Boussaïd (brutalement) limogé, à qui le tour ?, par Aziz Boucetta
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- 03 août 2018 --
- Opinions
Rien ne le laissait prévoir, mais tout le laissait croire. Mercredi 1er août, le roi Mohammed VI limoge, via un communiqué laconique du cabinet royal, le ministre de l’Economie et des Finances, lequel avait pourtant participé à la réunion de plusieurs ministres avec le chef de l’Etat dimanche 29 juillet. Une décision spectaculaire, qui ouvre sur plusieurs interrogations et constatations…
1/ Pourquoi Mohamed Boussaïd ?
Dans leurs exposés présentés au Roi, les patrons de Bank al-Maghrib et de la Cour des Comptes, respectivement Abdellatif Jouahri et Driss Jettou, avaient dénoncé l’état affligeant, voire inquiétant, des finances publiques : une dette qui augmente, des investissements étrangers en recul, des comptes publics biaisés, des soupçons (voire accusations) de conflit d’intérêt et de favoritisme partisan pour l’affaire de la vente de Saham aux Sud-Africains… Mohamed Boussaïd ne fut pas ministre d’Etat, mais un ministre de et pour l’Etat, il ne fut pas un homme d’Etat, mais un commis de l’Etat : il a été à la manœuvre pour la décompensation, puis pour la réforme de retraites, puis sur la réduction du déficit budgétaire, mais sans aucune action en faveur du social, qui n’a jamais vraiment fait l’objet d’une moindre préoccupation de sa part.
Mohamed Boussaïd est également l’auteur du désormais fameux mot des « mdawikh » (écervelés, étourdis) pour qualifier les boycotteurs. Ce faisant, il a oublié un principe majeur de la politique : le peuple a toujours raison, et à défaut de le changer, on ne l’insulte pas. Il l’a fait, se mettant en péril et troquant son fauteuil confortable pour un siège éjectable.
Enfin, Mohamed Boussaïd est un cador du RNI, protégé par son mentor Aziz Akhannouch. Alors quand le roi dit dans son communiqué que la reddition des comptes concernera tous les politiques, « quels que soient leurs rangs et appartenances », cela signifie que le RNI, contrairement à une opinion largement répandue, et parfois confirmée, n’est pas au-dessus des séismes de toutes formes, ni des remises au pas, dans le fonds et dans la forme.
2/ Quid du RNI ?
Le parti présidé par Aziz Akhannouch paie le prix de son succès. Jusqu’en avril, il était sur une pente ascendante, multipliant les meetings et les rounds-up, accélérant le tempo politique, assurant une présence permanente dans les médias, bousculant tout sur son passage… mais sans idéologie apparente, ni convaincante. Et comme au Maroc, les problèmes sont économiques, et sociaux (voir le discours du trône 2018), et comme le RNI tient les manettes de l’économie au sein du gouvernement, il est plus que logique que ce soit lui qui paie le prix des dysfonctionnements et révise son mode de fonctionnement.
Dans son communiqué, le roi Mohammed VI revient donc sur le « principe de la reddition des comptes qu’ (il) est soucieux d'appliquer à tous les responsables quels que soient leurs rangs ou leurs appartenances ». La réponse d’Aziz Akhannouch semble résignée : « Le parti, soucieux de l’intérêt supérieur de la nation, continuera de militer, quel que soit son positionnement », ce qui peut laisser croire à un basculement dans l’opposition, lequel basculement lui serait, sans doute, salutaire. En matière électorale, et universellement, mieux vaut aller au scrutin en position d’opposition que dans le confort périlleux de la majorité.
En tout état de cause, s’il est quelqu’un qui sort renforcé de ce coup de tonnerre (virer un grand argentier est toujours un coup de tonnerre), c’est bien le chef du gouvernement Saadeddine Elotmani, qu’on a débarrassé d’un ministre agissant en électron libre, et qu’on a consolidé par défaut, en affaiblissant le parti qui lui tenait la dragée haute, le RNI en l’occurrence.
Aujourd’hui, le RNI a pris des coups, et se trouve plongé dans le doute. Cela le normalise.
3/ Qui pour remplacer Boussaïd ?
