Lecture commentée du discours du roi Mohammed VI devant le parlement
- --
- 13 octobre 2018 --
- Opinions
Le roi Mohammed VI a donc ouvert la session d‘automne du parlement réuni, comme c’est de coutume, et comme c’est la loi. Il a prononcé un discours devant les plus de 500 parlementaires, annonçant un certain nombre de mesures et/ou d’orientations, sous les nombreux applaudissements (intéressés) des élus de la Nation. Des décisions ont été annoncées pour cette année législative.
Dans la forme, le discours rejoint ceux du Trône et du 20 août, avec un ton moins acerbe que ceux des années dernières, où le chef de l’Etat se montrait souvent tranchant, voire cassant, plaçant tout le monde devant ses responsabilités et renvoyant tout le monde dos à dos. Rien de tel cette fois, où le roi a eu des mots avenants pour la classe politique, malgré quelques légères critiques.
Dans la forme, aussi, le roi a en quelque sorte apporté un peu de sérénité dans l’ambiance morose et passablement inquiète qui parcourt le pays en ce moment… Il a usé de mots pour calmer les esprits et appeler à la solidarité, rappelant la cohésion de la société marocaine. Les termes solidarité, mobilisation, cohésion, intérêt national reviennent d’une manière récurrente dans ce discours.
Mais il faut relever ces deux passages, qui sonnent comme une réponse, ou une réaction, au spleen national qui parcourt le pays. « Les liens d’unité et de cohésion entre les Marocains (…) puisent dans les valeurs de fraternité et de concorde, si profondément enracinées dans les cœurs, et dans l’esprit de solidarité qui unit (les Marocains) dans les heures fastes comme dans les épreuves difficiles ». Plus loin, et plus explicitement, à la fin de son discours, le chef de l’Etat a eu ces mots, pour répondre à sa façon à cette « sinistrose » (le terme est de Moulay Hafid Elalamy) : « le Maroc doit s’affirmer comme un pays d’opportunités et non d’opportunistes (…). A vrai dire, le Maroc a besoin, aujourd’hui plus que jamais, de vrais patriotes, mus par la seule volonté de défendre les intérêts de leur pays, de leurs concitoyens, exclusivement préoccupés par le souci de rassembler les Marocains et non de les diviser ». Une réponse de chef d’Etat à une grogne populaire, ou au moins un malaise rude. Mohammed VI a donc parlé politique, économie, agriculture, social et modèle de développement économique.
La politique. Le roi atténue singulièrement le clivage majorité/opposition au parlement, en insistant sur le fait que les élus, de quelque bord soient-ils, ont « la noble et lourde charge de prendre part activement à la dynamique de réforme que connait notre pays ».
Pour clarifier son propos, il a ces phrases : « Au sein de cette honorable institution, vous formez une seule et même famille, soudée et cohérente. Rien ne vous différencie, comme en témoigne, par-delà la diversité de vos affiliations partisanes et de vos appartenances sociales, la tenue marocaine uniforme que vous portez ». Une approche inédite, voire même étrange, qui évoque l’idée d’unité nationale, qui aurait pu être (mieux ?) servie par un gouvernement d’union nationale…
Puis, la carotte… le roi Mohammed VI annonce cette décision plutôt inattendue : « A cet effet, Nous appelons à une augmentation du soutien public accordé aux partis, en veillant à ce qu’ils en allouent une fraction aux compétences qu’ils mobilisent pour des missions de réflexion, d’analyse et d’innovation ». Fort bien, mais pourquoi allouer plus de sous à des partis qui, sera-t-il dit plus loin dans le discours, n’ont pas vraiment réfléchi au modèle de développement économique que le roi avait appelé de ses vœux voici un an ? Sur les réseaux, si le discours a été bien perçu et reçu, cette décision a fait couler beaucoup d’encre, autant que de salive dans les salons.
Le social. Le roi insiste sur la solidarité nationale et sur la politique sociale que doit suivre le pays. Ainsi, il appelle à « simplification des procédures susceptibles d’encourager les différentes formes de dons, d’actions bénévoles et d’œuvres caritatives et d’appuyer initiatives sociales et entreprises citoyennes ». Pour cela, il exhorte le secteur privé à mettre la main à la poche, et le gouvernement à lui faciliter la tâche en simplifiant les procédures : « Il convient aussi de mettre en place de nouveaux mécanismes susceptibles de renforcer la contribution du secteur privé dans la promotion du Social, et de l’inciter à prendre une part active dans l’amélioration des prestations offertes aux citoyens ».
Cela passera par des incitations fiscales, que le gouvernement, en ces temps de disette, devra pouvoir financer. Mais cela est une autre affaire, au niveau règlementaire.
Le service militaire. Le roi rappelle les bienfaits de cette mesure, « appartenance nationale », acquisition de compétences et développement du sens des responsabilités.
