Le Maroc à la CEDEAO : d’importants enjeux diplomatiques et économiques en perspective, Emmanuel Dupuy revient sur le sondage
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- 27 novembre 2018 --
- Maroc
La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) constitue une forte attractivité. Sur le plan économique le renforcement de cette communauté par l’entrée du Maroc va booster les perspectives économiques et vont porter le PIB sous-régional à 750 milliards d´euros. Un fait qui pourra amener la nouvelle CEDEAO de 16 pays (y compris le Maroc) comme membre du G20.
Sur le plan diplomatique au-delà de la coopération entre 16 pays, il s´agit de construire l´attractivité d´une zone qui sera la plus jeune du monde, 70% de sa population a moins de 30 ans. Une zone qui est relativement peuplée par apport à l´immensité de sa taille : 300millons d´habitants sur 6 millions de km².
Mais l’entrée du Maroc, annoncée, repoussée est aujourd’hui presque mise de côté, laisse entrevoir d’innombrables questionnement. Même les observateurs ne peuvent pas donner une fourchette de temps pour dire quand est-ce que le Maroc aura son quitus pour intégrer la communauté ouest-africaine ? Autant de questions qui ont poussé l’'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), think tank spécialisé sur les questions stratégiques et internationales eurafricaines, et l'institut de sondage « Opinions en région » ont interrogé les députés des quinze Parlements des pays membres de la CEDEAO ainsi que ceux siégeant au sein de l'Assemblée parlementaire de la CEDEAO. Elles ont profité de la tenue du 53ème Sommet ordinaire de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest), qui s’est déroulé à Lomé le 31 juillet, pour recueillir leur perception quant à l’entrée du Maroc ainsi que la demande comme observateur des pays comme la Mauritanie et la Tunisie.
Emmanuel Dupuy, Président de l'IPSE (photo ci-contre), Professeur associé à l’Université Paris-Sud (Master Diplomatie et négociations stratégiques). Il est aussi chercheur au sein du centre d’études interdisciplinaire de l’Université Paris-Sud. Il est également Professeur invité auprès de l’Université de Ningbo (Chine), revient ici en détail sur la méthodologie, et les conclusions du sondage. Au cours de cet entretien réalisé en marge de la 90ème Assemblée générale du Conseil Economique Social Environnemental du Maroc, M. Dupy répond aussi sur la stratégie de communication du Maroc sur ce dossier qui, selon les médias serait en préparation pour être confié à un cabinet de consultance. Entretien.
Pouvez-vous revenir sur la méthodologie et les conclusions du sondage réalisé sur l’adhésion du Maroc à la CEDEAO ?
Le sondage a été réalisé sur une période donnée, qui précédait le sommet de Lomé, qui était le 1er sommet qu’intégrait à la fois les 15 pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les 11 pays de le Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) de états économiques de l’Afrique centrale. Donc le sommet du 30 et 31 juillet, nous avons interrogé 1583 parlementaires des 15 parlements de la CEDEAO sur la période du 15 juin au 18 juillet.
Juste avant le sommet, nous leur avons posé 10 questions qui sont en gros les 10 interrogations ou les 10 sujets qui préoccupent au sens littéral du terme les parlementaires de la CEDEAO par rapport à deux dynamiques : l’intégration et l’élargissement, ou comment améliorer le fonctionnement interne entre les institutions de la CEDEAO sur les sujets de convergence entre les pays membres de la CEDEAO.
L’autre question, c’est comment faire en sorte que cette dynamique qui existe depuis 43 ans s’élargisse à des pays qui n’appartiennent pas à la zone, mais qui tient compte d’une réalité stratégique qui fait que dans l’espace ouest-africain comme dans l’espace de l’Afrique du Nord et maintenant dans l’espace de l’Afrique maritime, dans le golf de Guinée où dans l’espace de l’Afrique Centrale il y a des inacceptables communs où des éléments de coopération évidente : lutter contre le terrorisme, tenir compte du fait migratoire, s’adapter au changement climatique où trouver les meilleures réponses face à l’asymétrie du développement, notamment quand il s’agit de tenir compte du fait qu’une bonne partie des désespérances humaines qui mènent vers la migration, vers les aventures criminelles et terroristes sont bien souvent nés de la mauvaise gouvernance ou de l’inégal répartition des richesses entre le centre et le périphérique.
Quels sont les grands axes de ce sondage ?
