Quel avenir pour le Sahara avec la présence des Démocrates à la Chambre des représentants ? Nicolas Gachon répond

Quel avenir pour le Sahara avec la présence des Démocrates à la Chambre des représentants ? Nicolas Gachon répond

La présence des Démocrates à la Chambre des représentants constitue la nouvelle donne de la politique américaine où le président Trump avant la victoire de Démocrates lors des midterms faisait la pluie et beau temps, notamment la politique étrangère américaine où il a fini de basculer codes, traité et conventions

Ce nouveau changement peut concerner aussi la suite des engagements de l’ONU, qui risquent aussi d’être impactés par les mesures que le président américain veut prendre notamment la diminution des budgets pour les missions onusiennes notamment la MINURSO.

Nicolas Gachon (photo ci-contre), maître de conférences en civilisation américaine contemporaine à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, spécialiste des questions politiques, détaille les enjeux de ces élections, apporte les éclairages. Entretien

Les Démocrates à la Chambre des représentants. Jusqu'à quel niveau la politique étrangère de Trump risque-t-elle d'être impactée ?

Il est effet pour le moins probable que les Démocrates, désormais majoritaires à la Chambre des représentants, chercheront à exercer une pression sur l’exécutif dans les secteurs de la sécurité nationale et de la politique étrangère. Au-delà du jeu normal des pouvoirs et contre-pouvoirs institutionnels, les Démocrates devraient s’appliquer à circonscrire la marge de manœuvre de l’individu Trump : son autoritarisme, sa vision du monde, voire certaines de ses relations d’affaire avec des puissances étrangères.

La Chambre des représentants, parce qu’elle est historiquement la chambre élue par le peuple (contrairement au Sénat dont les membres n’étaient pas élu avant 1913), détient un pouvoir considérable dans le contrôle des finances publiques. On voit le résultat en ce moment même dans le bras de fer autour du fameux « shutdown » (arrêt partiel des activités gouvernementales). S’agissant de la politique étrangère, les Démocrates pourront demander au Pentagone et au Département d’État de rendre davantage de comptes pour justifier un certain nombre de dépenses et d’opérations. Ils pourront demander une réduction des dépenses militaires. Sur un plan politique, les Démocrates pourront essayer de peser pour des actions de long terme, avec une attention particulière pour des dossiers comme le réchauffement climatique ou la pauvreté dans le monde. Cela étant, le pouvoir des Démocrates sera entravé par deux dynamiques très importantes : tous les Démocrates ne sont d’une part pas d’accord entre eux, certains souhaitent former une opposition de principe en termes de politique étrangère et de sécurité nationale tandis que d’autres, plus modérés, ne souhaitent pas donner l’impression de critiquer les forces militaires américaines ; le Sénat est d’autre part resté sous le contrôle du Parti républicain, ce qui limite considérablement le champ d’action des Démocrates.

De manière schématique, trois chantiers semblent se dessiner. En premier lieu, la Chambre des représentants démocrate devrait impacter l’action internationale de l’administration Trump via un contrôle accru des dépenses militaires, tout en promettant de mieux former et de mieux équiper les soldats. Devraient également resurgir des débats très politiques voire idéologiques : le développement de l’arsenal nucléaire souhaité par Trump, sa tentative d’écarter les soldats transgenres de l’armée américaine, etc. En second lieu, les Démocrates devraient user des nouveaux leviers institutionnels dont ils disposent pour obtenir des informations qui leur ont jusqu’ici été refusées sur les connexions internationales de Donald Trump, ses propriétés à l’étranger, ses liens avec la Russie. Les Démocrates pourraient même relancer la commission d’enquête de la Chambre des représentants sur les soupçons d’ingérence russe dans la présidentielle de 2016. Le troisième chantier concerne les dossiers brûlants : le soutien américain à la guerre au Yémen, le rapport de force engagé avec la Chine sur fond de guerre commerciale alors même que les liens de l’administration Trump semblent se resserrer avec l’Arabie Saoudite, les relations de Donald Trump avec les nouveaux dirigeants au Mexique et surtout au Brésil, en particulier le très populiste Jair Bolsonaro.

