« Séisme politique » : la Monarchie a ses raisons que les hommes politiques n’ont pas, par Hatim Benjelloun
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- 30 octobre 2017 --
- Opinions
Tout le monde attendait avec force le discours royal d’ouverture de la saison parlementaire. Plusieurs messages forts. Une trame discursive cohérente avec les discours précédents. Un ton verbal décisif, tranchant et dénué de concessions. Seulement, deux mots ont retenu l’attention des commentateurs : « Seisme politique », l’expression est soigneusement étudiée, exprimée puis adulée.
Depuis, les sismologues deviennent légion dans le Royaume. La « punch line » ouvre la voie aux analyses et supputations des plus téméraires aux plus farfelues : révision constitutionnelle, dissolution du parlement, dissolution de certains partis politiques, remaniement ministériel, etc. Entre temps, la Cour des Comptes roule les mécaniques et les tambours. Tout le monde se languit de la sortie de Driss Jettou, homme d’Etat, homme de confiance, crédible et hautement apprécié par le gotha économico-politique. Le verdict tombe le mercredi soir. Les messages se densifient. Les appels se multiplient…pour commenter le peu d’information à disposition, analyser l’illusoire, se réjouir de la punition ou au contraire pester contre l’insuffisance du coup de massue.
Ne commentons pas l’engouement médiatique : même discours, même ton, mêmes messages. Le Clic est roi. Le décryptage est reporté à nouvel ordre. Les partis politiques se terrent dans un silence habituel. Tandis que dans les coulisses, les soupirs de soulagement sont audibles, les langues se délient, on ressent des relents d’amertume pour certains, un esprit de contentement et de revanche pour d’autres.
Ou veux-je en venir ? Le jeu politique est en marche. Je décrivais déjà en 2015, avec l’arrivée aux commandes du PAM, d’un certain Ilyas El Omary, la cristallisation du jeu politique marocain entre deux pôles antinomiques, à l’image des Etats Unis. Un pôle libéral versus un pôle conservateur. Une reconfiguration duale qui annonçait la fin du « poly-pluralisme » stérile et amorphe. Mon analyse, partagée d’ailleurs pas bon nombre d’observateurs politiques, tenait à l’époque, de la caricature. Encore aujourd’hui, je n’ai pas totalement raison. Cela dit, à voir de près la configuration politique au lendemain de l’opération nettoyage, on peut relever quelques prémisses.
Le limogeage de Nabil Benabdallah signe indirectement la fin du PPS, ou du moins dans sa forme actuelle. De même pour le MP, porté bon an mal an par un mammouth de la politique marocaine, Mohamed Laenser. L’intégration de Hassad au parti populaire, avant son éviction semble d’ailleurs si peu hasardeuse. L’Union Constitutionnelle, plus agile et proactive, a délégué son euthanasie politique au RNI. Reste l’USFP, qui semble agoniser depuis le retrait de la personne « royalement » emblématique d’Abderrahmane El Youssoufi.
Dans ce chantier funeste et mortifère, d’autres partis semblent renaître de leur cendre. Certains allant jusqu’à mimer la résurrection du Christ, avec le retour inattendu, mais ô combien symbolique dans le timming, d’Ilyas El Omary. Quant à l’Istiqlal, arriva ce qui devait arriver. Le « game » était facile, à quelques débris de verres près. L’Istiqlal rétablit le sceau de l’élite bourgeoise fassi, entachée par ce qu’on pourra peut-être appeler dans le futur, le Rocancourt de la politique marocaine : Hamid Chabat. Je résume : nous avons aujourd’hui un pôle néo-conservateur, subdivisé en deux courants : un courant idéologique leader fort, représenté par le PJD, puis
un courant challenger technocratique historique représenté par l’Istiqlal. Ce bloc tout aussi compact que fragile permettra de mieux juguler les extrêmes idéologiques.
De l’autre, le bloc social-libéral, également subdivisé en deux : un courant moderniste personnifié par Aziz Akhannouch, crédible par sa puissance « numéraire », et un courant social-démocrate émergent, représenté par le jeune, et non moins puissant, parti du PAM. Dans cette configuration, si on y ajoute la probable élection de Benkirane pour un 3ème mandat à la tête du PJD, le retour d’Ilyas El Omary n’est pas si surprenant. Je dirai même qu’il est opportun. Les deux meilleurs ennemis se battront sur le terrain des populismes, tandis que le RNI et l’Istiqlal se battront sur le terrain des notables et des personnes. Le retour d’un modèle partisan RNIste, calqué sur le modèle du PJD, allié au Bulldozer électoraliste Pamiste, poussera le PJD à démultiplier d’ingéniosité pour maintenir son leadership sur le champ politique marocain.
Dans ce contexte, le jeu doit être à la hauteur de l’enjeu. L’enjeu est de taille. Oui un séisme politique. C’est le signe annonciateur de la reddition des comptes. Le début d’une ère de l’évaluation des femmes et des hommes. L’avènement de l’audit des politiques publiques. Cela dit, la décision royale de limoger et de bannir quelques individus aux caractéristiques, au positionnement et aux parcours différents, répond à un enjeu plus important que la moralisation de la vie politique : un enjeu avant tout sécuritaire.
Autrement dit, l’incompétence, le laxisme, l’indifférence, le népotisme, le clientélisme, l’arrogance, l’égoïsme, etc. ne sont plus seulement destructeurs sur le plan socio-économiques, ils menacent aujourd’hui la stabilité du pays. Le Hirak est un mouvement aux causes multiformes, mais il a néanmoins replacé le patriotisme sur un plan plus générique : être patriote ce n’est pas seulement brandir un drapeau, c’est aussi s’engager, avec force et sacrifice, pour l’intérêt des marocains. Les fonctions officielles ne devront plus être de simples trophées arrachés, avec des sueurs, des larmes et certainement quelques pièces, mais elles relèveront avant tout d’une responsabilité contraignante et impérative. Le devoir sera lourd sur le plan fonctionnel et opérationnel. Il existe, et fort heureusement, des hommes de
devoir. Compétents et intrinsèquement habités par l’obligation du résultat, animés par l’impératif de conscience qui anime et pousse tout dirigeant à servir et à agir selon des valeurs, des règles et une éthique propre à chaque décision. Cela reste cependant bien insuffisant face aux ennemis de la nation. Ils se font de moins en moins discrets. Ils sont à l’intérieur et à l’extérieur. Nous ne pouvons les combattre à travers des semi-profils, entourés de sbires, inconscients du devoir qui leur incombe, que ce soit au niveau national que local.
La colère royale n’est pas une duperie sémantique. Elle est plus que jamais réelle. Elle est institutionnelle et personnelle. Et cette colère guidera les pas du peuple marocain… derrière son Roi. Un peuple qui marchera sur les tricheurs, les menteurs et les intrus. L’éveil citoyen n’est qu’a son début. Seul le Roi en a conscience. Seul le Roi en mesure l’importance. Seul le Roi peut en garantir le succès.
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Hatim Benjelloun est analyste politique et directeur associé à Public Affairs & Services