Table ronde de Genève sur le Sahara : un dialogue de sourds ?

Table ronde de Genève sur le Sahara : un dialogue de sourds ?

Le second round de la table ronde sur le Sahara, organisée par l’ONU et sous la direction de Horst Kohler, Envoyé personnel d’Antonio Guterres, s’est tenu près de Genève, à Vaud, en présence des quatre parties que sont le Maroc et l’Algérie, le Polisario et la Mauritanie. Si le premier round s’est plutôt bien déroulé et achevé, avec des espoirs de règlement définitif de ce conflit régional, il n’en a semble-t-il pas été de même pour cette deuxième rencontre.

Les délégations. Le Maroc aligne la même délégation, composée du ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, du représentant du Maroc à l’ONU Omar Hilale et de trois élus sahraouis. La Mauritanie, qui y va bien malgré elle, se sentant très peu concernée par la question du Sahara, est représentée par son ministre des Affaires étrangères. Le Polisario, lui, très inquiet de la situation en Algérie, son mentor et bienfaiteur, a expédié celui qu’elle présente comme son négociateur en chef, et qui répond au nom de Khatri Eddouh (au centre, délégation du Polisario). Quant aux Algériens, ils sont représentés par le ministre des Affaires étrangères nouvellement nommé Ramtane Lamamra, accessoirement aussi vice-premier ministre.

L’ambiance générale de la rencontre. Comme pour la première table ronde, l’ambiance a été décrite comme « courtoise », « ouverte » et empreinte de « respect mutuel ». C’est bien le moins… nous sommes entre diplomates tout de même, et M. Kohler veille et surveille. Il est donc tout à fait normal que la courtoisie fût de mise, mais cela ne veut strictement rien dire… En effet, à l’issue de la réunion, chacun est en fait resté sur ses positions, l’Algérien poussant vers le référendum, devant un Marocain intraitable. Retour à la case départ ?

Le contexte global. Comme chacun sait, l’Algérie est en pleine perturbation sociale et politique, le système étant très généralement rejeté par la quasi-totalité de la population. Cela déteint sur le Polisario qui doute et redoute un lâchage prochain de ses protecteurs/créateurs algériens. La Mauritanie, quant à elle, est également confrontée à une situation politique interne tourmentée. Quant au Maroc, il connaît une situation interne en suspens politique et donc économique, mais cela n’influe en rien sur la gestion de cette question prioritaire.

Par ailleurs, Américains et Chinois paraissent pousser vers une solution définitive, la diplomatie de Donald Trump voulant très clairement bousculer les statu quo ici et là dans le monde. Pour sa part, la France, elle-même dans le doute, se décide enfin à se poser des questions sur son flanc sud qu’elle commence à peine à entrevoir comme seule solution durable à sa sortie de crise économique, l’Europe battant de l’aile malgré tout ce qu’on dit et l’Asie l’ayant depuis longtemps dépassée en matière technologique, commerciale et donc économique.

Genève II s’est donc tenu dans ce contexte de changements des paradigmes internationaux, avec un secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres dont les objectifs sont désormais le climat, la sécurité, les migrations et le développement du Sud, autant de thèmes où le Maroc est pionnier, précurseur, en un mot bien placé.

Cela étant, en Afrique, Prétoria organise chez elle les 25 et 26 mars une conférence de la SADC (communauté de développement de l'Afrique australe), le groupement régional sur lequel elle influe et quelle influence. L’objectif est le soutien du « peuple sahraoui » et l’Algérie, bien évidemment, s’y projette corps et âme. En face, le Maroc, plus teigneux qu’avant et bien plus accrocheur que ce dont il nous a habitués à être, organise une autre conférence, le 25 mars à Marrakech, au niveau de l’UA, afin que les ministres présents réitèrent la décision du dernier sommet de l’UA à appliquer les paramètres du Conseil de sécurité pour la question du Sahara, en l’occurrence que seul le Conseil est habilité à connaitre de la situation.

