Programme d’urgence du ministère de l’éducation nationale: la Cours des comptes relève plusieurs dysfonctionnements (Rapport)

Programme d’urgence du ministère de l’éducation nationale: la Cours des comptes relève plusieurs dysfonctionnements (Rapport)

La Cour des comptes vient de publier son rapport  sur l’évaluation du programme d’urgence du ministère de l’éducation nationale. Dans ce cadre, il a procédé à l’appréciation du processus d’élaboration du programme d’urgence, l’analyse de la planification et de la programmation, l’examen de la gestion des moyens mobilisés pour sa mise en œuvre, le système de suivi et de pilotage ainsi que l’évaluation des réalisations par rapport aux objectifs attendus.

Dans le rapport, l’équipe de Driss Jettou estime que le secteur de l’éducation, érigé en deuxième priorité nationale, a fait l’objet de plusieurs discours du Roi qui ont appelé l’ensemble des intervenants à œuvrer avec fermeté et responsabilité en vue de son amélioration pour qu’il puisse mieux contribuer à répondre aux exigences du développement économique et social du Royaume. Ce secteur continue, cependant, à soulever des critiques au niveau des institutions constitutionnelles et des différentes couches de la société.

Depuis la création de la Commission Nationale de l’Education et de la Formation (CNEF) en 1999 et l’élaboration de la Charte Nationale de l’Education et de la Formation, le secteur a fait l’objet de plusieurs rapports qui ont mis l’accent sur ses avancées et ses insuffisances en concluant que l’atteinte des objectifs préconisés par la CNEF est loin d’être acquise.

Ainsi et dans l’objectif de remédier aux défaillances relevées et d’accélérer la réalisation des objectifs de la charte nationale d’éducation et de formation, le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la formation des cadres et de la recherche scientifique a élaboré le programme d’urgence (2009-2012). La mise en œuvre de ce programme a suscité, de son coté, un grand débat au niveau du gouvernement, du Parlement et de l’opinion publique.

L’intervention de la Cour des comptes pour évaluer le programme d’urgence (P.U) reflète l’importance qu’elle accorde au secteur de l’éducation, dans la mesure où après avoir réalisé plusieurs missions de contrôle de la gestion au niveau des AREFs, en conformité avec les missions qui lui sont dévolues par la loi, il a été jugé judicieux d’apprécier les conditions d’élaboration, de programmation et de mise en œuvre du P.U, ainsi que les réalisations enregistrées.

Dans ce cadre, la Cour des comptes a procédé à l’appréciation du processus d’élaboration du programme d’urgence (P.U), l’analyse de la planification et de la programmation, l’examen de la gestion des moyens mobilisés pour sa mise en œuvre, le système de suivi et de pilotage ainsi que l’évaluation des réalisations par rapport aux objectifs attendus ;

Les travaux menés par la Cour des comptes ont abouti aux principales conclusions suivantes :

1- S’agissant des ressources financières mobilisées en faveur du P.U, le calcul du coût réel

du P.U demeure estimatif. Il a été appréhendé à partir des crédits de paiement ouverts par les lois de finances et les budgets des AREFs, pour les années 2009 – 2012, totalisant une enveloppe globale, hors masse salariale, de 43,12 milliards de DH sur laquelle les engagements ont été de 35,05 milliards de DH et les paiements effectifs n’ont été que de 25,15 milliards de DH, soit un taux de paiement de 58%, largement inférieur au taux d’exécution des budgets sectoriels constatés au niveau du Budget Général de l’Etat durant la même période. Le volume des crédits, qui traduit l’effort budgétaire consenti par l’Etat en faveur du secteur de l’éducation durant la période du P.U, a enregistré une augmentation de 230% par rapport aux crédits ouverts au cours des quatre années précédentes. Toutefois, les faibles performances, au niveau de l’engagement et du paiement, sont dues, en grande partie, à des capacités de gestion insuffisantes au cours du cycle de la conception, de la programmation et de la mise en œuvre des projets ainsi qu’au niveau de la gestion financière et comptable.

2- Concernant les progrès réalisés en matière de généralisation de la scolarité et d’amélioration de ses conditions, le système éducatif a connu, sur le plan quantitatif, une progression significative. Les effectifs des élèves sont passés de 5.666.429 en 2009 à 6.039.641 en 2017, pendant que le nombre des établissements scolaires a augmenté de 9.397 à 10.756. Toutefois, le système éducatif souffre de plusieurs dysfonctionnementsliés, notamment, à :

- L’insuffisance de la capacité d’accueil dans la mesure où les réalisations relatives à l’extension de l’offre scolaire demeurent insuffisantes. Ainsi, sur un objectif de 1164 établissements scolaires prévus par le PU, les réalisations n’ont été que de 286 établissements, soit 24,6%. Quant à l’objectif de l’extension des établissements existants prévu pour 7052 nouvelles salles, les réalisations n’ont pas dépassé 4062 salles, soit 57,6%.

- La non couverture de l’ensemble des communes rurales par des collèges : l’objectif de couvrir toutes les communes rurales par des collèges dotés d’internats a été fixé par la CNEF et repris dans le P.U. Toutefois, cette couverture n’a pas été atteinte. Elle est passée de 52,8% en 2008/2009 à 66,5% en 2016/2017.

