Et pourquoi le pouvoir et l’argent ne coexisteraient-ils pas ?, par Aziz Boucetta

Et pourquoi le pouvoir et l’argent ne coexisteraient-ils pas ?, par Aziz Boucetta

Avec l’affaire du marché de la Vision 2020 du ministère du Tourisme et la mise en avant de la secrétaire d’Etat Lamiae Boutaleb, accusée d’avoir favorisé son parti, voire « népotisé » un membre dirigeant du RNI, il est utile de se poser certaines questions de fond… en dehors de tout énervement ou parti pris, et maintenant que les esprits se sont un peu calmés. Alors reconsidérons les choses…

Question n°1 : les partis marocains ne sont-ils pas boudés par les entrepreneurs et n’ont-ils pas pourtant besoin dans leur encadrement de dirigeants d’entreprises habiles ?

Question n°2 : Dans ses marchés publics, le Maroc peut-il se permettre le luxe d’ostraciser des entreprises marocaines prospères et ayant développé un bon savoir-faire, au prétexte que leurs dirigeants sont membres du même parti que le donneur d’ordre ?

Si la réponse à ces deux questions est affirmative, mieux vaut ne pas poursuivre la lecture de cet article. Si, en revanche, la réponse est non, alors on peut approfondir. Approfondissons donc.

Une entreprise marocaine doit pouvoir avoir accès à tous les marchés publics de l’Etat. Il n’est écrit nulle part que si le donneur d’ordre appartient à la même famille politique ou biologique que l’entrepreneur, il doive renoncer à soumissionner et que le responsable administratif doive s’abstenir de recevoir son offre. Si tel était le cas, plus un parti grandirait, et moins il aurait de cadres entrepreneurs. Ce qui est non seulement illogique, mais nuisible à la bonne marche des affaires publiques.

Alors où est le problème ? Le problème réside dans l’historique malsain d’une administration qui a toujours fonctionné aux « ismes » négatifs : népotisme, clientélisme et favoritisme. Et puisqu’on parle de Lamiae Boutaleb et de Mohamed Sajid, le problème est aussi dans le fait que le RNI et l’UC traînent derrière eux une longue réputation de ces « ismes ».

Il est donc naturel que les plus grands soupçons naissent si un marché est attribué à un(e) proche RNI de la ministre RNI. Et, suite logique, tout le monde s’est élevé contre ce qui a été qualifié de « isme ». Un démenti a été publié, accordons lui crédit, et attendons la suite.

Et quelle serait cette suite ? Si elle doit consister à critiquer tout ce qui se fait et à éreinter tous ceux qui font, au prétexte qu’ils sont indélicats, ou incompétents, ou clientélistes ou autres, nous verserions dans un nihilisme dévastateur pour un pays qui a besoin de tous ses cadres et dirigeants, de quelque


bord soient-ils.

La solution est, encore et toujours, dans la transparence, la communication et, le cas échéant dans la justice. Nous sommes là face au problème éternel de la morale et de l’éthique. Le philosophe français Michel Onfray a eu l’expression juste en préconisant de « ne pas faire de l’argent l’horizon indépassable de toute éthique et de toute politique ». Cela devrait s’appliquer au Maroc.

Mais dans notre pays, le rapport à l’argent a de tous été inscrit sous le signe de la méfiance et de la défiance. Un riche est soit un héritier, soit un indélicat (corrompu ou autres) soit un suppôt/support du makhzen ; il est donc systématiquement vilipendé. Et c’est d’autant plus paradoxal qu’en cette époque qui est la nôtre, le matérialisme est roi et tout le monde aspire à disposer du plus de moyens possibles…  tout en s’en prenant, systématiquement, aux nantis.

Or, les temps changent et les mœurs évoluent. Le royaume souhaite s‘inscrire comme puissance régionale et continentale. Pour cela, il faut d’abord se réconcilier avec soi-même et ses riches et ensuite savoir accepter tous ceux qui ont quelque chose à apporter. Il est important de se défaire de la conception latine, héritée du colonialisme, consistant à ériger une muraille entre le pouvoir et l’argent, pour adopter la démarche anglo-saxonne, où argent et pouvoir peuvent coexister, sous l’œil vigilant de la justice.

Au Maroc, pays confluent de plusieurs cultures et civilisations, il faut savoir se donner les moyens de la réussite, régionale et continentale, et pour cela, il ne faut pas hésiter à se défaire du carcan traditionnaliste arabo-musulman ou latino-catholique, où l’argent et les riches éveillent toujours les soupçons.  Il ne faut pas hésiter à mettre au point un système qui soit le nôtre.

Mais la justice doit être là, et la confiance aussi. Et surtout le renoncement à la défiance systématique. Il est nécessaire que d’un côté, l’opinion publique (médias en veille et réseaux sociaux qui surveillent) accepte que des entrepreneurs soient aux commandes, que de l’autre, les responsables politiques aient le sens de l’éthique, du devoir et de la morale, n’hésitant pas limoger les indélicats et que, enfin, le glaive de la justice s’abatte sur tous ceux qui faillent à leurs devoirs.

Le Maroc ne s’en porterait que mieux, bien mieux que de sacrifier à la condamnation réflexe et au reproche systématique de gens qui ont atteint ce que la plupart des autres recherchent.