Pour le sondage, il fallait retenir les 10 points, même s’ils mériteraient d’être plus détaillés, premièrement : la CEDEAO est une organisation qui fonctionne bien et 94% des parlementaires sondés estiment que depuis sa création en 1975 l’organisation à plutôt mieux fonctionner que d’autres organisations. Vous savez que depuis 2008 il y a 8 communautés économiques régionales sur le continent Africain qui correspondent aux 5 régions Africaines (Afrique du Nord, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Afrique Orientale et Australe).
La deuxième réflexion, c’est parmi les principales réalisations de la CEDEAO, il ya de la liberté de circulation et c’est la chose qui tient le plus à cœur et les parlementaires qui sont sondés, liberté de circulation de personnes, liberté de circulation des biens et des marchandises, et liberté de circulation des capitaux, cette question est particulièrement importante elle est d’autant plus importante qu’au moment où se créent une dynamique de coopération transcontinentale à travers la mise en place de la zone de libre échange du continent (ZLECA ndlr), la mise en place par le président Kagamé, (Paul Kagamé, président de l’Union Africaine, ndlr) en Mars derniers à Kigali, il y a cette réflexion de savoir comment mieux articuler les échanges dans l’espace Ouest-africain, c’est-à-dire faut pas créer un espace Schengen dans l’Union Africaine, mais cette réflexion de dire quelle réponse existe à travers ce défi qui fait que 80% des personnes qui migrent d’un pays à l’autre qui sortent des frontières, migrent dans l’espace Ouest-africain, c’est un sujet de préoccupation à savoir comment faire en sorte de renforcer les institutions par rapport à ça ?
Evidemment la question de liberté des capitaux est importante où au moment on évoque à l’horizon 2020, la création d’une monnaie unique dans l’espace Ouest-africain. C’est une vue de l’esprit, une sorte de vision utopiste (si on exagère un peu). C’est une vision, qui sur le papier est très intéressante et pertinente, mais qui dans les faits aura beaucoup de mal à se mettre en place parce que déjà à 15 il y a peu de consensus. Alors imaginons qu’avec la vision d’un Maroc tels que c’était proposée lors du sommet de Monrovia en juin 2017, on est dans une réflexion qui a peu de chance à aboutir en tout cas d’une manière abrupte à l’horizon 2020 telle que l’agenda du dernier sommet de la CEDEAO le précise.
Troisième élément de réflexion, quels sont les sujets sur lesquels la CEDEAO doit améliorer son fonctionnement ? c’est-à-dire la coopération entre les institutions de la CEDEAO.
Il existe au sein de la CEDEAO des commissions, une assemblée parlementaire, des conseillers économique et sociaux et un certain nombre d’instances dont lequel l’Union économique et monétaire (UEMOA). Il y’a sans doute là des convergences, des passerelles qui sont insuffisamment mises en exergues sous lesquels il convient d’améliorer les fonctionnements et plus de la moitié des parlementaires interrogés disent que c’est sans doute là le prochain agenda du nouveau président de de la Commission de la CEDEAO, en l’occurrence Mahamadou Buhari, le président du Nigéria.
Quatrième élément de réflexion, la question sécuritaire qui transcende toutes les oppositions, qui fédère tous les agendas des pays ouest-africain et de la coopération euro-africaine.
Comment mettre en synergie les moyens pour faire face aux organisations terroristes qui ne connaissent ni la notion de frontière, ni la notion de limite, encore moins la notion de vulnérabilité ou de souveraineté nationale ? donc comment s’adapter à l’asymétrie des ennemies que les différents pays, les différents gouvernements, les différents peuples ont en face d’eux, donc il faut répondre de manière symétrique.
Si les organisations terroristes (les groupes armés terroristes) s’unissent entre elles, l’Etat islamique dans le grand Sahara, le groupe de soutien Al islam… ont toutes décidé de se fédérer au-delà des frontières. Ce n’est plus un terrorisme jidado-jihadisme, c’est un terrorisme qui vise les structures.
Les organisations transnationales s´unissent contre les terroristes et les terroristes s´unissent pour faire aux organisations transnationales. Donc c´est un jeu qui semble-t-il, n´est pas tenable. Donc il faut penser la sécurité, pas seulement sur la dimension militaire. Il faut la penser dans la dimension de la sécurité longue, de la sécurité diffuse, donc dans le logis de ce qu´on appelle la sécurité inclusive. Qui fait qu´on ne lutte pas de la même manière contre les agressions terroristes, ou du moins, que le contreterrorisme et que la lutte contre le terrorisme implique des notions totalement différentes : Il s´agit de lutter contre les vulnérabilités, de construire de la résilience (construire des projets de développement qui permettent aux jeunes d´aujourd’hui de ne pas devenir les terroristes de demain). Donc ça...
aussi, c´est des éléments pertinents.
