Le retour d’Akhannouch, et ce que devraient être les contours du RNI, par Aziz Boucetta
On ne l’avait plus entendu s’exprimer avec autant d’assurance, voire de force, depuis plusieurs mois. Il vient de le faire à Marrakech. Lui, c’est Aziz Akhannouch, le ministre de l’Agriculture et président du RNI. Après les rudes incertitudes de ces six derniers mois, le boycott et le « dégage » de Tanger, on disait l’homme fini. On avait eu tort. Aziz Akhannouch a parlé, avec force, se remettant en selle et rassurant ses partisans, mais ce n’est là qu’un début et sa sortie ne sera porteuse que si elle implique un changement de gouvernance au sein de ce parti qui a renouvelé et organisé ses structures.
Le discours était donc attendu, et il a rempli ses promesses. Après une absence de plusieurs mois, M. Akhannouch est apparu sur la scène de la 2nde université d’été de la Jeunesse du parti, sur le campus de l’université privée de Marrakech. Hésitant, peu assuré à son arrivée devant le pupitre, il a gagné en confiance au fil de la demi-heure qu’il est resté sur scène, mais à la fin de son discours, les milliers de personnes présentes étaient plus animées, plus vivantes et vivaces qu’après les prises de parole précédentes. Bien sûr, le président du parti a tenu un discours programme… bien évidemment, il a parlé de l’organisation du parti… bien entendu, il a harangué ses troupes… Mais on l’attendait sur l’essentiel : le boycott et les très dures attaques qu’il a personnellement subies, les vidéos à son détriment et les images à son effigie, les insultes à son égard et les quolibets à son désavantage. Il n’avait alors rien dit, prêtant le flanc à toutes ces accusations, semblant attendre une heure qui semblait ne jamais venir.
Et voilà qu’à Marrakech, il a répondu, affirmant d’entrée de jeu qu’« au moment où nous travaillions, d’autres, les ennemis du succès politique des Indépendants, sont passés maîtres dans l’art de la rumeur, réunissant des moyens colossaux pour nous éreinter. Je pourrais vous parler des heures durant de ce qu’ils ont fait, de ce qu’ils ont dit, et des moyens qu’ils ont déployés… et je peux même vous dire qui ils sont », un jour prochain… Et M. Akhannouch d’expliquer que, finalement, s’« ils » ont attaqué, les ennemis du parti, c’est en raison du succès du RNI, c’est par peur de son avancée sûre et confiante, c’est pour effrayer quiconque voudrait entrer en politique. Cela est certes le constat de la guerre menée contre le parti, mais aujourd’hui, l’enjeu est ailleurs… dans la nature et la structure du RNI. Et pour cela, plusieurs paramètres sont à examiner.
1/ La légitimité d’une formation politique est son histoire. Bien que de par le monde, et au Maroc, des partis de création récente affichent une santé éclatante et des scores électoraux impressionnants, le temps et sa logique finiront toujours par reprendre leurs droits. Un parti doit sa légitimité à son histoire, c’est-à-dire à sa capacité à accompagner les évolutions sociales et sociétales du pays qui est le sien. Le RNI, créé voici près d’un demi-siècle, n’a pas pour autant cette légitimité historique, car il ne l’a tout simplement jamais cherchée… il a de tous temps essayé de plaire, puis il a toujours servi à parfaire des calculs électoraux et des constructions législatives.
Avec sa participation au gouvernement Benkirane et surtout à celui d’Elotmani, le RNI a gagné en légitimité politique, même si elle est perçue négativement (accusations d’entraves ou de blocages gouvernementaux, par exemple). Il existe et a existé, il dérange et a dérangé, il gesticule et manipule, tel un parti qui ressemble à un parti.
2/ La présence d’un parti tient à celle de son leader. Aziz Akhannouch, contrairement à ce que l’on pense et à ce que l’on dit, a une carrière politique de plus de 15 ans. Elu au Souss et président de cette région au milieu des années 2000, il est ministre de l’Agriculture depuis près de 12 ans, un record. Il a accédé à la présidence du RNI voici deux ans, mais il lui manquait quelque chose… Le parcours fut trop facile, les postes directement prestigieux. Il
fallait quelque chose… Elle s’est produite. Le boycott et les attaques y attachées avaient pour objectif de détruire politiquement Aziz Akhannouch, le « tuer » politiquement. Cela n’a pas été le cas.
