Benkirane ou l’irrésistible désir de rester, par Aziz Boucetta
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- 07 juillet 2017 --
- Opinions
On ne se défait jamais du pouvoir, mais on s’y fait toujours. Le pouvoir procure une immense ivresse, même pour le plus prude des hommes (ou femmes) de vertu. Et quand on est ivre, on ne prend plus la mesure des choses. Ainsi est notre Abdelilah Benkirane, un homme qui a su hisser son parti au plus haut, qui a su l’y maintenir, mais qui ne se résout pas à passer la main et à laisser sa place aux autres...
Il n’aura pas tenu 100 jours après sa révocation, le secrétaire général du PJD, avant de sortir de son mutisme, de revenir en force et de rappeler à tout le monde qu’il y est, et qu’il compte bien y rester, même en tordant un peu le cou au droit et aux règles du PJD.
L’homme se voit un destin national, et se sent une popularité débordante, outrepassant de loin les 1,6 million d’électeurs qui ont voté pour son parti le 7 octobre dernier. « Si moi j’ai admis ma révocation, la société ne l’a pas acceptée », a-t-il dit récemment à ses frères, affirmant que beaucoup de personnes lui ont demandé de « ne pas baisser les bras », de résister… A quoi ? A une décision royale, bien qu’il dise qu’à ses yeux, la monarchie n’est pas négociable… A la constitution qui, dans son opacité savamment calculée, permet bien des lectures pour sortir d’une crise politique et institutionnelle. « Je suis un chef de parti en fin de parcours, sauf imprévu… », dira aussi le secrétaire général du PJD, laissant la porte ouverte à un prévisible retour en force…
Alors Benkirane revient en force, après avoir gelé des mois durant les instances de son parti et jeté un froid plus que glacial entre ses dirigeants. En effet, dépouillé de ses soutiens habituels (Ramid, Yatim, el Khalfi, Daoudi et les autres…), il a refusé de convoquer le secrétariat général deux longs mois, avant d’avoir l’idée de renforcer cet organe où il se trouvait en minorité, à l’avantage de Saadeddine El Otmani. En adoubant
Jamaâ Moâtassim, son ancien chef de cabinet, Mohamed Hamdaoui, ci-devant patron du MUR et Abdelaziz El Omari, son poulain par ailleurs maire de Casablanca, pour lequel il ne tarit pas d’éloges, le toujours chef du PJD se met en position d’insuffler un nouvel élan à sa carrière finissante en soufflant, sans doute, un changement de statut du PJD pour lui permettre de briguer un 3ème mandat.
Un proche d’el Otmani explique que le nouveau chef du gouvernement avait accepté l’entrée de l’USFP, source de blocage du temps de Benkirane, pour éviter le grand saut dans l’inconnu institutionnel. « Si le refus d’accueillir l’USFP au sein du gouvernement s’était poursuivi, où en serions-nous arrivés ? », argumente notre homme A très certainement rien de bien. Et pourquoi cela ? Pour maintenir Benkirane au gouvernement.
Et maintenant que les choses sont passées, que le gouvernement est formé, et que le pouls du Maroc bat à al Hoceima, ledit Benkirane se rabat sur le parti et y organise un putsch en vue d’un très souhaité 3ème mandat. Or, un 3ème mandat, et voilà le gouvernement déstabilisé, les institutions instables et le parcours du PJD biaisé.
Mais tant que Benkirane est heureux, diront ses proches, amis, soutiens et autres amateurs des propos de corps de garde, tout est bien. Vraiment ? Non, car finalement, en insistant, en complotant et en manœuvrant pour obtenir un autre mandat de chef, Benkirane ne fait pas mieux que les autres chefs éternels de partis qui ne se résignent guère à retrouver une vie normale après goûté à l’ivresse du pouvoir.
L’ancien chef du gouvernement a joué un rôle essentiel dans l’édification de la (très) jeune démocratie marocaine, et il a contribué à l’émergence d’un vrai parti politique. Il est dommage qu’il s’incruste autant. Son rival de toujours, El Otmani, avait accepté de s’effacer quand en 2008, il avait été battu par Benkirane ; et ce dernier, chef du gouvernement, avait dit et redit, assourdi, que le chef du gouvernement devait être aussi chef du parti.
Attendons alors le Conseil national extraordinaire du PJD, le weekend prochain, et voyons si Benkirane est un homme d’Etat ou un vulgaire amateur d’éclat(s).