Quelles sont les vrais enjeux de l’entrée du Maroc à la CEDEAO ?
Quelle est la perception des pays appartenant à l´espace économique Ouest-africain sur de nouveaux venus ? qui était la préoccupation majeure de notre enquête ou des personnes qui émettent le souhait de répondre à cette grande attractivité de la CEDEAO, qui avec un Pib cumulé de 630 milliards d´euros, si y on ajoute le PIB du Maroc (121 milliards ndlr), on atteint les 750 milliards d´euros de PIB, si on ajoute les 170 milliards de PIB de l´Algérie et en tenant compte du PIB du Nigeria on voit bien qu´on a un espace économique qui peut peser sur la scène internationale.
Ce qui justifie l’appartenance de la CEDEAO aux G20 par ce que, le PIB englobant l´ensemble des 15, et bientôt 16 PIB, correspond au PIB de la Turquie et dépasse de PIB de la suisse ou de l’Arabie saoudite. Donc vous voyez qu´il y´a là un enjeux diplomatique important. Il ne s´agit pas seulement de construire de la coopération entre 16 pays, il s´agit de construire l´attractivité d´une zone qui est la zone la plus jeune du monde, 70% de sa population a moins de 30 ans. Une zone qui est relativement peuplée par apport à l´immensité de sa taille : 300millons d´habitants sur 6 millions de km². Donc on voit bien qu´il y´a là un effort à faire pour reconstruire de la cohérence, et surtout de la symétrie entre le nord et le sud, entre l’est et l´ouest de cette vaste zone qui englobe l´Afrique du nord, l’Afrique de l’ouest, le golf de Guinée et donc la bande sahélo saharienne.
Donc l´adhésion du Maroc est attendu puisque 75% des parlementaires sondés estiment que l´adhésion du Maroc sera bénéfique à l´organisation. De la même manière le retour de la Mauritanie est aussi attendu 63% des sondées estiment qu´il serait tout à fait légitime que la Mauritanie, de par sa production de sécurité dans le cas du G5, revienne dans l´organisation qu’elle avait quittée en 2000 pour des questions de hiatus entre son statut de concession basé sur la charia et le principe de la charte de la Traité de Lagos en mai 1975. Qui précise que les états doivent adopter la sécularité, donc il y a cette réflexion qui est en train d´être réservé.
La CEDEAO est une zone attractive, d´autre pays s´intéressent à la CEDEAO, loin géographiquement loin de cet espace politique et économique. C´est le cas de la Tunisie, puisque 73% des sondées estiment que la demande de l’obtention d´un statut de membre observateur, est attendue, souhaitée et bénéfique.
La question que nous avons posée au parlementaire de la CEDEAO nous l´avons aussi posé concernant l´Algérie. Ils ont été beaucoup plus interrogatifs ou dubitatifs. Il n´y a que 32%, de parlementaires qui estiment que la demande d’obtention d’un statut de membre observateur sera une bonne chose, et le reste, estime que cela prendrait d´avantage de temps.
Le dernier point sur lequel nous avons interrogé les parlementaires, c´est la question de la monnaie. Cette question de la monnaie unique qui devrait être à la base de l’union économique et monétaire c´est-à-dire, en gros, est ce qu´on fait une union économique avant l´union monétaire ? Est ce qu’il ne faut pas d´abord penser l´union monétaire ? 54% l’espère, en rêve, et 27% sont résolument contre, je résume en disant qu’il y a peut-être beaucoup d´utopiste et un petit peu moins de réalisme. C´est une question captivante, mais une question qui ouvre le débat.
Il se dit que le dossier du Maroc sera confié à un cabinet de consulting pour accélérer l’adhésion du royaume à la CEDEAO parce qu’il est remarqué que les circuits classiques à savoir les Affaires étrangères et autres n’ont pas fait avancer le dossier. L’entrée des lobbies vous inspire quoi ?
Je ne suis pas tout à fait au fait du sujet, mais néanmoins je peux vous donner une réponse. Moi, je trouve tout à fait sain, que chaque Etat évoque au-delà des éléments de langage structuré traditionnel. Le Maroc est un pays de l´Afrique de l’ouest, géologiquement, c´est indéniable. Donc moi, je crois que le fait que beaucoup de pays pensent qu´il faut mieux se vendre, parce qu’il y´a des outils de communication, des stratégies d’influence.