L’homme né avec une cuiller d’argent (politique) dans la bouche, à l’ascension sans péril, aux conquêtes faciles, a eu son baptême du feu politique, une sorte de bizutage, une carte d’entrée indispensable pour accéder au cercle restreint des leaders politiques. Il y a survécu, il est ainsi plus fort ; il est blessé, il est donc bien plus fort. Il doit le rester et, pour ce faire, multiplier les sorties, les déclarations, les propositions, les altercations… comme l’ont fait MM. Benkirane et el Omari en leur temps, comme le font MM. Elotmani et Baraka aujourd’hui. Le masque de la réserve et le carcan de la pudeur doivent tomber, afin que l’homme reste debout et que le parti tienne, enfin, le bon bout.
3/ La force d’un parti réside dans sa communauté charismatique, dans ses dirigeants qui doivent parler, agir, s’engager, oser, prendre des risques, risquer leurs postes… c’est cela un parti… être dans les médias, taquiner les journalistes et copiner avec eux, se prononcer sur tout, inventer des petites phrases et savoir ou et quand les distiller… C’est ainsi qu’est le PJD, que fut (et devrait redevenir) l’Istiqlal, et que devrait être le RNI. Les autres partis ne comptent pas, ou tellement peu. On a un parti de droite conservatrice, un autre de droite traditionnelle (et véritablement socio-démocrate, sans le dire) et on a besoin d’un troisième, force du centre entre les deux droites, mais pas un centre d’appoint, plutôt un centre coup de poing.
Aujourd’hui, au RNI, seuls Rachid Talbi Alami et Moncef Belkhayat osent monter au créneau, expliquer et s’expliquer, critiquer et décortiquer. Souvent, ils commettent de grosses bourdes, mais ainsi est faite la vie d’un parti, de déclarations bienvenues et de petites (ou grandes) déconvenues. Il faut organiser la communication, sélectionner les thèmes sur lesquels le parti doit s’engager, définir et mettre au point les « petites phrases », occuper l’espace médiatique, mettre en vue le porte-parole et désigner le « méchant ».
Un parti ne saurait être dirigé comme une entreprise. Celle-ci n’est pas d’essence démocratique, contrairement à un parti., et une entreprise veut gagner de l’argent, alors qu’un parti aspire à en distribuer.
4/ La vigueur d’un parti dépend de son originalité. Le RNI est un parti d’entrepreneurs, de cadres, affichant une doctrine libérale… et, allez, sociale aussi. Face au mutisme de cette formation, ses adversaires ont fait de ce positionnement un handicap, désignant le RNI comme un parti de « riches » réunis dans une espèce de ploutocratie malsaine. Or, il n’y a aucun mal à être riche, et Aziz Akhannouch et ses pairs au parti doivent retourner la tendance, et en faire une force. C’est avec l’entreprise qu’on crée de la richesse, des emplois, et encore de la richesse, et non avec des slogans. Il faut le dire, et s’en décomplexer. De même qu’il faut démystifier l’image de l’entrepreneur voleur et le « vendre » comme un spécialiste de la création de richesse.
A Marrakech, ce weekend, un atelier de création d’entreprise a été mis en place et les entrepreneurs de « choc » du RNI, Moulay Hafid Elalamy et Moncef Belkhayat, étaient à la manœuvre pour conseiller, orienter, accompagner, encourager les jeunes RNIStes porteurs de projets. Il s’agit d’une action heureuse, que le parti doit assumer, puis assurer, avant de pérenniser.
Au Maroc, nous avons aujourd’hui une quarantaine de partis, dont six émergent du lot, à savoir PJD, Istiqlal, RNI, PAM, MP et USFP. Sur ces six formations, ce sont les trois premières qui sont en pointe. Elles ont changé leurs directions, s’activent sur la scène politique, essayent d’exister dans la sphère sociale et affichent des ambitions claires pour les élections de 2021. Si PJD et Istiqlal reposent sur un socle solide de militants, de cadres, d’histoire et d’acquis, il appartient au RNI de renoncer à sa légendaire réserve, de sortir du bois, et d’attaquer pour exister.
Car il n’y a que dans l’attaque qu’un parti peut prospérer, et que dans la retenue qu’il peut couler.