Entretien avec un chrétien marocain

Entretien avec un chrétien marocain

Il ne révèle pas sa véritable identité, se faisant appeler Mustapha Soussi, mais il est le porte-parole d’une coordination de chrétiens marocains. Dans cet entretien, nous essayons d’en savoir plus sur cette communauté, dont les membres aspirent à bénéficier de droits que requiert leur foi. Ils souhaitent pouvoir être reconnus et surtout ne plus être bousculés et traqués, ainsi qu’ils l’ont déclaré dans un courrier adressé à qui de droit. Mustapha Soussi a accordé cet entretien à notre confrère Mowatine.com.

Mowatine – Dans un courrier que vous avez adressé au chef du gouvernement et aux ministres concernés en tant que coordination des chrétiens marocains, vous avez dénoncé l’abus de pouvoir dont vous pensez être victimes…

Mustapha Soussi – Nous pâtissons de la part des autorités et de certains fonctionnaires de comportements contraires à la loi, ce que nous refusons. Nous sommes Marocains et nous sommes tous des enfants de cette Nation ; la même loi doit nous régir, sans ostracisme. Nous demandons à ces fonctionnaires d’appliquer la loi et de ne pas en dévier et l’interpréter à leur manière.

Etes-vous libre de pratiquer votre foi au Maroc ?

Aujourd’hui, nous pratiquons encore notre religion officieusement, et nous revendiquons notre droit de pouvoir nous adonner à notre culte sans avoir besoin de nous dissimuler aux regards des autres.

Espérez-vous que l'Etat vous aide à disposer de lieux de culte ?

Nous demandons à bénéficier de lieux clairement affectés à nous, à l'instar des autres religions, de même que nous demandons à être reconnus et à ce qu'il nous soit permis de pratiquer notre religion.

Faits-vous du prosélytisme, sachant que nombreuses sont les personnes qui accusent les chrétiens de cela ?

Il faut distinguer l'évangélisation et le prosélytisme. L'évangélisation est le fait de porter une bonne nouvelle à quelqu'un, et cette bonne nouvelle n'a pas particulièrement besoin d'être dite, car il suffit de se comporter d'une manière morale et d'avoir de bonnes mœurs et valeurs. Et sur ce plan de la morale et de la vertu, cela ne concerne bien évidemment pas que les chrétiens, mais les adeptes des autres religions aussi. L’évangélisation ne conduit pas nécessairement à changer sa religion. Nous ne faisons par ailleurs aucun prosélytisme, et il est très important de distinguer les deux concepts.

Etes-vous à l'abri de toute action de  prosélytisme ?

Vous ne pouvez ni ne devez tenter d'influencer un enfant pour l'amener à devenir chrétien, de même qu'il est complètement amoral et immoral de donner de l'argent à un individu pour l'encourager à changer sa foi. C’est cela le prosélytisme.

Faites-vous de la prédication au Maroc ?

Nous ne pratiquons pas la prédication, au sens où vous l'entendez, mais quand quelqu'un vient me voir et m'interroge sur ma religion, je lui explique ce qu'il veut comprendre,  et je lui réponds à ses interrogations sur mes pratiques. Je ne vais jamais au-devant d'autrui, mais quand on me questionne, je réponds.

Avez-vous une idée du nombre de chrétiens marocains ?

Il n'existe pas de statistiques fiables, et personne ne peut avancer de chiffres précis sur les effectifs de chrétiens marocains...et cela est


dû au fait que mes coreligionnaires craignent la réaction de la société, de leur famille et de leurs collègues au travail.

Mais à titre personnel, je pense que le nombre de chrétiens marocains est très élevé, en cela qu'on les trouve partout dans le royaume. Il existe des familles où vous avez trois chrétiens, mais aucun ne se confie à l'autre. Et regardez le nombre de Marocains qui passent sur des chaînes chrétiennes.

Même pas une estimation sur l'effectif ?

Nous saurons cela et je vous répondrai lorsque nous disposerons d'églises et que nous pourrons y aller en toute liberté, au vu et au su de tout le monde. Cela étant, et à titre personnel, je pense que nous devons être autour du million de Marocain(e)s à avoir embrassé la foi chrétienne.

Quelles sont les régions où il existe le plus de chrétiens marocains ?

Le Sud du royaume, j’ignore pourquoi mais c’est comme cela. Probablement parce qu’il existe une histoire du christianisme dans cette partie du Maroc et que les rituels y ont résisté au temps.

Quels sont les « profils » des chrétiens marocains ?

Ils appartiennent à toutes les catégories socioprofessionnelles. Des fonctionnaires, des médecins, des ingénieurs et même des personnalités publiques. Il y a tout autant de riches que de moins riches à avoir embrassé la foi chrétienne.

Quel est le culte chrétien dominant au Maroc ?

La plus grande partie des chrétiens marocains sont des adeptes des Evangiles, et ils ne se reconnaissent dans aucun culte en particulier, mais se réclament du Christ seulement. Les catholiques et les orthodoxes sont une petite minorité.

Pourquoi ces évangéliques sont-ils les plus nombreux ?

Quand nous disons que nous sommes chrétiens évangéliques, cela signifie que nous refusons d’entrer dans des rituels qui n’en finissent pas. Nous croyons en le Livre Saint et en le Christ, et c’est tout.

Avez-vous déjà organisé une rencontre avec des Marocains musulmans autour de cette question ?

Il y a des échanges avec les musulmans, mais rien d’officiel. Nous n’avons aucun problème à participer à de tels échanges, mais nous veillerons à ce que tout cela soit inscrit dans le cadre de la loi.

Quelle genre de relation voulez-vous établir avec les autorités afin qu’elles reconnaissent votre existence ?

Nous avons déposé un écrit allant dans ce sens auprès du Conseil national des droits de l’Homme, de même que nous avons envoyé une lettre ouverte au chef du gouvernement Saadeddine El Otmani. Mais aujourd’hui, nous observons une pause en raison de la situation qui prévaut au Maroc, et nous reprendrons nos contacts quand les problèmes seront résolus.

Qu’avez-vous dit au chef du gouvernement ?         

Nous avons évoqué des questions prioritaires, qui se résument en cinq points : disposer de lieux de culte, pouvoir contracter des alliances conjugales civiles en laissant le choix à ceux qui le veulent de faire des mariages religieux, avoir des cimetières qui nous soient dédiés, choisir des prénoms chrétiens pour nos enfants et, enfin, faire de la matière religieuse dans l’enseignement une option facultative pour nos enfants.

Propos recueillis par Mustapha Azougah de Mowatine.Com