Entretien avec Transparency International : la lutte contre la corruption peut-elle être efficiente en Afrique  ?

Entretien avec Transparency International : la lutte contre la corruption peut-elle être efficiente en Afrique  ?

Samuel Kaninda : « Il y a inadéquation entre les ressources dont regorge l’Afrique et le développement du continent. L’Afrique est le continent qui enregistre un taux de croissance économique assez important mais sur l’indice de développement humain (IDH), l’Afrique est dans le peloton de queue ».

ANALYSE. L'Afrique pourra-t-elle sortir du sous-développement avec des stratégies politiques qui n’obéissent pas à certaines règles de transparence et de redevabilité ?

Dans cet entretien, Samuel Kaninda répond et met en lumière l’état de la gouvernance en Afrique.

Les différends rapports, classements mondiaux, indices… brossent souvent un tableau sombre du continent africain. Depuis les indépendances, le continent essaie de sortir du gouffre du sous-développement, avec l’appui de toutes les institutions internationales. Mais le constat reste le même, le sous-développement semble être génétiquement africain.

En 1989, la Banque Mondiale après avoir longtemps aidé les pays africains, s’est finalement concentrée sur l’organisation politique et économique des pays du continent qui absorbent des fonds colossaux et ne parviennent pas à faire décoller leurs économies. Dans un rapport sur l’évaluation des politiques publiques des Etats africains, la BM a constaté que l’organisation politique impacte négativement les aspects économiques, du fait de la mauvaise gestion de toutes les ressources.

Dés lors, l’institution financière internationale s’est intéressée à la gouvernance publique et a mis en place des outils afin d’aider certains Etats à améliorer leurs méthodes de gestion.

De conventions en traités et de traités en protocoles, l’état de la gouvernance en Afrique reste problématique dans sa globalité, malgré les importantes ressources dont dispose le continent.

Les dirigeants africains, conscients du dramatique niveau de pauvreté dans le continent, ont inscrit le phénomène de la corruption comme thème majeur du dernier sommet de l’Union Africaine : « Remporter la lutte contre la corruption : une voie durable pour la transformation de l’Afrique », disaient-ils.

Le phénomène de la corruption est un sujet très délicat pour certains dirigeants qui préfèrent la politique de l’autruche en se limitant aux slogans ou la mise en place d’institutions sans réel pouvoir d’auto-saisine ou de possibilités de faire correctement leur travail.

Membre de Transparency International et coordonnateur de sa section pour l’Afrique de l’ouest, le spécialiste de la gouvernance et de la lutte contre la corruption Samuel Kaninda travaille à Berlin au siège de l’organisation mondiale. S'il tend à être optimiste vis-à-vis de la volonté politique de certains Etats à lutter contre la corruption, Samuel Kaninda fait savoir que le sous-développement est surtout dû au manque de transparence et de redevabilité des gestionnaires de derniers publics. Éclairage.

PanoraPost : Comment se porte l’état de la gouvernance en Afrique ?

Samuel Kaninda : Pour ce qui est de la gouvernance politique en Afrique, il y a encore des progrès à faire. Néanmoins, beaucoup de progrès ont été réalisés. Si je m’étends sur le mode de désignation des dirigeants, on rencontre de moins en moins ce phénomène d’homme forts ou de coups d’Etat qui sont utilisés comme mode d’accession au pouvoir.

Mais notons qu’au niveau de l’Union Africaine et des différents Etats, c’est un mode qui n’est plus accepté et qu’à l’inverse et de plus en plus, les modes d’accession au pouvoir sont électoraux, bien que ces élections dans beaucoup de pays africains restent à parfaire, comme un peu partout dans le monde d’ailleurs. Mais il y a une évolution de ce point de vue, et les citoyens peuvent s’exprimer assez librement et élire leurs dirigeants. Par contre, je souligne qu’il y a des progrès à faire dans ce sens-là, surtout sur le plan de l’organisation des partis politiques.

Si on parle de la gouvernance économique, c’est là où il y a beaucoup d’efforts à fournir, et ce qui vient à l’esprit en premier est le fléau de la corruption qui fait que depuis 60 ans en moyenne après les indépendances en Afrique… le développement économique du continent n’est pas encore au rendez-vous et la gouvernance économique pose problème en raison de  l’inadéquation entre les ressources dont regorge l’Afrique et le développement attendu, ou espéré.

L’Afrique est l’endroit qui enregistre un taux de croissance économique relativement important certes,  mais pour l’indice de développement humain (IDH), elle reste en retard, voire en arrière. Cela veut dire qu’en termes de gouvernance économique, il existe  un problème du fait qu’on ne peut pas traduire ces richesses nationales pour en faire profiter l’ensemble de la population. Le  tableau est assez mitigé mais il y a quelques lueurs d’espoirs dans le sens où certains pays essaient de se distinguer pour pouvoir montrer un autre visage en gouvernance.

PanoraPost : Quel est l’impact de la corruption en Afrique ?

Samuel Kaninda : L’impact de la corruption se concentre au niveau le plus élémentaire… dans le sens de l’accès des citoyens aux services sociaux de base. Quand nous menons des enquêtes sur le baromètre mondial de la corruption, les gens relèvent que dans leur contact avec la police ou pour avoir accès à des soins de santé élémentaires ou encore pour envoyer les enfants à l’école, ils rencontrent invariablement le fléau de la corruption.

