(Billet 76) – Le Sultan et le Cadi

(Billet 76) – Le Sultan et le Cadi

A un homme qui s’inquiétait du sort de la Grande Bretagne au début de la guerre 39-45, Winston Churchill s’enquit de la situation du royaume sous le feu de la Luftwaffe. Réponse : « Rien ne va, tous les secteurs sont à l’arrêt, sauf la justice ». Réaction souriante du tout nouveau Premier ministre : « Alors tout va bien, au contraire ; quand la justice va, tout va ».

70 ans plus tard et 3.000 km au sud-est, nous voici dans un autre royaume, bien plus ancien mais bien moins avancé, le Maroc. Depuis des années, voire des décennies, le problème de notre pays est la justice, décriée et critiquée pour sa longue quête d’une indépendance improbable et d’une conscience difficile… étrange, car les deux institutions qui, historiquement, sont les mieux connues au Maroc sont le Sultan et le Cadi. Pourquoi donc la première s’est-elle renforcée au fil du temps, et que la seconde a perdu son lustre d’antan ? Plusieurs raisons à cela sur lesquelles il ne serait que peu utile de s’étendre car difficile de s’entendre… Avec l’entregent, via l’agent et par l’argent, nombre de juges étaient (sont ?) tonnants et trébuchants, jetant l’opprobre sur une profession qui, dans son ensemble, a peiné et peine encore à convaincre de sa nécessaire et intégrale probité.

Et ça continue, car on ne change pas facilement un système qui prospère… mais le travail de moralisation se durcit, en dépit des habituelles résistances de...

l’intérieur et des coutumières perplexités de l’extérieur. Aujourd’hui, le parquet est indépendant et Mohamed Abdennabaoui, qu’on taxe de béni-oui-oui mais qui sait dire non, est à la manœuvre, même si rien n’est jamais facile. Lui, il veille, pendant que les lanceurs d’alerte surveillent… La tâche est double, l’ordre public et la moralisation du politique.

Il appartient à donc M. Abdennabaoui d’activer « ses » procureurs pour suivre et poursuivre les corrompus et aussi, et surtout, pour faire exécuter les jugements dans ce royaume heureux où être condamné ne signifie pas nécessairement purger sa peine. Plusieurs parlementaires peuvent en témoigner, fou rire au ventre, dont un membre de la commission de la… justice ! Ennuyeux.

Dans notre monde actuel, les peuples ont acquis cette singulière mauvaise habitude de ne plus seulement lever les bras au ciel mais aussi de se soulever en bloc, en vrac. Observons notre région en ébullition… les raisons diffèrent mais les mouvements sont similaires. Envie de démocratie ici, besoin d’équité là, ras-le-bol de dictature ailleurs… Et un point commun : Une justice efficiente, frappée au coin du bon sens et qui frappe sans distinction, aveugle mais pas aveuglément, qui veille sur la morale publique, qui surveille les abus, qui étrille quand il le faut et qui rend des comptes au besoin. C’est le meilleur rempart contre tous les basculements, comme le disait Sir Winston Churchill... un roi fort avec la magistrature en renfort.

Aziz Boucetta