Social : « Pourquoi pas moi ?», le programme d’égalité des chances mis en place par l’ESSEC

Social : « Pourquoi pas moi ?», le programme d’égalité des chances mis en place par l’ESSEC

« Les inégalités socio-économiques au Maroc sont très importantes, et ont pour conséquences directes les inégalités de formations. En témoignent les écarts de niveaux tendanciels entre jeunes des écoles publiques et les jeunes des écoles privées ».  C’est le constant de l’ESSEC Business School, qui, pour amoindrir cet impact qui touche les jeunes défavorisés, a mis en place un ambitieux programme dénommé « Pourquoi pas moi ? »

Ce programme qui veut s’inscrire dans l’égalité des chances des jeunes lycéens est novateur dans le milieu de l’enseignement privé au Maroc. De quoi il en découle ? quels sont ses objectifs et quelle démarche il s’est inscrit afin de réussir le pari ? autant de question que nous avons posé à la responsable du dit programme.

Madame Nina Tunon de Lara (photo), Cheffe de projet égalité des chances et orientation Lycéens répond aux questions de PanoraPost pour élucider avec nous les tenant et les aboutissant de ce programme.                             

Diplômée de Sciences Po Bordeaux et de la Grande Ecole de l’ESSEC, Nina Tunon de Lara s’est spécialisée dans l’entrepreneuriat social en suivant les enseignements de la chaire ESSEC du même nom. Récemment arrivée à l’ESSEC Afrique, elle est en charge du développement des projets d’égalité des chances et d’accompagnement à l’orientation auprès des lycéens des établissements partenaires de l’ESSEC au Maroc. Entretien.

PanoraPost : En quoi consiste le programme ‘’Pourquoi pas moi ?’’ et quels sont les jeunes lycéens ciblés ?

Nina Tunon de Lara : Le programme « Pourquoi pas moi ? » est un programme d’égalité des chances, son objectif principal est d’aider nos lycéens bénéficiaires à aller au plus loin de leurs capacités dans la voie qu’ils se sont choisie. « Pourquoi pas moi ? » est la déclinaison marocaine du programme « Une grande école Pourquoi pas moi ? » créée il y a quinze ans à l’ESSEC ciblant des jeunes issus de milieux populaires des départements du Val d’Oise, des Yvelines et de Seine-Saint-Denis.

En nous installant au Maroc, nous avons voulu exporter ce programme d’égalité des chances qui avait prouvé son efficacité en France, tout en l’adaptant aux besoins et spécificités du Maroc en termes d’éducation. Le principe de fonctionnement de PQPM (Pourquoi pas moi ?) est simple : encadrer tout au long du lycée des jeunes issus de milieux populaires dont le potentiel scolaire est important, afin d’ouvrir leurs perspectives en termes de poursuite d’études et de carrière professionnelle. Pour cela, nous avons pour ambition de les doter de compétences extrascolaires qui demeurent des attendus implicites du système éducatif et dont des jeunes moins favorisés socialement vont tendre à manquer (par rapport aux jeunes issus de milieux aisés) : les langues étrangères (notamment le français), la confiance en soi et l’aisance à l’oral, l’orientation, les méthodes de travail, la culture générale et l’ouverture d’esprit.

Nous ciblons des lycéens de notre environnement proche en travaillant avec trois lycées de Salé (Lycée Ibn Hani, Lycée Abdessalam Amer, Lycée Allama Mohamed Sbihi) et trois lycées de Rabat (Lycée Omar Al Khayaam, Lycée Lella Aicha, Lycée Lella Nezha). Pour intégrer le programme, les lycéens nous rencontrent en entretien et nous les sélectionnons sur la base de trois critères principaux : le niveau scolaire, le niveau de besoin social, et la motivation.

Nous n’entendons pas nécessairement avoir dans le programme que des élèves avec 16/20 de moyenne, mais ils doivent être suffisamment à l’aise au lycée pour que le programme ne les mette pas en difficulté. Un élève à risque de décrochage scolaire peut se trouver dépasser en abordant des compétences extrascolaires quand les compétences scolaires sont trop fragiles. Le niveau de besoin social est un critère qui ne se base pas simplement sur les revenus économiques, nous sommes par exemple particulièrement attentifs à la structure familiale (famille monoparentale), au niveau d’études et à la profession des parents, et au nombre de frères et sœurs (ainsi qu’à la situation de ces derniers). Enfin la motivation joue un rôle essentiel dans le programme : le programme est engageant, avec un accompagnement quasiment hebdomadaire sur les trois années de lycée.

Quels sont les objectifs du programme ?

Je dirais que le programme comporte quatre objectifs, trois principaux et un plus secondaire, même si nous y sommes particulièrement attachés :

Tout d’abord, nous avons pour objectif que chaque jeune maximise ses chances de réussite au lycée d’abord, dans l’enseignement supérieur ensuite. Pour ce faire, nous mettons l’accent sur les méthodes de travail : connaître la façon dont chacun réfléchit, mémorise, en les aider à adopter les méthodes de travail qui leur corresponde le mieux. Nous considérons également que la capacité à parler en public et la maîtrise de la langue française conditionnent la réussite scolaire, notamment dans l’enseignement supérieur : nous les travaillons également au sein du programme.

