Le Professeur Abdellatif Jouahri décortique l’économie du pays devant les patrons

Le Professeur Abdellatif Jouahri décortique l’économie du pays devant les patrons

Il décortique, il diagnostique, et il pronostique, le wali de Bank al-Maghrib, Abdellatif Jouahri. Il était invité de la CGEM à Agadir et en a profité pour dresser un état des lieux et établir des prévisions. Un véritable cours d’économie politique. L’orateur, tout en étant pessimiste sur les performances économiques en 2016, table sur une reprise en 2017.

Le wali de Bank al-Maghrib commence donc par brosser un tableau de la conjoncture économique internationale et régionale, de laquelle se dégagent les tendances de hausse du chômage, surtout dans les rangs des jeunes, ainsi qu’une hausse de l’endettement et une baisse de la marge de manœuvre de la politique budgétaire. Le reflux de l’activité économique dans ces économies (UE, Brésil, Chine…) a donc fortement impacté le Maroc, avec une atonie de la demande étrangère adressée au royaume et la résilience des transferts MRE et des recettes de tourisme.

La baisse de régime économique s’est alors traduite par un dépassement de la demande de pétrole par l’offre , entraînant mécaniquement une chute des cours, ce qui a bénéficié au Maroc avec la réduction de sa facture énergétique, et aussi la baisse de l’inflation importée d’Europe, principal partenaire économique du pays.

Au Maroc, l’activité industrielle a été marquée par des difficultés structurelles, avec un ralentissement de la croissance des industries de transformation de 3,4% entre 2000 et 2008 à 0,9% de 2012 à 2015, cela rejaillissant bien évidemment sur l’emploi qui s’est inscrit en recul depuis 2009. La part de l’industrie dans le PIB a elle aussi connu une régression, de 17% entre 2000 et 2007 à 15,5% sur la période 2008-2014 et  de 12,8% à 11,9% dans l’emploi.

Cependant, le secteur industriel a connu un saut qualitatif, avec l’émergence de l’industrie automobile, devenu premier secteur d’exportation, avant même les phosphates et leurs dérivés. Pour ce qui concerne les industries aéronautiques et pharmaceutiques, malgré un bel essor, elles demeurent relativement faibles. Mais c’est le secteur du BTP qui régresse le plus fort ; ainsi, après plusieurs années de dynamisme, le BTP a fortement décéléré, sa croissance moyenne étant revenue de 7,5% entre 2000 et 2007 à 4,3% entre 2008 et 2011 et à 1,4% entre 2012 et 2015, mais sa part s’est améliorée de 4,9% en moyenne entre 2000 et 2007 à 5,5% entre 2008 et 2014 dans le PIB et de 7,1% à 9,5% dans l’emploi. Quant au secteur tertiaire, ce moteur de croissance de l’économie nationale, il a connu également une décélération, même si sa part s’est améliorée de 51,3% entre 2000 et 2007 à 51,9% entre 2008 et 2014 dans le PIB et de 35,4% à 38,6% dans l’emploi.

Reste le secteur primaire, agricole… Encore fortement corrélé à la pluviométrie, sa part dans le PIB est passée de 15% en 1998 à 11% en 2014, mais il assure près de 40% de l’emploi du pays. Cela étant, rien n’est pérenne ni logique, semble


dire Abdellatif Jouahri car malgré une année 2015 exceptionnelle, le secteur a perdu 32.000 emplois.

Et plus grave encore est le fait que l’économie nationale génère de moins en moins d’emplois. Le nombre de créations nettes est passé de 168.000 en moyenne entre 2001 et 2008, à 80.000 entre 2009 et 2012 et seulement 56.000 entre 2013 et 2015 alors même que pour stabiliser le taux de chômage à son niveau de 2015, les créations nettes d’emplois devraient avoisiner 160.000 postes en moyenne annuelle, c’est-à-dire presque trois fois plus que ce qui se produit actuellement.

L’endettement s’est considérablement aggravé en quelques années, passant de 45,4% du PIB en 2008 à 64 % en 2015 (dont 49,6% du PIB en dette intérieure et 14,4% en dette extérieure), un niveau élevé par rapport à la moyenne des pays ayant la même notation. Mais le déficit budgétaire a été amélioré, grâce notamment à la baisse de la facture pétrolière et à la forte réduction de la charge de la compensation, qui était de 55 milliards de DH en 2012, pour se fixer à 14 « seulement » en 2015. De plus, attirés par la stabilité et la sécurité du pays, les IDE continuent d’affluer avec un montant annuel moyen de 38 milliards de DH depuis 2013, orientés principalement vers l’immobilier et l’industrie, notamment alimentaire.

Autre point positif depuis 2012, les réserves de change se sont renforcées, passant de 4 mois d’importations en 2012 à 6 mois et 24 jours en 2015 et le trend devrait se poursuivre à hauteur d’un mois de couverture additionnel par an.

Mais, en revanche, ce qui est moins positif, voire même inquiétant, est le tassement de l’évolution positive du crédit bancaire, révélateur de l’atonie de la demande intérieure…  ainsi, les crédits pour les entreprises sont passés de -2,5% en 2013 à  4,1% en 2014 à 2,2% en 2015 et, pour les mêmes années, ces crédits ont reflué pour les ménages de 8,7% à 4,8% puis 3,7% pour 2015.

Et donc, pour Jouahri, en 2016, l’activité économique devrait enregistrer un net ralentissement, avec une croissance autour de 1%. Elle devrait reprendre pour avoisiner 3,9% en 2017, sous l’hypothèse d’une récolte céréalière moyenne de 70 millions de quintaux. Quant au déficit budgétaire, il devrait ressortir en ligne avec les objectifs du gouvernement à 3,7% du PIB en 2016 et à 3,1% du PIB en 2017, favorisé par le niveau bas des prix du pétrole et les entrées des dons des pays du Golfe.

Mais la demande intérieure devrait repartir, favorisée par une politique hardie de la Banque centrale, qui a pris deux grandes orientations : la réduction par quatre fois de son taux directeur depuis 2012, le ramenant de 3,25% au  niveau historiquement bas de 2,25%, puis la réduction progressive du ratio de la réserve obligatoire de 16,5% en 2007 à 2% en 2014 pour endiguer le besoin de liquidité sur le marché monétaire.