- L’exploitation des établissements...

scolaires en état de dégradation. Malgré les moyens dédiés à la réhabilitation et à l’aménagement des établissements scolaires, le système éducatif continue à exploiter, au titre de l’année scolaire 2016/2017, 6 437 établissements sans réseaux d’assainissement, 3 192 établissements non raccordés au réseau d’eau potable et 681 établissements non branchés au réseau d’électricité, ainsi que 9 365 salles délabrées.

- La non généralisation de l’enseignement préscolaire. En matière d’introduction du préscolaire dans les écoles, le P.U a fixé un objectif de 80% en 2012 et la généralisation en 2015. Toutefois, cet objectif est loin d’être atteint. Au titre de l’année scolaire 2016/2017, sur les 7 667 écoles primaires, seulement 24% dispensent l’enseignement préscolaire.

3-Pour ce qui est de l’amélioration de la qualité du système éducatif et les conditions pour y parvenir, et malgré le budget dédié à l’amélioration des conditions de scolarité, un certain nombre d’indicateurs confirment la non atteinte des objectifs visés, notamment, :

-l’aggravation de la situation de l’encombrement, qui a enregistré, respectivement pour le cycle primaire, collégial et qualifiant, des taux de 21,2%, 42 % et 22,3% au titre de l’année scolaire 2016/2017 contre 7,3%, 16,5% et 26,1% en 2008. La situation du cycle collégial est la plus préoccupante en la matière ;

-le recours à des enseignants contractuels : les recrutements effectifs des enseignants durant la période du P.U ont dépassé les besoins initiaux arrêtés par les services du MEN, montrant de ce fait que le déficit en enseignants est une donnée structurelle du système éducatif. Pour combler ce déficit le système éducatif a procédé au recrutement de 54.927 enseignants par voie de contrat, durant la période 2016 - 2018. L’affectation de ces derniers directement aux classes d’enseignement, sans formation pédagogique requise, remet en question la qualité des enseignements dispensés.

-la non mise en œuvre de l’ensemble des projets du pôle « pédagogie ». Le P.U a prévu un budget d’environ 12 milliards de DH pour la mise en œuvre de dix projets inscrits dans le pôle pédagogique. Toutefois, malgré l’importance des dépenses effectuées, certaines composantesde ce pôle portant sur la réforme des curricula, la mise en place d'un système d'information et d'orientation efficient, le renforcement de la maitrise des langues, et l’amélioration du dispositif pédagogique n’ont pas été réalisées. Par ailleurs, la mise en œuvre de certains projets, bien qu’entamée, a été suspendue faute d’une vision intégrée de la réforme souhaitée.

4-En ce qui concerne l’accès à l’enseignement obligatoire et la rétention des élèves à l’école, l’accent a été mis sur deux indicateurs principaux étroitement liés : les mesures d’appui social et le taux d’abandon scolaire. La mise en œuvre des mesures d’appui social destinés aux élèves issus de milieux défavorisés a permis une amélioration de ces indicateurs au titre de l’année scolaire 2016/2017. Les mesures de l’appui social ont, ainsi, touché :

▪ 1 085 110 bénéficiaires des cantines ;

▪ 113 632 bénéficiaires de l’hébergement et de la restauration dans les internats ;

▪ 138 995 bénéficiaires du transport scolaire ;

▪ 859 975 bénéficiaires de programme Tayssir ;

▪ 3 835 833 bénéficiaires de fournitures scolaires.

5-Malgré l’amélioration des indicateurs quantitatifs, les mesures entreprises n’ont pas produit l’impact souhaité sur l’amélioration des conditions de scolarité et la rétention des élèves. Les insuffisances de ces mesures sont liées à la défaillance de la planification, aux conditions d’hébergement et de restauration dans les internats et les cantines, à l’absence d’une stratégie intégrée en matière d’appui social ciblant les élèves issus des familles démunies, au système de ciblage des bénéficiaires, ainsi qu’à l’insuffisance des moyens alloués.

6-Concernant l’abandon scolaire, certes de nature multidimensionnelle, il reste un véritable défi que notre système éducatif doit relever pour améliorer son rendement interne. Certes, le taux d’abandon scolaire a nettement diminué entre 2008 et 2012 mais il a de nouveau enregistré une augmentation en 2017 pour dépasser les 279.000 élèves.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour des comptes considère que le programme d’urgence n’a pas réalisé tous ses objectifs. Il n’a pas eu, non plus, les impacts souhaités sur le système éducatif, dans la mesure où le ministère concerné n’a pas pris suffisamment en compte certaines règles fondamentales du cycle de toute politique publique lors de la planification, la programmation, l’exécution et la gouvernance. En effet, il a été relevé l’absence d’un diagnostic précis de l’état des lieux et des préalables nécessaires à la mise en œuvre de tout programme, de l’évaluation des risques et des solutions alternatives. De même, il n’a pas été tenu compte, en particulier des capacités de gestion des différentes parties prenantes impliquées dans la mise en œuvre du programme eu égard à la consistance et à la nature des actions à entreprendre. Par ailleurs la Cour a noté l’absence d’un système d’information et du pilotage intégré et fiable dédié au PU avec des outils adéquats susceptibles de donner une visibilité sur les progrès réalisés et accompagné d’un dispositif d’évaluation approprié.

Mouhamet Ndiongue

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