Evidemment, il y a aussi les marchés publics, la construction des infrastructures … il n’y a pas assez de transparence. L’impact de la corruption est dû à la


faiblesse des institutions et au caractère corrompu de certains animateurs de ces institutions qui ne font pas bien leur travail aussi.

Par conséquent, le continent perd des ressources dont il a besoin pour son développement.

PanoraPost : Et la volonté politique ? Lors du dernier sommet de l’Union africaine, les chefs d’Etats et de gouvernement ont largement évoqué le problème de la corruption qui gangrène l’économie africaine, mais sans proposer de solutions. Que vous inspire l’attitude des dirigeants africains pour la lutte contre la corruption ?

Samuel Kaninda : Pour ce qui est de l’Union Africaine, c’est vrai qu’il y a plus de déclarations que d’actes concrets, et c’est la raison pour laquelle nous avons rédigé un article intitulé « un peu plus d’action », ou au moins plus que les intentions qui sont énoncées ou déclarées.

Nous avons remarqué des efforts notables dans  certains pays comme le Rwanda et le Botswana ; et ensuite, pour ce qui est du rapport sur l’indice de perception nous avons aussi observé une évolution du Sénégal et de la Cote d’Ivoire. Mais il reste beaucoup d’efforts  à fournir parce que la volonté politique va, ou doit aller, au-delà de la signature de traités ou de conventions.

Cette volonté politique se manifeste aussi par la mise en place d’institutions et que ces institutions fonctionnent sans interférences politiques, que la justice soit indépendante et l’espace démocratique respecté. Nous avons pensé que ces éléments, à savoir la volonté politique affichée, la société civile, les ONG, les différents corps de société civile (les mouvements citoyens…) s’expriment et émettent des propositions, et  demandent des comptes à leur dirigeants…

Si tout cela est fait, réalisé, assuré et assumé, nous pensons que la lutte contre la corruption sera plus efficace.

 

PanoraPost : Concrètement comment percevez-vous  l’attitude de l’Union Africaine

Samuel Kaninda : Deux aspects sont à dégager des annonces lancées par les dirigeants sors de ce Sommet :

Le premier est que même s’il n’y a pas d’évolution, les chefs d’Etas représentés reconnaissent que la corruption est un défi majeur pour l’Afrique et pour son développement, d’où le thème « lutter et gagner contre la corruption pour une transformation durable de l’Afrique ». Donc le premier principe est que les dirigeants reconnaissent que le défi est là.

Le deuxième aspect est qu’on peut relever et remporter ce défi. Ce volet est très important pour bâtir un plaidoyer, pour aller au-delà du thème ou des slogans avec un thème qui vient pour une année et changer pour l’année suivante. Il faut que le conseil consultatif de l’UA travaille là-dessus, pour l’application de la convention de l’UA, pour la prise en charge de la lutte contre la corruption. Il est primordial que les Etats ratifient la convention, mais il est aussi encore plus important qu’un suivi d’action soit mis en place et que les dispositions soient respectées.

PanoraPost : Quelle est l’approche de Transparency International pour aider les pays africains à lutter contre la corruption et la mal gouvernance ?

Samuel Kaninda : L’approche de Transparency International a deux axes principaux ;:

Le premier est la conscientisation. Tout le monde sait que la corruption est un mal pour l’Afrique, mais nous sommes allés plus loin en publiant des rapports qui montrent dans quelle mesure la corruption impacte négativement le développement de l’Afrique et le bien-être des populations. Nous avons le rapport mondial sur la corruption qui se focalise sur des secteurs précis ; nous avons publié sur le secteur judiciaire, sur le secteur de l’éducation, la santé, la corruption politique, même dans le domaine des sports.

Nous avons le baromètre mondial sur la corruption qui est différent de l’Indice de perception sur la corruption, car il est basé sur l’avis des experts. Ce sont les gens ordinaires qui sont consultés, pour permettre aux gouvernants de savoir ce que pensent leurs citoyens par rapport à la manière dont la corruption les affecte et aussi concernant les efforts de leurs gouvernants par rapport à la lutte contre la corruption.

C’est donc sur cette conscientisation que nous menons notre plaidoyer, et  qui nous amène à notre deuxième axe qui est la proposition des solutions.

Elles doivent être adaptées au contexte de chaque pays parce que la manifestation de la corruption au Nigéria n’est pas la même qu’au Kenya. Les secteurs qui sont les plus affectés au Kenya ne sont pas les mêmes qui sont affectés en Algérie ou au Maroc. Il y a des problèmes qui se recoupent et des solutions communes au niveau macro, mais cela dépend de la volonté de chaque Etat de vouloir travailler avec la société civile, y compris Transparency International, pour apporter des solutions durables et non superficielles sur les questions de lutte contre la corruption.

C’est sur cela que repose notre approche, parce que nous ne pouvons pas créer de solutions sans faire comprendre à nos interlocuteurs comment la corruption affecte le bien être et le développement économique de nos pays. Après avoir compris cela, nous pouvons parler de solutions. Il y a souvent des Etats qui sont renfermés, qui font dans le déni,  tandis que d’autres disent travailler davantage. Pour ces derniers, nous avons des outils comme le Système National d’Intégrité (SNI) qui évalue les dispositifs anti-corruption d’un pays en tenant compte de la spécificité de chaque pays.

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue