La touche Akhannouch, par Aziz Boucetta

La touche Akhannouch, par Aziz Boucetta

Le président du RNI et ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch a fait cette dernière semaine plusieurs sorties médiatiques remarquées. Remarquées car rares et inhabituelles pour cet homme habituellement réservé, tel qu’il le dit et reconnaît lui-même. Mais quand on est chef de parti, et numéro deux de fait du gouvernement, appelé à aller aux élections en position de challenger du PJD, on doit parler. Et Aziz Akhannouch a parlé. Analyse.

La nouveauté réside dans la forme et dans le fonds. Sur le plan de la forme, Aziz Akhannouch s’est longuement exprimé, dans tous les types de médias : télévision, presse écrite et radio.

Un timing étudié

Il a pris les rênes du RNI fin octobre 2016 et depuis, observe un silence presque total dans les médias, en cette qualité de patron de parti. En dehors de quelques phrases adressées à la presse à l’issue d’un meeting du RNI, on n’a pas entendu Aziz Akhannouch. Avec le recul, on comprend mieux.

Il fallait d’abord avoir quelque chose à dire sur le RNI, accusé de tous les maux, moribond, laminé et presque fini, officine électorale qui n’apparaît qu’en période de scrutin, et parti de cadres et de nantis. Un an après, le parti est structuré, appuyé sur des instances élues, organisant des rencontres régulières et prenant des positions sur tout (ou presque). Son président pouvait dès lors s’exprimer.

Il était important ensuite de laisser du temps à cet homme réservé et avare de parole de se rôder à l’exercice de la presse,  de ses pièges et de son agressivité. Du Akhannouch lisant un document en quelques minutes, le 29 octobre 2016, pour remercier les RNIStes de l’avoir porté à la tête de leur parti récemment défait aux élections, à celui que l’on a vu dernièrement, en meeting à Agadir et sur les plateaux et dans les rédactions, une mue s’est incontestablement opérée. Et les médias et l’opinion publique s’intéressent désormais à ce qu’il dit. Sa prise de parole est un événement. Seul Benkirane était (et est encore) aussi attendu par les médias et l’opinion publique. Les autres acteurs politiques sont ternes.

Un tempérament installé

Mais Akhannouch n’est pas Benkirane. Le second est dans la gouaille et la posture tribunicienne alors que le premier reste réservé et son discours argumenté (qu’on le croit ou non est une autre affaire).

 

Le président du RNI a lancé son mouvement à la tête du RNI sur l’idée de n’agresser personne mais de toujours répondre aux attaques. Il n’a agressé personne, mais n’a pas toujours répondu aux agressions. « Question d’éducation, dit-il, mais point n’en trop n’en faut, ou nous réagirons ».

M. Benkirane avait très vite imposé son style car il était dans le show, dans le déni et dans les dénégations, reprenant à son compte les termes en vogue au sein de l’opinion publique, privée de ce genre d’orateur hors du commun. Puis, cela est devenu la règle et l’étalon pour comparer les uns et les autres à… M. Benkirane. Le ministre de l’Agriculture est en train d’asseoir son propre tempérament, dans l’attente que l’opinion publique apprenne, comme ailleurs, les périls du populisme, tout en restant séduite par les grandes envolées… comme ailleurs.

Le RNI, rien que le RNI

Dans ses dernières sorties, Aziz Akhannouch a répondu aux questions relevant de son département et concernant les problèmes avec l’Europe, mais on le sentait plus engagé, plus impliqué, plus emporté même dès que les questions portaient sur le RNI. Il y était (re)venu hier sans qu’on ne crût trop en ses chances, il en parle aujourd’hui en y croyant fermement.

Et on commence de plus en plus à le croire, comme en témoignent les attaques incessantes de ceux qui ne veulent pas que l’on donne crédit au ministre de l’Agriculture. Aziz Akhannouch a définitivement endossé le costume de chef de parti, et il veut le mener le plus loin possible. Il a pris aussi comme objectif d’amener les entrepreneurs en politique, à contrevent d’une opinion publique prompte à accabler les riches, parce que riches.

L’histoire et l’entreprise

Ses adversaires ont deux grands reproches à lui adresser et autant de fenêtres de tir. Lui, Akhannouch, est un parvenu-parachuté  (ou l’inverse) en politique, et...

les dirigeants du parti sont des capitaines d’industrie, voire des hommes d’affaires, qui devraient s’occuper de leurs affaires, et taire leurs petites affaires.