Notre deuxième objectif est que chaque jeune aille au plus loin de ses capacités dans la voie qu’il s’est choisie, sans autocensure. Ceci implique de travailler deux compétences clés : la confiance en soi d’une part, et savoir s’orienter d’autre part. Nous voulons faire en sorte que les jeunes issus de milieux populaires ne conditionnent pas leurs études et carrière professionnelle au milieu social dont ils sont issus ; leur dire qu’un travail assidu et soutenu est la seule condition nécessaire pour accéder aux écoles les plus prestigieuses. Nous voulons ainsi les pousser à s’autoriser à voir grand.

Notre troisième objectif est de compenser l’écart de niveau crée par la différence socio-économique qui risque d’handicaper à long terme les jeunes issus de milieux populaires. Pour cela, nous travaillons la culture générale et l’ouverture d’esprit en les poussant à s’intéresser à l’actualité, les arts, l’économie, des thématiques peu ou pas abordées à l’école et qui s’avèrent pourtant différenciantes d’un milieu social à l’autre. Nous organisons également des sorties culturelles pour les sensibiliser aux arts et leur faire s’approprier des lieux culturels comme les musées et les théâtres, trop longtemps réservés aux classes les plus aisées.

Enfin, nous avons pour objectif d’avoir un double-impact non seulement sur les lycéens accompagnés mais également sur nos étudiants qui s’engagent en tant que tuteurs. En effet, le programme repose en grande partie sur du tutorat étudiant. Les tuteurs sont recrutés, formés, et s’engagent bénévolement. L’expérience de tuteur rajoute une dimension à leur formation, en termes d’ouverture à l’autre, d’empathie, et d’attention à la diversité, des compétences décisives pour les managers de demain. Ce sont autant d’atouts pour devenir des managers efficaces et performants.

Pourquoi l’ESSEC s’inscrit -elle dans le social ?

L’ESSEC s’inscrit dans le social depuis de nombreuses années, tout d’abord parce que c’est étroitement lié à l’identité de l’école. L’ESSEC a cinq valeurs : l’humanisme, l’excellence, la responsabilité, l’innovation et la diversité ; et une devise : l’esprit pionnier. L’école a été pionnière en matière d’égalité des chances mais également sur le champ plus large de l’entrepreneuriat social en créant la première chaire d’entrepreneuriat social au sein d’une école de commerce en 2002. La personne à l’origine de la chaire entrepreneuriat social comme des programmes d’égalité des chances n’est autre que le Professeur Thierry Sibieude, actuel Directeur Général de l’ESSEC Afrique.

L’ESSEC a été historiquement attachée à avoir un impact positif sur son territoire. C’est...

ce qui s’est passé lorsque l’école s’est installée dans la ville nouvelle de Cergy Pontoise. C’est dans cette même perspective que nous nous installons à Sidi Bouknadel dans un territoire en cours d’urbanisation, en considérant que l’installation d’une école comme la nôtre contribue au rayonnement de la zone. Le programme PQPM s’inscrit également dans cet objectif, avec l’intention d’ouvrir les perspectives des jeunes les plus proches de nous.

Enfin, l’ESSEC s’inscrit dans le social et plus particulièrement dans l’égalité des chances car nous avons tout intérêt à encourager la diversité que nous considérons porteuse de richesses. En faisant des programmes d’égalité des chances, nous souhaitons augmenter la diversité des étudiants au Maroc et éviter la déperdition de talents, au sein de l’enseignement supérieur, et par ricochet, au sein de notre propre école.

Quelles sont les activités spécifiques de ce programme ?

Concrètement, le programme se traduit par trois grands types d’activités.

Tout d’abord le tutorat étudiant occupe la majeure partie du programme : il s’agit de séances hebdomadaires avec des tuteurs étudiants de l’ESSEC. Ces derniers encadrent par binôme un groupe d’une dizaine de lycéens. Ils suivent une programmation pédagogique établie en amont, travaillant les cinq compétences clés du programme. Une séance de tutorat d’environ deux heures, consiste en une série d’ateliers tels que des débats, des jeux de questions-réponses sur l’actualité, des exercices de français, etc.

De plus, nous organisons des sorties culturelles deux à trois fois par an. Il peut s’agir de sorties au musée, au théâtre etc. L’idée est de les initier à l’offre culturelle et à investir les différents lieux culturels.

Enfin, nous organisons des ateliers pendant les vacances scolaires, qui peuvent être de différentes natures : atelier théâtre, activité avec des associations partenaires ou associations étudiantes de l’ESSEC, ou encore visites d’entreprises.

Comment sont les relations entre les bénéficiaires de ce programme et les étudiants de l’ESSEC ?

