Le boycott… quelques questions à (se) poser, sereinement…, par Aziz Boucetta

Le boycott… quelques questions à (se) poser, sereinement…, par Aziz Boucetta

Est-ce une guerre ou un boycott ? Les personnages montant au créneau pour défendre cette action défendent la sérénité de cette lutte contre la vie chère. Ils se veulent citoyens, militants, et (presque) aucun n’appelle à la violence. Mais alors pourquoi s’en prendre à ceux qui posent des questions, qui ne sont pas forcément d’accord avec la démarche ? Pourquoi ne pas accepter un dialogue ? Pourquoi cette « campagne » glisse-t-elle sur des personnes plus que sur leurs entreprises ? D’où certaines questions… 

1/ Pourquoi n’y a-t-il pas de dialogue ? Parce que la campagne est généralisée, sans meneur, sans meneurs, malgré de poussives revendications. Quelqu’un, un jour, ainsi, aurait eu l’idée de lancer le mouvement, et il a été suivi par des dizaines, puis des centaines de milliers, et aujourd’hui des millions de personnes. L’image est belle, le peuple est preux, l’action est spontanée, la vertu debout… Sauf que cela est strictement impossible. Toute action aussi large sur les réseaux nécessite une stratégie, des concepteurs, des organisateurs, des moyens, beaucoup de moyens, et un objectif. C’est connu. Qui est à la manœuvre ? Mystère…

2/ Cibler trois entreprises dans un marché où la concurrence existe est une chose qui pose problème. On répondra qu’il n’y a pas concurrence, mais oligopole, entente des quelques grands contre les innombrables petits. Fort bien, mais alors les autres entreprises des secteurs ciblés sont complices. Pourquoi ne pas les attaquer elles aussi, et ne pas se contenter des trois cibles choisies, dont deux sont les punching balls préférés des Marocains ?

3/ Attaquer Afriquia et Sidi Ali est une chose, mais s’en prendre à leurs patrons en est une autre. Lutte-t-on contre les produits hors de prix, ou contre leurs patrons qui, par une étrange coïncidence, se trouvent être des personnages publics de premier plan ? Quand les Marocains avaient en 2016 réagi par millions à la demande de boycott de l’interruption de la VoIP, l’appel avait été lancé sur une page Facebook identifiée, et il avait été relayé par des leaders d’opinion œuvrant dans le digital ; puis cet appel avait été renforcé par des actions en justice initiées par des avocats ayant pignon sur rue. Et enfin, nul ne s’en était pris personnellement aux chefs des opérateurs téléphoniques et du régulateur. Cela était une campagne, aujourd’hui, cela ressemble à une cabale.

4/ Le mouvement lancé suite à l’appel, s’il se poursuit, serait de la même nature que le 20 février, mais en bien plus vaste, en cela que d’abord il ne nécessite aucun engagement physique (comme sortir dans la rue et marcher) pour en faire partie, et ensuite il intégrera tous ceux qui, en 2011, n’avaient pas été comptabilisés dans les manifestations et qui soutenaient, silencieusement à partir de chez eux.

Cette campagne de boycott est à considérer comme un marqueur ou comme une étape. Emotionnelle, passionnelle, elle navigue sur le réel mécontentement des gens, pressurisés par le coût de la vie et insécurisés dans leurs existences.  Et comme il n’existe pour ainsi dire pas de médiations institutionnelles, qu’il n’y a pas de garde-fous institutionnels non plus, le boycott a pris, dans une sorte de convergence d’intérêts, différents, entre les contestataires et les initiateurs.

5/ Le peuple a raison, il a toujours raison. Mais il peut lui arriver de ne pas tout voir, tout en ayant raison, comme il peut se laisser guider dans un combat qui peut sembler légitime, qui l’est certainement, mais en en


ignorant les mobiles réels. La haine du riche a fait le reste… Et pourtant, qu’on le veuille ou non, la source de la richesse d’une nation est l’entreprise, productrice de valeur et pourvoyeuse d’emplois, eux-mêmes créateurs de richesses à travers la consommation. La Chine est communiste, mais ses entreprises sont libres ; l’Occident ne doit sa prospérité qu’à ses entreprises, de même que le Japon, la Corée du Sud et bien d’autres encore. L’entreprise cherche à gagner de l’argent, et elle le réinvestit. Parfois, elle s’oublie dans sa recherche du gain. Les pouvoirs publics doivent veiller et les opinions publiques aussi. Et quand on constate des dépassements ou défaillances, on rectifie le tir, sans tirer sur l’entreprise.

Quand en Occident, des entreprises sont suspectées d’user du levier de l’obsolescence programmée, par exemple, on ne les tue pas, on les sermonne, on les rappelle à la loi, on les poursuit, on les taxe, on les met à l’amende, mais on ne les tue pas, pas plus qu’on n’insulte leurs patrons. C’est cela une société civilisée : elle défend ses intérêts, elle remet les choses à l’endroit, sans hargne ni haine, sans personnalisation ou crucifixion. Récemment, le patron de Facebook Mark Zuckerberg a fauté par négligence, il a été convoqué au Congrès et sermonné par ses élus ; au Maroc, il aurait été en plus insulté, copieusement et puissamment insulté. C’est là toute la différence.

Ceux qui relayent le mot d’ordre de boycott usent de leur liberté d’expression et sont dans leur bon droit, de bonne foi ; ceux qui en sont à l’origine, en se cachant, commettent un délit, et ceux qui insultent, diffament, accablent en criant « acha al malik » relèvent du pénal… voire du psychiatrique.

6/ Le mouvement de boycott est en quelque sorte une réplique à la demande de mise en place d’un modèle économique. Depuis 2000, le PIB national est passé de 40 à plus de 105 milliards de dollars. Cette richesse créée n’a pas été équitablement répartie. C’est le modèle économique à mettre en place, où les fruits des efforts de tous et de chacun seraient mieux répartis, entre tous et pour chacun…. Même s’il y aura toujours des riches et des moins riches des pauvres et des plus pauvres. Si en 2011, les revendications étaient politiques, en 2018 elles sont économiques. Du moins, on devrait l’espérer…

7/ Cette campagne sert deux groupes, d’inégale importance. Ses concepteurs mystérieux, dont le but n’est pas de lutter contre la cherté de la vie, mais d’en découdre avec certains personnages. Aziz Akhannouch cristallise les rancœurs et les inquiétudes de plusieurs personnes qui ne voient pas d’un bon œil sa montée en puissance au RNI, et Miriem Bensalah est la présidente sortante d’une CGEM en campagne, avec l’ancien chef du RNI en candidat favori (pour l’instant). Jamais le RNI n’aura intéressé et perturbé autant de monde.

Et pourtant, jusqu’à ces dernières semaine, tout le monde s’accordait à dire que le RNI d’Akhannouch avait commencé à relever le défi de s’imposer comme seule force capable de créer la compétition avec le PJD, force politique dominante. L’Istiqlal ne semble pas être en mesure de ressusciter dans les quelques années qui viennent, l’USFP est une coquille morte, le PAM est l’ombre de l’ombre qu’il a toujours été…  Le MP, l’UC et les autres comptent si peu.

Cette campagne de mai 18 est le reflet d’un ras-le-bol social général, elle est digitale donc globale, mais elle reste politique. D’où le mystère…