Il y a de part et d’autre une action de résistance qui s’organise, parce que l´arrive du Maroc va sûrement perturber l’omnipuissance d´un certain nombre d´éléments économiques, qui dans l’espace ouest africain, est une réalité.
Comme par exemple, le Nigeria. Donc d´une certaine façon, il y a sans doute des craintes à lever. Donc le fait qu´il y a recours à la stratégie d´influence ou à une communication plus offensive ou à une communication plus professionnelle, me semble être, au contraire, la preuve qu’il y´a la volonté d´inscrire la réflexion sur le fait sous régional. Plus seulement comme un seul élément de diplomate, plus comme une logique d´Etat à Etat, ou de chef d´Etat à chef d´Etat.
D’ailleurs, un des éléments qui nous permet d´analyser le sondage, au moment où il y´a eu un doute sur la légitimité, bien fondée, de la demande de l´adhésion du Maroc à la CEDEAO caractérisé par la lettre adressée par le roi de juin 2017. La réponse de la CEDEAO a sans doute été peut-être un peu maladroite, de confier à un chef d´Etat le soin d´étudier la faisabilité de l´adhésion du Maroc à la CEDEAO. Ce qui me fais dire que l’adhésion d´un pays vers un autre pays, n´est pas le fait de peuples qui vont en subir ou en bénéficier. Et donc de ce point de vu là, il y´a un certain nombre de chiffres qui parlent pour eux même.
Le Maroc n’exporte que 6% de sa production industrielle vers les pays de la CEDEAO. Il investit 65% sur le continent africain, sans focaliser sur la CEDEAO, ce sont des réalités. Une autre réalité, qui fait que le Maroc est, après l’Afrique du sud, le deuxième émetteur d’investissement direct étranger sur tout le continent africain, pas seulement la zone ouest africaine. De facto le Maroc est le premier investisseur dans la zone de l’UEMOA, donc la façon de mettre cela en avant et de dire ce que cela va provoquer comme bien fait pour les peuples une augmentation des impôts, que les entreprises marocaines vont payer dans les pays dans lesquels ils sont. Une augmentation de la diversité de l´offre. Ce n’est pas des entreprises publiques mais des entreprises privées donc, dans toute cette mise en place de ce qu´on appelle le partenariat publique-privé qui est sans doute dans la zone ouest africaine, un enjeu de taille pour la diversification économique, la quête d'excellence de filières économiques. Je crois peut-être que c’est un des éléments qui ressort de manière assez formelle dans ce sondage. C’est que la CEDEAO, comme d´autre espaces économiques intégré, a besoin de se trouver une spécificité. Une spécificité par apport aux autre communautés économiques régionales voisines, mais surtout une spécificité dans le monde
Vous pensez à quoi ?
Je pense à la spécificité d’une zone où il y a une forte dimension culturelle, partagée un islam malikite, qui a depuis le 18ème siècle fécondé l’ensemble des populations au nord comme au sud du Sahara. Donc cette logique de prosélytisme d´un islam malikite basé sur l´importance historique de la tijania de Fès, qui du 18ème siècle à nos jours, a irrigué intellectuellement les sociétés ouest africaines sont un élément de convergence au-delà des diverses appréciations qu´on a selon qu’on pratique l’Islam au Sénégal, au Mali ou ailleurs…
Ça, c´est un élément important, une sorte de spécificité, la manier, donc on pense la proximité qu’on a du fait colonial tous les pays ont fait face à un fait colonial, plutôt liée à la France mais pas seulement, il y a aussi des pays de la CEDEAO qui ont connu un fait coloniale britannique ou allemand. Donc il y´a là aussi, une manière de se penser dans le monde non pas face mais avec, en profitant de la capacité de nouer un partenariat que chaque pays peut apporter vis avis d´un pays avec qui il a des relations historiques, la France l´Allemagne la Grande-Bretagne.
Donc le fait de penser la CEDEAO dans un espace plus large imbriqué dans une logique de partenariat euro-africain, Europe, Afrique-méditerranée. Ça, ce sont des éléments qui renforcent l’attractivité encore plus que l’appartenance des 16 pays au sein des organisations qui feront le monde de demain. Car de plus en plus l’ONU sera moins crédible, et de plus en plus le fait, ou la spécificité subrégionale sera un élément de coopération avec d’autre organisations subrégionales, en Asie, en Amérique, et évidemment en Europe.
Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue
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