Quand Dieu a parlé avant le Commandeur des croyants, par Moussa Matrouf

Quand Dieu a parlé avant le Commandeur des croyants, par Moussa Matrouf

Il est environ 18 heures ce vendredi 13 octobre, députés, conseillers et ministres affluent et s’installent dans l’hémicycle de la Chambre des représentants. Puis le roi Mohammed VI fait son entrée, accompagné de son fils le prince héritier Moulay Hassan et aussi de son frère Moulay Rachid, et prend place au perchoir. Habib el Malki, président de la Chambre, marque un temps d’arrêt avant de s’asseoir…

Le Roi fait alors signe au récitateur du Coran de faire son œuvre et ledit commence donc, avec sa voix chaude et profonde, à réciter des versets de la sourate al Anfal (le Butin) :

« Si vous avez imploré l´arbitrage d´Allah vous connaissez maintenant la sentence [d´Allah] Et si vous cessez [la mécréance et l´hostilité contre le Prophète..], c´est mieux pour vous. Mais si vous revenez, Nous reviendrons, et votre masse, même nombreuse, ne vous sera d´aucune utilité. Car Allah est vraiment avec les croyants. Ô vous qui croyez! Obéissez à Allah et à Son messager et ne vous détournez pas de lui quand vous l´entendez (parler). Et ne soyez pas comme ceux qui disent: "Nous avons entendu ", alors qu´ils n´entendent pas. Les pires des bêtes auprès d´Allah, sont, [en vérité], les sourds-muets qui ne raisonnent pas. Et si Allah avait reconnu en eux quelque bien, Il aurait fait qu´ils entendent. Mais, même s´Il les faisait entendre, ils tourneraient [sûrement] le dos en s´éloignant ». (8 : 19-23).

S’il m’avait été permis d’être dans la même salle que celles et ceux qui écoutaient pieusement, au lieu d’être « séquestré » avec les autres journalistes dans une pièce éloignée de la Chambre des conseillers, j’aurais vu de mes propres yeux les regards chavirer et les cœurs remonter dans les gorges !

Les élus de la Nation et les membres du gouvernement, principalement ceux issus de la majorité parlementaire, ont pleinement conscience qu’ils vont entendre, après la Parole de Dieu, et de la bouche même du Roi, des propos qui évoquent ce qu’ils  avaient déjà entendu lors du discours du Trône. Et il ne fait aucun doute qu’ils se doutent vaguement que les versets choisis et qu’ils viennent d’écouter avaient été délibérément choisis… Ils ont cette conviction car ils sont pleinement convaincus qu’ils sont, à ce moment précis, plongés dans une logique sémiotique qui est l’outil privilégié et permanent du palais… et puis aussi en raison de la récurrence des propos royaux sur la conscience des uns et des autres et sur la responsabilité de tous. Mais y a-t-il réellement quelqu’un pour entendre et comprendre ?!

Et soudain, tout se clarifie dans les esprits de ceux qui supputaient que le choix des versets était fortuit, peut-être parce qu’ils pensaient – à tort – que le premier tombait sous le sens, en


pareille occasion, car évoquant l’arbitrage divin… Comme si tous ces gens ignoraient l’existence de cette autre sourate, commençant par : « En vérité, Nous t´avons accordé une victoire éclatante » (48 :1), et d’autres encore qu’on a coutume de réciter au début de chaque activité officielle !

Et ainsi donc, les paroles royales résonnent comme un coup de tonnerre et frappent comme la foudre les « optimistes » convaincus que le choix des versets n’était pas volontaire. En effet, après une très brève introduction, le Roi dit à son auditoire que « cette session fait suite au Discours du Trône dans lequel Nous avons identifié les difficultés qui empêchent l’évolution de notre modèle de développement, et constaté les dysfonctionnements qui sévissent à tous les paliers de l’Administration et au niveau des conseils élus et des collectivités territoriales. Dans ce contexte, prendre un temps d’arrêt pour engager une réflexion critique répond à une exigence du moment; ce n’est nullement une fin en soi, ni le terme du processus. Cette pause marque plutôt l’avènement d’une étape cruciale, où il sera question d’établir une corrélation effective entre responsabilité et reddition des comptes. Il conviendra alors de rechercher activement des réponses et des solutions appropriées aux problèmes urgents et aux questions pressantes des citoyens ».

Quelques phrases passent, puis encore ceci, sur un ton ferme : « En Notre qualité de garant de l’Etat de droit, ayant la charge de veiller au respect de la loi, que Nous sommes, du reste, le premier à appliquer, Nous n’avons jamais hésité à sévir contre quiconque est convaincu de négligence dans l’accomplissement de son devoir national ou professionnel. Dans l’état actuel des choses, une plus grande fermeté s’impose pour rompre avec le laisser-aller et les pratiques frauduleuses qui nuisent aux intérêts des citoyens ».

Les termes employés par le Roi sont incontestablement choisis avec grand soin et prononcés avec la fermeté et la sévérité requises, suffisamment du moins pour que les destinataires directs du discours comprennent enfin que « les problèmes sont connus et les priorités sont claires; nous n’avons nul besoin de recourir à d’autres diagnostics vu qu’il y a, déjà, pléthore en la matière », comme a tenu à la rappeler le roi Mohammed VI.

Les concernés, tous autant qu’ils sont, sont alors abruptement invités à comprendre que le jour approche où il (leur) faudra rendre des comptes, où ils comprendront qu’ils devraient, ou auraient dû, établir une étroite corrélation entre la parole de Dieu et les propos du Commandeur des croyants, surtout que celui-ci a pris le soin de leur rappeler qu’ils sont « comptables devant Dieu, devant le Peuple et devant le Roi de la situation dans laquelle le pays se trouve actuellement », après qu’il les eût prévenus d’un « séisme politique », si besoin en est !

Moussa Matrouf est journaliste et chroniqueur à Mowatine.com (traduction de Panorapost.com)