Un ministre intérimaire devrait être désigné lors du Conseil de gouvernement de ce jour. Mais pour la nomination d’un titulaire, les spéculations vont bon train. Mais quatre solutions se profilent :
a. Le RNI conserve le portefeuille du partant, et dans ce cas, soit il revient à un ministre en fonction
(qu’il faudra alors remplacer), soit on hèlera l’un des si nombreux prétendants qui piaffent d’impatience dans l’antichambre du gouvernement ;
b. Un technocrate est désigné, venant alors grossir les rangs des ministres de souveraineté. Serait-ce alors une heureuse décision ? Probablement pas, en ces temps où la bonne gouvernance est demandée, voire exigée, par tous, chef de l’Etat compris, chef de l’Etat en tête ;
c. Le PJD décroche le poste, ce qui aurait le mérite d’équilibrer quelque peu le rapport de forces au sein du gouvernement, entre le parti de Saadeddine Elotmani et le RNI, qui se trouverait singulièrement affaibli ;
d. L’Istiqlal arrive, mais pour cela, il faut du temps, le parti dirigé par Nizar Baraka ayant des instances de décision, élues et volontiers revêches. Le Conseil national avait en effet décidé en avril de rester dans l’opposition, et il faudra donc qu’il se réunisse, en session extraordinaire, pour en décider autrement. Il faut au moins une semaine pour cela. Si on apprend, les jours qui viennent, que l’Istiqlal a convoqué un Conseil national extraordinaire, cela signifierait très certainement qu’il intégrera la coalition gouvernementale, en lieu et place d’un RNI, qui gagnerait à en être sorti car il arrivera à l’échéance électorale un peu moins abîmé.
Aux dernières nouvelles, c’est Abdelkader Amara, le ministre PJD de l’Equipement et du Transport qui a été désigné pour prendre l’intérim du ministère des Finances, mais il ne s’agit que d’une disposition transitoire. Les options ci-dessus restent ouvertes et, plus que jamais, le Roi reste le maître du temps. Et des manettes.
4/ La gouvernance.
Désormais, à chaque fois que le roi Mohammed VI recevra le président de la Cour des comptes, les ministres concernés par le rapport de celui-ci auront de sérieuses raisons de se sentir en insécurité. Le Roi, en effet, réagit désormais rapidement, et brutalement au besoin. L’article 147 de la Constitution dispose dans son alinéa 2 que « la Cour des Comptes a pour mission la protection des principes et valeurs de bonne gouvernance, de transparence et de reddition des comptes de l’Etat et des organismes publics ».
Depuis la crise d’al Hoceima, début 2017, Driss Jettou et « sa » Cour ont fait des ravages au sein des grands commis de l’Etat, déclenchant plusieurs vagues de révocations dans les rangs des ministres et des walis et autres agents d’autorité, au nom de la bonne gouvernance, une notion qui commence cahin-caha à faire son chemin au sein de l’opinion publique. La preuve est que la société a adopté une posture « militante » depuis quelques années : demande de reddition de comptes, dénonciations de turpitudes, saisine de organismes officiels…
5/ « Les rangs et les appartenances ».
Que l'on sache par les présentes que, désormais, nul n'en réchappera, les seigneurs et le petit personnel, semble dire le Roi dans son communiqué, aussi court qu'énervé. Cela est une réponse à l'idée largement répandue que si les responsables sont égaux, certains sont plus égaux que d'autres. Il faudra sans doute d'autres limogeages, d'autres sanctions, dans les rangs politiques ou extra-politiques, pour que tout le monde entre dans le rang.
Aux termes de la constitution, le Roi n'est responsable devant personne, mais il est responsable devant le peuple, aux termes de l'allégeance, et devant l'Histoire, aux termes de la tradition monarchique. Il le sait, et il agit en conséquence.
6/ La morale de cette histoire.
Sur les vingt dernières années, le Maroc a multiplié son PIB par 2,1, mais le PIB/habitant n’a cru que de 1,6, d’où décalage, et en creux une certaine paupérisation. Le roi Mohammed VI l’a constaté, il l’a dit, puis redit, a demandé un nouveau modèle économique et, ne voyant rien venir, il a sévi. Et sévira encore. Selon le principe de sa responsabilité.
Le Maroc a accéléré le rythme, et les politiques doivent suivre. Le Roi est passé à une vitesse supérieure en diplomatie et en interne, la société a enclenché le turbo en maturité politique. Aux politiques d’en tirer les conséquences, au risque de plonger dans des turbulences sismiques aussi cruellement incertaines que particulièrement douloureuses.