Pourquoi le Maroc a gagné devant le tribunal arbitral sportif de Lausanne

Pourquoi le Maroc a gagné devant le tribunal arbitral sportif de Lausanne

On le sait, le Maroc a remporté un succès franc et massif devant le Tribunal arbitral sportif de Lausanne, auquel il avait soumis son contentieux avec la Confédération africaine de football, suite à la décision de celle-ci de le suspendre pour les CAN 2017 et 2019, en plus de celle de 2015 de laquelle il avait été disqualifié par la volonté unilatérale d’Issa Hayatou, président de la CAF. Comment le Maroc a-t-il remporté cette victoire et la CAF aurait-elle pu s’abstenir d’exécuter la sentence du TAS ?

Pourquoi le Maroc a-t-il saisi le TAS ?

En matière de sport continental, et comme dans tout litige international, quand une partie prend une décision contre une autre, il existe toujours une voie de recours. Ainsi est la justice et ainsi sont les règles de l’équité. Quand le Maroc avait été disqualifié de la Coupe d’Afrique des Nations qui devait se jouer sur son sol, après que la CAF eût trouvé une autre terre d’accueil après la demande de report exprimée par crainte de propagation du virus Ebola, il avait accepté l’arrêt rendu par la CAF et attendait une sorte de « clémence » pour les compétitions à venir.

Il avait argué de sa bonne foi et de ses bonnes intentions en proposant son expérience et ses services à la Guinée équatoriale, où devait se jouer la CAN. Puis il avait laissé les portes ouvertes à toute négociation ultérieure avec la CAF pour voir les sanctions atténuées ou, du moins, limitées à l’aspect financier. La suspension de l’équipe nationale A des CAN 2017 et 2019, en plus de 10 millions de $ d’amende et dommages-intérêts, étaient tombées le 6 février comme un couperet sur ce sport-roi au Maroc ; il fallait réagir.

En l’absence de toute information qui confirmerait la chose, il semble bien que la décision d’aller au devant du TAS ait été prise par le palais royal, sachant que la saisine du tribunal sportif n’allait pas être bien reçue par l’irascible Issa Hayatou. Contactés par PanoraPost, plusieurs dirigeants de la Fédération royale marocaine de football avaient néanmoins refusé de se laisser emporter contre Hayatou, laissant toujours la porte ouverte.

Mais des consultations avaient été menées avec des conseils internationaux et le choix fut porté sur Maître Boyon, du Cabinet d’avocats Jeantet.

Qui est Maître Boyon, défenseur du Maroc ?

Michel Boyon, 69 ans, est un des grands spécialistes français de l’audiovisuel. Enarque, Conseiller d’Etat, « père » de la privatisation de tF1, administrateur de France 2, il était aussi le directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin du temps où celui-ci était premier ministre de Jacques Chirac de 2003 à 2005. Cela crée des liens avec le Maroc. Il a été ensuite désigné président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, l’équivalent de la HACA marocaine. Parti en retraite en 2011, il a endossé la robe d’avocats en rejoignant le cabinet Jeantet, présent aussi au Maroc.

Maître Boyon a été approché par les Marocains après la décision de la CAF du 6 février, et a tout de suite pris attache avec l’avocat sénégalais Seydou Diagne, spécialiste en droit du sport, puis avec le cabinet Libra de Lausanne, fin connaisseur des arcanes du TAS. Le dossier du Maroc a alors commencé à être constitué, avec tous les éléments de fonds et de forme.

Quels ont été les arguments du TAS pour donner raison au Maroc ?

Selon Maître Boyon, les trois juges du TAS – Pr Luigi Fumagalli, Italie (Président), Me François Klein, France, et Me Michele Bernasconi, Suisse – ont jugé d’une disproportion entre les sanctions sportives et financières infligées au Maroc et la demande de report exprimée par


Rabat (et non le désistement comme cela est mentionné dans le communiqué du TAS).

Sur la forme, la décision de sanction de la CAF est intervenue presqu’à l’improviste, en l’absence d’un représentant du Maroc, et avant même la fin de la CAN équato-guinéenne, alors que pendant la réunion du Caire, il avait été convenu par la CAF et la FRMF qu’une décision finale allait être rendue après la CAN 2015. De plus, lors de cette même réunion, Issa Hayatou avait demandé aux Marocains de lui donner les « vraies » raisons de la demande de report, en contrepartie d’une clémence de la CAF, ce qui n’avait pas manqué de surprendre les juges du TAS qui voyaient là une mainmise du président sur une instance continentale. Enfin, selon un responsable de la fédération, les juges ont plutôt mal perçu le fait d’essayer de surprendre le Maroc en mettant en face de lui le Marocain Hicham el Amrani pour défendre le dossier de la CAF dont il est secrétaire général, de même qu’ils ont également réagi à la diffusion en audience d’un enregistrement de la réunion du Caire.

Sur le fonds, les sanctions imposées ne figurent pas dans les statuts de la CAF (curieusement introuvables sur le site de la Confédération), qui ont été modifiés en décembre 2014, soit après la demande de désistement et après la décision de retirer, définitivement, l’organisation de la compétition au Maroc ; de plus, les magistrats, tout en considérant que le virus Ebola n’était pas un cas de force majeure (avec  5.000 victimes tout de même en octobre…), ont estimé que le Maroc était suffisamment « puni » par le retrait de la CAN au Maroc, ce qui avait causé un préjudice financier à ce pays, tant dans ses contrats publicitaires que dans les efforts budgétaires consentis pour accueillir le tournoi panafricain.

Pourquoi la CAF a-t-elle été obligée de s’incliner devant la décision du TAS ?

La CAF est membre de la FIFA, qui reconnaît l’autorité du TAS en cas de litige avec une fédération membre. La CAF a également accepté de se soumettre au verdict du tribunal de Lausanne en y défendant sa décision, c’est-à-dire en ne remettant pas en question l’autorité de cette instance judiciaire.

De plus, il faut savoir que les décisions du TAS sont rendues sans possibilité d’appel sur le fonds, mais sur la forme. Dans ce cas, il faut soumettre le dossier au tribunal fédéral suisse, qui ne statue que sur la forme, c’est-à-dire relève les éventuelles anomalies commises par les juges du TAS. Or, le temps manquait à la CAF, car la procédure devant le tribunal fédéral est longue et que le délai entre la sentence du TAS et le tirage au sort pour les éliminatoires de la CAN 2017 n’était que d’une semaine. En effet, ce tirage au sort aura lieu demain 8 avril au Caire.

Il faut dire que la défense du Maroc a été astucieuse en demandant au TAS « d’aller vite » afin de statuer avant ce 8 avril, faisant d’une pierre deux coups, à savoir garder ses chances pour participer à ce tirage au sort et, en cas de victoire (ce qui a été le cas), fermer toute porte de contestation de forme à Hayatou, qui n’aurait pas manqué de le faire s’il en avait eu le temps.

Conclusion

Ainsi que le dit Maître Boyon, si le droit n’est pas la justice et inversement, le TAS a su concilier les deux et a pu montrer que, finalement, dans le domaine du sport, il existe des valeurs qui priment sur le reste… le reste étant surtout l’argent.

Aziz Boucetta