Au Maroc, silence, on tue… par irresponsabilité et impunité, par Aziz Boucetta
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- 09 août 2018 --
- Opinions
Pierrette M’jid est morte, écrasée par un jeune conducteur, paraît-il, ivre… Son cas n’est malheureusement pas isolé, et le Maroc connaît des situations similaires de plus en plus fréquentes. Et à côté de cela, c’est l’hécatombe de gens connus ou non, puissants ou pas, tous citoyens, tous humains, fauchés par la bêtise humaine aggravée d’irresponsabilité. Et souvent d’impunité. Et ce sont des milliers, des dizaines de milliers de vies qui se sont envolées…
1/ Les faits.
Les médias ont rapporté toute une série de faits, ces dernières années :
a/ Un homme (H.Y.) se fait arrêter à Casablanca par un agent de police pour une infraction légère. Il lui tire dessus. Le Maroc entier apprend l’existence de la maladie de Korsakoff, qui empêche tout jugement.
b/ Un juriste arabe de renommée internationale, présent au Maroc pour un congrès mondial, est heurté et écrasé par un jeune chauffard. Soûl et fuyard. Pas de poursuites connues…
c/ Lui, il est en 2010 fils de ministre en exercice (K.N.), et il provoque un accident, avant de provoquer l'autre automobiliste pour un duel aux poings. La police intervient et menace le ''fils de''... Lequel ''de'' arrive sur les lieux, fait libérer son fils, et s'en va...
d/ Le jeune homme (H.D.) auteur de la formule passée à la postérité : « Qu’est-ce que tu constates, M. le constateur ? » heurte et fracasse plusieurs véhicules. Soûl. Condamné en 1ère instance à deux ans dont 8 mois ferme, il est acquitté en appel un an après.
e/ Les fils d’un procureur du Roi d’une grande ville, contrôlés par des policiers, les ont vigoureusement molestés, avant que leur père ne demande que la loi s’applique à eux, admirable, et que les juges ne fassent montre de clémence, lamentables.
f/ S.E. est fils de promoteur immobilier. Voici quelques années, à Casablanca, soûl, S.E. fracasse sa Jaguar contre une voiture transportant une mère, sa fille et son fils. Les deux premières meurent sur le coup, le fils est en réanimation plusieurs semaines. Le chauffard s’en sort à bon compte, car pas de mention de beuverie dans le constat. Le père, personnage connu à Casablanca, est passé par là.
g/ La fille d’un président de Région (K.A.) conduisait le véhicule de fonction paternel, avant de s’arrêter contre un poteau. Elle n'a pas de permis de conduire... La justice s’en mêle, mollement, jusqu'à présent du moins.
h/ Le joueur de la sélection nationale de foot (A.H.) revient de Russie en juin, va à Marrakech en juillet, et fauche un jeune homme de 28 ans alors qu’il faisait un rodéo/course nocturne. Soûl ou non, on n’en sait rien, l’affaire a été promptement et rondement menée, et un accord financier serait en cours.
i/ Le conducteur soûl (M.M.) fauche et tue feue Pierrette M’jid, avant de prendre la fuite, et de se faire prendre par la maréchaussée. Cela remonte au début de cette semaine.
Etc, etc… on peut continuer comme cela jusqu’à ‘z/’, et même au-delà… Les six derniers cas se sont produits ces deux dernières années, et pour les trois dernières affaires, on attend la suite, et on espère que suite il y aura.
Nous avons les noms de tous ces « Oulad lefchouche » comme on les appelle si justement, ces jeunes gens – et accessoirement de leurs parents – mais l’objet ici n’est pas de jeter ces écervelés irresponsables, devenus criminels, à la vindicte publique. Le propos est d’en appeler à la raison, et à défaut, d’évoquer le spectre de la prison.
Depuis quelques années, un nouveau sport est apparu au Maroc : les rodéos automobiles en ville, dans les ronds-points, où des jeunes gens viennent s’offrir des overdoses d’adrénaline, causant au mieux frayeur et terreur, et au pire, mort et désolation.
On ne compte plus les chauffards, toujours jeunes, et forcément issus de milieux aisés au vu des cylindrées placées entre leurs mains inexpertes et irresponsables,
qui font la course sur les autoroutes, contre eux-mêmes ou contre la mort, souvent celle des autres. Cela se passe essentiellement sur les trajets Casa-Rabat, Casa-Marrakech et Casa-El Jadida (là où se trouve le casino de Mazagan).