Il faut ici distinguer les étudiants de l’ESSEC engagés dans le tutorat et les autres. Les étudiants tuteurs ont des contacts réguliers avec les lycéens, ils ont été choisis du fait de leur sensibilité, leur motivation, et formés pour être tuteurs selon la formule « d’exigence bienveillante ». Ils sont à la fois une figure d’identification (n’ayant que quelques années de différences avec les tutorés) et un modèle de réussite. Ils doivent être distingués du professeur et de l’ami, leur statut est intermédiaire, et c’est en cela qu’il est efficace : cela permet d’aborder des thématiques proches du scolaire avec moins de pression et de contrainte, et donne aux lycéens un horizon, un objectif et par conséquent une motivation, en rendant le succès académique soudainement accessible. Il est essentiel pour nous de valoriser les lycéens dans leur participation à PQPM, ce que font naturellement les étudiants tuteurs. Pour ces derniers, c’est souvent aussi l’occasion de mesurer la chance qu’ils ont eu dans leur accès à l’éducation et à l’enseignement supérieur.                                                                            

Les autres étudiants ESSEC ont des contacts plus ponctuels avec les lycéens. Nous consacrons néanmoins une place importante aux enjeux éducatifs et à l’égalité des chances au sein des enseignements de l’école. Une grande partie des étudiants vont ainsi travailler avec et pour les lycéens lors d’un séminaire intitulé « Initiatives et créativité » qui clôture le semestre. Nous ne contraignons jamais les étudiants à s’investir directement dans les programmes d’égalité des chances, ce n’est dans l’intérêt de personne et contre-productif. Ceux qui souhaitent approcher ce champ y sont encouragés, les autres peuvent se cantonner à sa dimension «théorique».

Une fois le programme d’un groupe terminé, que deviendront les lycéens bénéficiaires de ce programme ? y’a-t-il possibilité de revenir pour un autre programme ou y’aura-t-il des facilités pour intégrer l’ESSEC en tant qu’étudiant ?

A ce jour, cette question reste encore en suspens. Le programme vient tout juste de démarrer sous forme d’expérimentation, il m’est donc difficile d’indiquer les suites que nous lui donnerons. Ce qui est sûr, c’est que nous souhaitons suivre les lycéens tout au long du lycée et garder une forme de contact une fois qu’ils auront intégré les études supérieures. Cela peut passer par un autre programme bien sûr, mais aussi par leur prise en charge par d’autres associations partenaires. Nous pouvons également créer un réseau d’anciens du programme, comme ce fut le cas en France avec l’association « Ahmed et Adèle ».

Il n’y aura pas de facilités à proprement parler pour intégrer l’ESSEC. L’approche de l’égalité des chances à l’ESSEC est claire : nous préférons donner le maximum d’armes aux jeunes de milieux populaires pour entrer dans les écoles prestigieuses en diminuant l’écart avec les milieux aisés, plutôt que de leur consacrer une porte d’entrée dédiée qui risque de diminuer leur légitimité, la valeur du diplôme, et être contre-productive en termes de confiance en soi et de risque d’autocensure.

Nous pourrons en revanche envisager des aides financières pour les jeunes des programmes réussissant à intégrer l’ESSEC, que ce soit en faisant un effort côté ESSEC, ou en créant des bourses avec certains de nos partenaires financiers.

Quelle appréciation faites-vous de ce programme en tant que cheffe de projet et quels sont les défis à relever ?

Il est difficile d’apprécier un programme qui n’en est qu’à ses débuts : nous avons commencé au mois d’avril avec des jeunes de l’année tronc commun. Nous sommes à un stade expérimental, avec la volonté d’ajuster une démarche française qui a fait ses preuves en France, aux besoins des lycéens marocains, et maximiser ainsi notre impact. Pour l’instant le programme se déroule bien, tuteurs comme tutorés s’en disent satisfaits, et c’est un premier résultat essentiel. Les autres résultats se verront dans un temps plus long.

Les défis à relever sont multiples. Les inégalités socio-économiques au Maroc sont très importantes, et ont pour conséquences directes les inégalités de formations. En témoignent les écarts de niveaux tendanciels entre jeunes des écoles publiques et les jeunes des écoles privées. En règle générale, un élève issu de milieu aisé va à l’école maternelle, puis à l’école privée, et parle français tôt. A l’inverse, un jeune issu de milieu populaire ne va pas toujours à l’école maternelle, et fréquente généralement l’école publique moins bien lotie en termes de moyens (financiers, matériels, et humains). Combler une telle différence d’expérience de l’école pour faire en sorte que ces deux types de jeunes se retrouvent au même niveau d’enseignement supérieur est un défi important. Ce d’autant plus que cet écart est renforcé par une inégalité d’accès aux voyages et aux activités extrascolaires, et par des parents qui n’ont pas le même niveau de connaissance des études supérieures.

L’autre défi majeur de l’éducation au Maroc est le financement des études. L’offre de bourse est limitée, les coûts de l’éducation importants. C’est un chantier que nous devons ouvrir pour tenter d’offrir à nos bénéficiaires des solutions financières, afin de ne pas leur faire miroiter un accès à l’enseignement supérieur sans solutions pour le financer.

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue

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