Au-delà du rééquilibrage institutionnel dans le sillage...

des récentes élections de mi-mandat, c’est surtout le programme démocrate en matière de politique étrangère qui est en train de s’écrire dans la perspective des présidentielles de 2020.

Trump a promis la coupe du budget de certaines missions de l'ONU notamment la MINURSO, en réduisant de facto la durée de ces missions. Est-ce que c'est réalisable en ce moment de cohabitation ?

Il s’agit là de décisions très idéologiques inscrite dans une volonté de démantèlement des structures multilatérales qui, pourtant, ont permis de construire l’hégémonie américaine après la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’épisode récent du retrait des États-Unis de l’UNESCO a déjà fait grand bruit. Au-delà des intérêts réels, géopolitiques et de long terme des États-Unis, notamment en termes d’image et de « soft power », il faut surtout y voir la volonté d’afficher la mise en œuvre de certaines promesses de campagne de l’ex-candidat Trump : « America First », « Make America Great Again », « Je ne suis pas le président du monde ; j'ai été élu président des États-Unis », etc. L’administration Trump souhaite donc réduire sa participation financière au maintien de la paix dans le monde dès cette année avec pour argument, récemment formulé par John Bolton, Conseiller à la sécurité nationale, que de tels dispositifs tendent davantage à prolonger indéfiniment les conflits qu’à les résoudre.

S’agissant de la MINURSO, force de maintien de la paix au Sahara occidental, le budget annuel pour l’ONU est de 52 millions de dollars par an depuis 1991. Les impératifs idéologiques sont très perceptibles dans le fait que John Bolton a lui-même participé en son temps à l’élaboration du mandat de la force de l’ONU déployée sur place et qu’il la remet aujourd’hui en question pour son coût excessif. C’est très idéologique au regard de ce que peut coûter, par exemple, la moindre opération aérienne sur un quelconque théâtre d’opération. Le projet de réduction à 6 mois de la présence de la MINURSO au Sahara est l’une des composantes du prisme politique de Donald Trump et s’ajoute à d’autres mesures déjà évoquées. La campagne des présidentielles de 2020 est déjà lancée et Trump doit conforter sa base.

La décision de Trump est-elle réalisable dans ce moment de cohabitation entre une Chambre démocrate et un Sénat républicain ? Le problème est un problème d’ordre strictement économique entre Donald Trump et les Nations Unies, ce qui signifie que la politique américaine au Sahara occidental n’est pas ici la question prioritaire. Il serait à tout le moins contre-productif, en tout cas contraire aux intérêts géopolitiques des États-Unis, de se désengager d’une zone extrêmement volatile qui pourrait se faire le terreau de dynamiques extrêmement dangereuses. Pour être effective, la décision devrait être validée par les deux chambres du Congrès, avec désormais une opposition démocrate. Cela étant, l’avenir de la MINURSO n’est pas forcément menacé, son rôle n’étant de surcroît plus d’organiser un référendum mais de garantir un cessez-le-feu. Elle pourra fonctionner avec un budget réduit. Le retrait des États-Unis de l’UNESCO ne remet pas l’UNESCO en cause. Nous sommes dans le symbole, et le symbole est économique.

La toute nouvelle majorité démocrate à la Chambre des représentants vient de voter un projet de loi budgétaire dont une des dispositions lève l’autorisation pour le Maroc d’utiliser l’aide américaine dans les territoires sahraouis occupés. Le Maroc sera forcément très attentif à la position du Sénat sur ce sujet. Cela étant, la Chambre des représentants précise explicitement que ce projet de loi ne saurait être interprété comme un changement de la politique américaine à l’égard de la question sahraouie, i.e. au soutien du processus de l’ONU et de ses efforts pour maintenir le cessez-le-feu et parvenir à une solution pacifique et durable au conflit au Sahara occidental.

 

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue

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