Non, rétorque le ministre de l’Agriculture. Alors il déroule son histoire personnelle, de son père résistant de la première heure, entrepreneur qui s’est engagé en politique et que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître. Puis il pose clairement la question de savoir pourquoi écarter le décideur économique de la sphère politique.

En inscrivant son parcours dans le prolongement de celui de son père, en rappelant son élection à la présidence de sa région d’Agadir en 2002 déjà, il montre et assoit sa légitimité. Et en acceptant les attaques et en montrant qu’on y survit, il appelle les chefs d’entreprise à y aller… à aller vers lui au RNI, sans crainte et sans reproche.

Après une décennie de résistants au pouvoir, une autre d’avocats, une troisième d’universitaires, une quatrième de n’importe quoi, pourquoi ne pas tenter aujourd’hui celle de l’entreprise ? C’est même la tendance mondiale, où les capitaines d’industrie deviennent des généraux en politique.

Une autre bipolarisation

Ce n’est pas dit, mais c’est évident et limpide. Pour les années à venir, et en attendant la rémission d’un parti de l’Istiqlal qui ne sera vraisemblablement plus jamais le même qu’avant, il faudra compter avec deux forces politiques dans le pays, le PJD et le RNI, avec l’Istiqlal comme outsider… le PJD du Dr Saadeddine Elotmani, et le RNI du capitaine d’industrie Aziz Akhannouch.

Une compétition politique qui, sans rien enlever à la cohésion de l’actuel gouvernement, opposera deux forces qui, si elles sont aujourd’hui alliées, seront opposées demain. Comme en Allemagne, comme en Espagne, comme un temps au Royaume-Uni.

Avant, c’était une compétition PJD-PAM, mais ça, c’était avant… Aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas, que le RNI s’en défende ou non, la compétition opposera le RNI au PJD. La seule différence est que cette compétition sera à la loyale.

La communauté charismatique

Mais la touche Akhannouch ne saurait être suffisante pour faire du RNI un parti de compétition et non plus une formation d’appoint qui se contente de peindre en bleu les bleus en politique pour en faire des hommes (et femmes) politiques. Pour l’historien britannique Ian Kershaw, un parti, pour fonctionner, doit disposer de quatre éléments : un leader incontesté, une communauté charismatique de dirigeants, un élément fédérateur et un adversaire.

Si Aziz Akhannouch s’impose de plus en plus comme le leader incontesté du RNI, il lui faut s’adjoindre la communauté charismatique de son parti pour prolonger sa parole. Comme au PJD, certainement, comme au PAM, fortuitement, et comme à l’Istiqlal ou à l’USFP, historiquement.  Il est nécessaire que les autres dirigeants du parti montent au créneau, et il y en a, disposant d’assez de notoriété pour faire entendre leur voix et, en creux, souligner celle de leur patron. Les Moncef Belkhayat, Mohamed Boussaïd, Moulay Hafid Elalamy, Nawal el Moutawakkel… devraient donc faire de la politique, sillonner le pays, parler aux foules, rompre le pain dans les chaumières, supporter les attaques et les critiques...

Le discours du RNI tourne depuis plusieurs mois autour de la trilogie de l’emploi, de l’éducation et de la santé. L’emploi est un élément fédérateur par excellence, que le RNI d’Akhannouch gagnerait à approfondir, dans les maisons, les quartiers, les conférences, au parlement, ici, ailleurs, partout. Pour ancrer cette idée autant que Benkirane avait fait de la corruption son cheval de bataille, mais avec les résultats qu’on sait…

Quant à l’adversaire, il reste à trouver, et il servira à resserrer les masses populaires du RNI autour de leur chef, pour aller, bannière au vent, vers 2021.

 

Aziz Akhannouch est venu à la tête du RNI alors qu’il envisageait, quelques mois auparavant, une retraite méritée de la politique. Il a expliqué faire fonctionner son parti avec les outils de l’entreprise, et la gestion d’entreprise, il y a fait ses preuves. Il est aujourd’hui critiqué, mais de moins en moins, car les gens restent attachés à la personne gouailleuse de Benkirane, de moins en moins aussi.  L’homme semble être tenace et il le dit ; il est aussi pugnace et il le montre. En 2021, la lutte opposera le médecin Elotmani, l’économiste Baraka et le capitaine d’industrie Akhannouch.

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