Le style Elotmani, qui tranche avec celui de son prédecesseur
- --
- 16 avril 2018 --
- Opinions
On le disait inodore et incolore, insipide, et même translucide… On le disait tout à fait incapable de dire des choses que les gens entendraient, écouteraient. Le style du chef du gouvernement Saadeddine Elotmani commence pourtant à apparaître, et à s’imposer, avec le temps. Mais comme on le comparait souvent à son prédécesseur Abdelilah Benkirane, il semblait avoir peu, voire pas, de chances de s’imposer. Dans un récent discours, les messages qu’il a délivrés, somme toute classiques, sont moins importants que le style de l’homme, qui commence à s’affiner et s’affirmer.
Dans une allocution d’un peu plus d’une heure délivrée devant les élus parlementaires de son parti, à l’occasion de l’ouverture de la session de printemps du parlement, le chef du parti et du gouvernement a montré ses capacités d’orateur, maniant l’humour et le sérieux, les citations et les références, le Coran et le familier, le classique et le dialectal. Certes, le style est plus relevé, plus riche, plus dense que celui de M. Benkirane, mais il plaît en revanche moins aux masses. M. Elotmani doit donc reprendre la main au sein de son parti, et imposer son style, essentiellement à la troupe de députés et de conseillers dont le cœur vibre toujours pour l’ancien chef, et que le nouveau doit séduire.
Un orateur des temps modernes, et mêmes des temps plus reculés, doit savoir faire vibrer les cordes sensibles, titiller l’émotion, ou faire rire… c’est-à-dire parler au plus grand nombre de personnes, dont le regroupement les place sous l’angle émotionnel plus que rationnel. On parle alors « peuple », on évoque la « justice », on exalte la « nation », on fait appel aux émotions les plus intenses, parfois, souvent, aux instincts les plus vils. De Gaulle ou Churchill à Londres, en 1940, Hitler en Allemagne, Luther King à Washington en 1963, Thatcher, Eltsine, Berlusconi, Trump ou Benkirane, chacun d’eux a su manier les émotions de son public, dans la grandeur et la gloire, ou dans la petitesse et l’infamie.
Elotmani, lui, a la réserve de l’intellectuel, qui parle avec raison, ponctue ses phrases avec des gestes mesurés, le sourire aux lèvres. Sobre dans
la gestuelle et la forme, il se veut plus profond dans l’argument et plus percutant dans l’attaque, car argumentée, mais toujours polie. Mais après cinq années de benkiranisme au parlement, dans la rue, dans les meetings et ailleurs, le docteur Elotmani aura fort à faire pour conquérir les cœurs des gens. Il le sait, il y a travaillé, il avance et s’impose.
Il est plus surprenant de constater que même parmi les gens les plus rationnels, les plus cultivés, les plus instruits, la personne de Benkirane continue d’attirer bien plus que celle de son successeur. « Benkirane disait vrai », « Benkirane était un passionné », « Benkirane était convaincu de ce qu’il disait et avait le caractère fort qu’il fallait »… Mais à écouter patiemment Saadeddine Elotmani, on comprend que lui aussi dispose de ces qualités, sauf que c’est dans un registre plus mesuré.
Un autre angle de comparaison – qui n’est certes pas raison, mais… – entre les deux hommes est le référentiel religieux. M. Benkirane faisait souvent dans la provocation en rappelant le caractère islamiste de son parti et en multipliant les références coraniques, agressivement, sans explication et sans contextualisation. Il était dans une posture perpétuellement martiale. Saadeddine Elotmani, lui, évite de trop insister sur l’aspect religieux du PJD. Peut-être parce qu’il ne le croit guère, et quand il cite le Coran, c’est sur le ton de l’exégète didactique qu’il est de longue date, contrairement au prédicateur qu'est M. Benkirane.
Là où Abdelilah Benkirane et son parti voyaient de l’agressivité dans l’activisme des autres chefs de partis, Saadeddine Elotmani et une partie du PJD y voient une complémentarité politique dans la perspective de relever les innombrables défis et de surmonter les nombreux périls qui se présentent.
M. Benkirane est un homme politique clivant, dressant les uns contre les autres, et posant son parti comme s’il était le seul sur la scène politique nationale. M. Elotmani est un rassembleur, connaissant ses limites et celles de son pari, ne s’en cachant pas et essayant d’y remédier. M. Benkirane était un chef du gouvernement en campagne permanente, M. Elotmani est un chef du gouvernement, faisant son travail.
Aziz Boucetta