2/ Les chiffres.
Selon des statistiques du Comité national de prévention des accidents de la circulation, depuis 2000, le royaume perd 3.800 tués en moyenne, et compte environ 10.000 blessés graves. Chaque année.
Faisons le calcul, et nous obtiendrons des chiffres effarants : en 20 ans, le pays a déploré la mort d’environ 75.000 de ses citoyens, et 200.000 individus ont connu des accidents corporels graves, avec souvent des handicaps physiques permanents, et toujours des séquelles mentales éternelles.
A août 2018, le Maroc affiche cette plaie ouverte, qui continue de s’ouvrir : près de 300.000 citoyens atteints par la folie meurtrière qui règne sur les routes. 1% de la population !
3/ Les circonstances aggravantes.
Quand un jeune tue, estropie, blesse, qui est responsable ? Lui-même ? Ses parents et entourage ? L'Etat défaillant à travers ses services de réglementation, de régulation et de contrôle ? En réalité, tous.
Lorsque le civisme vient à manquer, et force est de constater qu’il manque, la faute incombe d’abord aux parents, qui n’ont pas éduqué et qui ont inculqué des valeurs misérables de l’argent et de l’entregent. La responsabilité revient ensuite à l’Etat qui n’a pas fait montre de la rigueur nécessaire, indifférent à l’hécatombe et friand de grandes annonces tragicomiques sur la situation de guerre qui prévaut sur nos routes, et de petites annonces clairement comiques sur les campagnes lancées ici et là… Parfois, puis de plus en plus souvent. Avec autant d’effet que du vent.
Ecoutons Soufiane M’jid, fils de la défunte Pierrette : « On dit que l’enfant du bidonville prend un sabre et frappe, et le fils de riches prend son gros véhicule et frappe lui aussi… Comment les distinguer ? ». Et c’est là où réside le problème.
L’insécurité n’est pas tributaire de l’origine sociale et du compte en banque de l’auteur des agressions. L’insécurité est une, et ne connaît pas de différence, sauf l’inconstance, l’inconscience et l’indécence de ces conducteurs. Que l’on trépasse sous les coups d’un couteau ou sous les roues d’un gros 4x4, c’est exactement pareil car la douleur est la même et les ravages aussi. Il faut sévir contre les deux, avec circonstance aggravante pour les nantis, pour la double raison qu’ils ont davantage de moyens pour leur éducation et qu’ils ne frappent même pas pour voler et subsister (ce qui n’est au demeurant pas une raison pour perpétrer un crime).
4/ Ce qu’il faut.
De la rigueur dans les contrôles, de la sévérité dans les sanctions, et l’élargissement de ces mêmes sanctions aux responsables. Les juges, prompts à expédier en prison les voleurs de poule, doivent montrer la même intransigeance contre les voleurs de vie, et contre ceux qui leur permettent de l’être. A défaut, ils devraient eux-mêmes rendre des comptes.
Quand un responsable, ministre, général, président de commune ou de région, parlementaire ou ‘’simple’’ haut-fonctionnaire, reçoit un véhicule de fonction, il doit en être responsable, au même titre que son rejeton qui le lui aurait subtilisé, ou emprunté (ce qui est plus grave). La sanction doit s’appliquer au conducteur irresponsable et à son parent négligent.
Quand un responsable, ministre, général, président de commune ou de région, parlementaire ou ‘’simple’’ haut-fonctionnaire est incapable d’éduquer sa progéniture aux valeurs citoyennes, il ne doit en aucun cas être responsable des affaires des citoyens.
Les conducteurs des grosses cylindrées pompeusement immatriculées à Rabat, ou les autres, de Casablanca ou d’ailleurs, doivent savoir qu’en cas d’accident, ils paieront le prix fort. Et leurs parents aussi, qui leur auront permis ces actes par mauvaise éducation, négligence, besoin d’affirmation sociale ou les trois à la fois.
A défaut de rigueur et de sévérité, chacun de nous, un jour, sera victime d’une agression au couteau ou au 4x4. Il sera alors trop tard pour s’en plaindre.