Ce ne sera pas le...

décompote des participants qui sera intéressant car la SADC compte 16 membres et l’UA 54, 55 si l’on y inclut la RASD. Plus instructif sera de savoir qui, parmi les 16 membres de la SADC, fera le déplacement en Afrique du Sud, sachant que cette organisation compte désormais plusieurs pays ayant engagé des accords de coopération avec Rabat… et plus parlant sera surtout le niveau de la présence algérienne. Mais, au fait, pourquoi Alger y irait, puisque le pays d’Afrique du Nord ne put faire d’une organisation en Afrique du Sud…

La rencontre. Pour faire simple, on peut dire qu’il n’y aucune avancée, et pour faire court, on peut douter de la suite du processus tel qu’il est enclenché. M. Kohler (ci-contre) est animé d’une réelle volonté de faire avancer les choses, mais il se trouve confronté à une Algérie en pleine décomposition/recomposition et un Polisario désemparé et très sérieusement inquiet sur son avenir et son devenir.

Le Maroc, par la voix de Nasser Bourita, qui avait déjà prévenu en décembre qu’il ne s’agissait pas de se réunir pour se réunir, a exprimé la même chose. On sent même une vague lassitude, voire irritation, de Rabat face à la persistance des ses adversaires dans leur dogme passé, en l’occurrence celui d’un référendum. Et pourtant, quand on parle d’une solution claire, durable, réaliste et pragmatique – ce sont les mots de l’ONU à travers ses dernières résolutions –, on comprend que le référendum n’en fait pas partie. Le Maroc refuse catégoriquement d’en parler, mais l’Algérie polisarienne refuse, elle, de parler d’autre chose.

On sent un début de lassitude chez l’Allemand, qui était chef de l’Etat quand Gerhard Schröder était chancelier, lequel Schröder était à Dakhla la semaine dernière. On sent chez Ramtane Lamamra (ci dessous) une étourdissante volonté de maintenir le statu quo, pour gêner le Maroc et continuer de soutenir ses amis du Polisario. Et on sent un début d’énervement légitime chez Nasser Bourita, qui a dit que « pour le Maroc l’élan et l’atmosphère de la réunion ne sont pas suffisants pour entretenir indéfiniment cette dynamique. Seul un engagement sincère et fort des autres parties permettra de marquer une rupture définitive avec les positions rigides, dogmatiques et dépassées allant à l’encontre du réalisme, du pragmatisme et du compromis », ajoutant que « l’Initiative marocaine d’autonomie demeure la solution politique réaliste et réalisable qui correspond parfaitement avec les paramètres définis par le Conseil, y compris celui de l’autodétermination ».

Oui, l’autodétermination, sachant que la présence de trois responsables sahraouis dans les provinces du sud, représentatifs car légalement et légitimement élus los d’un scrutin que personne n’a contesté, est parlante. En face, le Polisario n’aligne aucun élu répondant aux critères universels du suffrage.

Alors, entendre l’ONU par la voix de M. Kohler parler de points de confiance, de construction de convergence est bien, mais insuffisant. L’entendre également insister sur « le pragmatisme, le réalisme, la durabilité et le sens du compromis » est positif mais Alger et ses amis ne l’entendent pas de cette oreille, faisant de la résistance sémantique sur tout et partout.

 

La clé de l’affaire du Sahara est à Alger. Alger est aujourd’hui en arrêt institutionnel, constitutionnel et médical. Il faudra attendre une solution chez notre voisin, et Horst Kohler le sait parfaitement. Nasser Bourita aussi. Quant au Polisario, il s’en doute avec effroi, voyant un Ramtane Lamamra toujours accrocheur avec un cœur qui visiblement n’y est plus… Et partout, à Rabat, Alger, Nouakchott, on sent une très forte baisse d’intérêt pour cette table ronde, après l’espoir mou suscité par la première, en décembre. Prochaine étape ? Le rapport de M. Antonio Guterres devant le Conseil de sécurité, en vue de la résolution de renouvellement de la Minurso, attendue pour fin avril

Aziz Boucetta