Les enjeux de l’adhésion du Maroc à la Cédéao, discutée lors du Sommet du 4 juin

Les enjeux de l’adhésion du Maroc à la Cédéao, discutée lors du Sommet du 4 juin

Le 24 février 2017, le Maroc saisissait la présidence de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao)  pour l’informer de son souhait d’adhérer à l’organisation sous-régionale. C’était juste trois semaines après l’entrée de Rabat à l’Union africaine. Le 4 juin se tient au Libéria le Sommet des 15 chefs d’Etat de la Cédéao, et une décision devrait intervenir quant à cette candidature du Maroc.

Qu’est-ce que la Cédéao ?

Il s’agit d’un ensemble régional, créé en 1975, dont l’objectif principal est de favoriser la coopération économique – puis plus tard sécuritaire – entre les 15 Etats membres.

En 1990, le volet sécuritaire de la Cédéao est entré en application. Lors de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement, il avait été décidé de mettre en place un groupe surveillant l'application d'un cessez-le-feu, l’Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG). Ce groupe de supervision est vite devenu une force d'interposition et est intervenu notamment dans les guerres civiles du Liberia, de Sierra Leone et de Guinée-Bissau, et plus récemment lors des événements en Gambie.

Les 15 pays qui composent la Cédéao sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo. La Mauritanie était le 16ème membre, mais Nouakchott s’est retiré en 2000.

En 2013, le PIB global des États membres de la Cédéao s'élève à 674,34 milliards de $ ce qui en fait la 20ème  puissance économique mondiale. En 2015, il a légèrement reculé, pour se situer à 645 milliards de $. Le Nigéria, à lui, représente plus des  ¾ de ce PIB.

Pourquoi le Maroc veut-il adhérer à la Cédéao ?

La réponse avait été donnée par le roi Mohammed VI lors de son fameux discours d’adhésion à l’Union africaine, le 30 janvier 2017. Plusieurs phrases devaient laisser penser à cette candidature à la Cédéao :

Le Maroc s’intègre à l’Afrique. « Le Maroc a conclu, dans différents domaines de coopération, près d’un millier d’accords avec les pays africains. A titre de comparaison, savez-vous qu’entre 1956 et 1999, 515 accords avaient été signés, alors que depuis 2000, il y en a eu 949, c’est-à-dire près du double ! ». Sachant que les échanges avec les pays arabes et maghrébins sont réduits à leur plus simple expression, la plus grande partie de ces contrats vont vers l’Afrique de l’Ouest.

L’UMA a vécu… « Force est de constater que la flamme de l’UMA s’est éteinte, parce que la foi dans un intérêt commun a disparu ! L’élan mobilisateur de l’idéal maghrébin, promu par les générations pionnières des années 50, se trouve trahi. Aujourd’hui, nous constatons avec regret que l’UMA est la région la moins intégrée du continent africain, sinon de toute la planète ». Eloge funèbre de l’UMA… et tout de suite après, la phrase suivante est :

« Le commerce intra-régional s’élève à 10% entre les pays de la CEDEAO, et à 19% entre les pays de la SADEC, il stagne à moins de 3% entre les pays du Maghreb. De même, tandis que la Communauté Economique d’Afrique de l’Est avance dans des projets d’intégration ambitieux, et que la CEDEAO offre un espace fiable de libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, les pays du Maghreb sont, eux, à un niveau de coopération économique très faible ». L’intention d’aller vers la Cédéao est donc on ne peut plus claire.

L’Algérie continue donc de bloquer toute avancée maghrébine, alors même que le monde avance et qui ne s’inscrit pas dans cette démarche recule. Par ailleurs la Tunisie veut introduire sa demande d'adhésion au Marché Commun pour l'Afrique Orientale et Australe (COMESA,...

acronyme en anglais) à l'occasion du prochain sommet prévu pour le mois d'octobre à Lusaka en Zambie.

Entre le Maroc qui va vers la Cédéao et la Tunisie qui choisit la Comesa, c’est le dernier clou qui est ainsi planté dans le cercueil de l’UMA, qui n’attendait plus que ça pour son inhumation.

Le Maroc peut-il intégrer la Cédéao ?

Si le traité constitutif de la Cédéao prévoit le retrait d’un pays,  aucune disposition dudit traité n’évoque toutefois l’éventualité d’une adhésion d’un Etat tiers.

Selon  Luc Marius Ibriga, professeur de droit public à l’Université de Ouagadougou et un des meilleur connaisseurs de cette communauté,   « un des aspects les plus importants pour faire partie de la CEDEAO, c’est être membre de la région Afrique de l’ouest ». En d’autres termes, un pays qui n’est pas géographiquement dans le bloc de l’Afrique de l’Ouest ne peut pas en principe faire partie de la CEDEAO.

Le Maroc est-il, ou non, situé dans l’ouest africain ? C’est la question à laquelle devront répondre les 15 chefs d’Etat, à partir de ce 4 juin. Mais d’ores et déjà, la Côte d’Ivoire, par la voix de son ministre de l’Economie et des Finances, Adama Koné, est favorable à la demande d’adhésion du Maroc au sein de la CEDEAO. La même chose a été affirmée par le chef de la diplomatie burkinabé, cette semaine à Rabat. Quant à Macky Sall et Alpha Condé, respectivement chefs d’Etat du Sénégal et de la Guinée,  on connaît les liens d’amitié qui les unissent à Mohammed VI.

Quels seront les avantages de l’adhésion du Maroc ?

Avec un PIB consolidé de 650 milliards de $ environ, la Cédéao verrait ce PIB se hisser à 755 milliards avec l’adhésion du Maroc, qui en représenterait donc 13%. La population total de la Communauté est aujourd’hui de 300 millions d’habitants, et le Maroc, avec ses 35 millions, la portera à 335 millions, avec plus de 10%.

On voit bien donc que dans la Cédéao, c’est essentiellement le Nigéria, avec ses 190 millions d’habitants et son PIB de 481 milliards de $, qui assure le rôle de la locomotive. Mais le Nigéria est un géant qui tient mal sur ses pieds, en raison de fortes disparités entre Nord musulman et Sud chrétien, mais aussi en raison du fait de la baisse des cours du brut à l’international.

Or, depuis 6 mois maintenant, Marocains et Nigérians signent des partenariats à tour de bras, sur le gaz du Nigéria et le phosphate du Maroc. Les accords, passés en bilatéral, gagneront en puissance et en intégration s’ils bénéficient du cadre de la Cédéao.

De plus, témoigne un dirigeant d’entreprise marocain impliqué dans certains pays de la Cédéao, mais qui a demandé à rester anonyme : « Les Etats d’Afrique de l’Ouest sont très intéressants en matière de débouchés pour nos entreprise set nos banques, bien qu’il faille rester sur ses gardes pour les paiements et les flux financiers ».

On prête également au Maroc, s’il est admis dans cet ensemble régional,  l’intention d’accélérer la mise en place d’un véritable marché commun dans lequel les personnes et les biens circuleraient sans entrave, et aussi une union monétaire, qui passerait immanquablement par la remise en cause du franc CFA dans certains pays de la Cédéao.

En effet, l’Union économique et monétaire ouest-africaine, ou UEMOA (carte ci-dessus), englobe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Ces pays ne disposent pas vraiment de l’indépendance monétaire, et donc économique, et seraient tentés de revenir sur le franc CFA, une mesure qui ne plairait pas en France, dont la banque centrale renferme quelques 15 milliards d’euros venant de la zone CFA.

AB

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