationale est aujourd’hui redevable davantage de l’exercice par Sa Majesté des fonctions symboliques et non pas imputables aux avancées en matière de développement humain, ce qu’elle devrait être. La cohésion tient à la monarchie et au chef de l’Etat. Or qui dit cohésion nationale dit inégalités et disparités entre régions, et là, on est dans une logique de compensation des handicaps, mais le modèle de croissance est créateur d’inégalités. Il faut donc une doctrine et on ne peut gérer cette situation par la compensation », assène l’orateur.

Ali Bouabid dénonce aujourd’hui une crise de l’autorité, du douar et la famille jusqu’à l’autorité politique, et cette crise est consubstantielle à un processus de transition. Cette crise de l’autorité vient de l’individualisation que connaît la société marocaine et qui ne saurait trouver sa voie que dans la démocratie, ou un autoritarisme accru.

 

Un colloque de grande facture donc, auquel le RNI ne nous a pas habitués. Mais il semblerait que tout s’apprenne, avec le temps et la pratique… Les intervenants ont passé en revue, sous des angles différents, le bilan politique de 20 ans de règne, un bilan qui correspond au ressenti général, ici et ailleurs, sur le roi Mohammed VI : un homme profondément démocrate, mais qui doit être aidé par les acteurs politiques… un chef d’Etat qui a une fibre sociale incontestable, mais un homme qui cherche encore les relais dans la société et la classe politique. Le RNI saura-t-il être ce relais ? Il s’y emploie.

Aziz Boucetta