Remarque importante : rappel de l’égalité de tous les Marocains, au service militaire, « indépendamment de leur classe sociale, de leurs diplômes et de leur niveau d’instruction ». Cela méritait d’être dit, et cela doit et devra être respecté. La question du service militaire avait été longuement et âprement débattue durant l’été, un peu partout dans le pays, de la chaumière au gouvernement, de la salle intérieure d’un café à une plage du Nord… mais c’est la première fois que le chef de l’Etat en personne explique la chose et garantit l’égalité de tous devant ce service. Il sera important
de voir et de savoir que cette égalité sera respectée et appliquée, dans les faits, concrètement, même si en termes de chiffres, il semble très difficile d’enrôler tout le monde. On parle en effet de trois millions de Marocains concernés. Le Maroc n’aura tout de même pas le même effectif militaire que la République populaire de Chine…
L’agriculture. De gros messages sont adressés dans ce volet… L’idée maîtresse est non seulement de fixer les jeunes sur leurs terres et d‘éviter un irrésistible et périlleux exode rural dans quelques années, mais aussi de créer une classe moyenne rurale.
- Un satisfecit est délivré à la politique agricole suivie jusque-là, à travers l’expression « consolidation des acquis réalisés dans le domaine agricole et à la création de nouvelles activités génératrices d’emplois et de revenus». Le ministre de l’Agriculture et chef du RNI a dû savourer l’instant, et il l’a exprimé, plus tard, dans un communiqué.
- Concept nouveau, une classe moyenne agricole. Le roi la souhaite mais, conscient du morcellement des terres, dans une allusion à peine voilée aux règles (intangibles) de l’héritage, et soucieux de voir les jeunes rester sur leurs terres, il demande au gouvernement de mettre au point « des dispositifs innovants, propres à inciter les agriculteurs à adhérer davantage à des coopératives et groupements agricoles productifs, à suivre des formations en matière agricole». Cela n’a l’air de rien, peut-être, mais cette mesure est proprement révolutionnaire, car elle évitera l’émiettement des terres et revient en quelque sorte sur les contraintes économiques de l’héritage musulman, tout en le maintenant nominalement…
- Justice sociale, et économique pour les petits agriculteurs, pressurisés par les circuits économiques : « rendre justice aux petits agriculteurs, particulièrement en ce qui concerne la commercialisation de leurs produits, et la lutte vigoureuse contre les spéculations et la multiplication des intermédiaires».
- Régimes juridiques des terres à exploiter. Ce sont, d’abord, les collectivités ethniques qui sont appelées à réaliser des projets d’investissement agricole et, ensuite, les terres collectives qui devront disposer « des dispositifs juridiques et administratifs adéquats pour étendre le champ d’application du processus d’appropriation à certaines terres bour (non irriguées), et ce, dans l’intérêt bien compris des ayants droits». Ces projets pourraient mobilier un million d’hectares.
Il aura peut-être manqué à ce très ambitieux plan de développement agricole l’introduction de la fiscalité. En effet, si les terres ne sont plus autant morcelées, ou si plutôt elles sont regroupées pour en doper la productivité, les agriculteurs concernés gagneront de l’argent qu’ils n’auraient pas pu empocher autrement. N’est-il pas normal qu’ils paient l’impôt sur le revenu, même à des « taux ruraux », même selon un barème ou scoring en fonction des régions et des régimes de propriété ?
La santé. Le roi demande à ouvrir aux étrangers des secteurs qui leur sont jusqu’à aujourd’hui interdits, comme la santé, à la condition qu’il y ait transfert de savoir-faire. Et cela, ajoute le chef de l’Etat, serait à même d’inciter des jeunes Marocains ayant achevé leurs études à étranger et souhaitant y rester, de rentrer au pays. Il est vrai qu’il y en a beaucoup.
Le nouveau modèle de développement économique. En termes gentils, avenants, le roi constate que, finalement, pas grand-chose n’a été fait durant cette année, 12 mois après son appel à l’élaboration d’un modèle économique de développement. Oh, il y a bien eu quelques contributions, réflexions, suggestions, mais rien de cohérent, ni d’achevé et encore moins accompli. Aussi, le chef de l’Etat a décidé de prendre les choses en main, en confiant à « commission ad hoc la responsabilité de collecter, d’agencer et de structurer les contributions et d’en élaborer les conclusions et ce, dans le cadre d’une vision à portée stratégique, globale et intégrée ». Le travail déjà réalisé devra être rassemblé, regroupé, pour aboutir à un travail achevé et global. La commission aura donc trois mois pour soumettre au roi « le projet du nouveau modèle de développement, en spécifiant les objectifs fixés, les leviers de changement proposés et les mécanismes de mise en œuvre retenus ». Rendez-vous donc le 11 janvier, jour anniversaire du Manifeste de l’indépendance de 1944, tout un symbole…
Un discours programme, prononcé devant des élus qui ont déjà un lourd travail à abattre lors de cette session. Ils devront, et le gouvernement aussi, le gouvernement surtout, penser et réfléchir à ces idées, audacieuses pour certaines (santé, agriculture), révolutionnaires pour d’autres (les collectivités et groupements agricoles pour lutter contre le morcellement). Les partis auront également reçu un petit cadeau, à travers cette augmentation de la subvention, qui leur fournir aussi les moyens de payer des compétences pour être à la hauteur de la tâche qui leur est demandée. En filigrane, le roi leur offre la carotte, les appelle à leurs responsabilités et… les attend au tournant.
Le seront-ils, compétents, les personnels politiques ? Rien n’est moins sûr… Le discours est un vaste programme, ambitieux mais réalisable, sauf qu’il faudrait le personnel politique adéquat. C’est là que des technocrates étroitement encadrés, avec quelques ministres d’Etat chefs de partis, auraient fait l’affaire. Une sorte d’union nationale pour un discours d’unité nationale. Mais cela est une autre affaire…
Aziz Boucetta