Le roi met l’Algérie au pied du mur à quelques semaines de la rencontre de Genève (discours)

Le roi met l’Algérie au pied du mur à quelques semaines de la rencontre de Genève (discours)

Aujourd’hui mardi 6 novembre est le 43ème anniversaire de la Marche verte, et à cette occasion, comme pour les précédentes, le roi Mohammed VI a prononcé un discours, entièrement consacré à cette commémoration et à l’actualité de l’affaire du Sahara. Ce que l’on retiendra de ce discours est l’ouverture au dialogue faite directement à l’Algérie, un mois avant la rencontre des protagonistes dans l’affaire du Sahara, sous l’égide de l’ONU et sous la contrainte de la résolution 2440. Voici les principaux points développés lors de ce discours du dit et du nondit.

1/ l’Algérie. Un véritable appel à la raison est adressé aux voisins, entamé sous le chapitre émotionnel et sentimental, et usant des termes « insensé » et « inacceptable » pour décrire les relations actuelles entre les deux pays. Ainsi, le roi rappelle l’histoire récente commune des deux Etats et des deux peuples, depuis la lutte commune pour l’indépendance, et aussi (en passant) l’aide apportée par le Maroc au FLN, jusqu’aux premières années de cette même indépendance. Puis, lançant cette phrase courte : « nous nous connaissons bien », il fait un clin d’œil à l’ONU, cette « tierce partie » qui remplit le rôle d’intermédiaire inutile entre les deux capitales, suggère le roi qui explique que la région n’a pas vraiment besoin d’un médiateur. Las…

Rappelant également un fait indéniable, en l’occurrence ses différentes propositions pour le rapprochement du Maroc et de l’Algérie, entre autres avec les appels à la réouverture des frontières, le roi y va franco cette fois : « C’est, donc, en toute clarté et en toute responsabilité que Je déclare aujourd’hui la disposition du Maroc au dialogue direct et franc avec l’Algérie sœur, afin que soient dépassés les différends conjoncturels et objectifs qui entravent le développement de nos relations.
A cet effet, Je propose à nos frères en Algérie la création d’un mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation. Le niveau de représentation au sein de cette structure, son format, sa nature sont à convenir d’un commun accord
 ». 

La manoeuvre est aussi amicale qu’astucieuse… en effet, l’Envoyé spécial de l’ONU la lira aussi, et ne comprendra pas que cette invitation au dialogue puisse être refusée. Il est diplomate et toute discussion est bonne à prendre ; le contraire est donc suspect. Astucieuse aussi car le roi ferre les voisins dans leur rôle de partie qu’ils refusent. Ils auront d’autant plus de difficultés à refuser (et ils refuseront car ainsi sont-ils) avec cette précision de Mohammed VI : « en vertu de son mandat, ce mécanisme devra s’engager à examiner toutes les questions bilatérales, avec franchise, objectivité, sincérité et bonne foi, sans conditions ni exceptions, selon un agenda ouvert. Il pourra constituer le cadre pratique d’une coopération, centrée sur les différentes questions bilatérales, notamment celle qui a trait à la valorisation des opportunités et des potentiels de développement que recèle la région du Maghreb » ... Un joli clin d’œil aux résolutions 2440 et 2414 sur le Sahara qui parlent toutes deux de la nécessité de relance de l'UMA.

Plus loin, dans le discours, le roi tacle cependant l’Algérie quand il salue les efforts déployés par les chefs d’Etat africains qui ont évité au continent de perde du temps précieux. L’allusion ici est sur cette décision 653 dont les Algériens voulaient faire une base pour l’appropriation de la question du Sahara par l’UA, ce que le Maroc refusait bien évidemment, suivi finalement par les chefs d’Etat africains.

2/ La médiation onusienne. Le chef de l’Etat revient sur les récupérations successives de territoires que le Maroc a réalisées depuis 60 ans puis, tout en rappelant l’attachement...

du Maroc à la coopération avec personne et tout le monde s’il le faut, le roi Mohammed VI martèle le message de toujours, sur le caractère non négociable de la marocanité du Sahara. Il cite son propre discours du 6 novembre 2017, dans lequel il listait les fondamentaux de la position marocaine : souveraineté pleine et entière sur le Sahara, définition du processus pour aboutir à une solution (en clair que l’Algérie soit reconnue comme partie), et l’ONU comme seul médiateur dans la résolution du conflit. Il se trouve que deux résolutions onusiennes plus tard, l’ONU a accepté les deux dernières conditions, et semble vouloir, peut-être, s’acheminer vers une réponse positive à la première. Reste à en convaincre les voisins, mais cela est une autre histoire…

3/ Le Sahara, en interne. Le roi redit encore une fois que la politique de la rente, c’est fini, que le développement et la distribution des richesses sera égalitaire, et que le développement des provinces du sud sera intégré au modèle de développement qu’il appelle de ses vœux et que tout le monde attend.

Par deux fois, le roi insiste sur les habitants des provinces sahraouies qui seront les bénéficiaires de leurs richesses, d’abord au moyen de la régionalisation avancée, et en second, lieu, pour les partenariats conclus.

4/ L’UE. Un passage rapide, qui pourrait presque passer inaperçu… « le Maroc s’emploiera à développer des partenariats économiques efficients, générateurs de richesse, avec différents pays et divers groupements économiques, y compris l’Union européenne. Néanmoins, nous n’en accepterons aucun qui pourrait porter atteinte à notre intégrité territoriale. Il nous importe avant tout que ces partenariats soient expressément bénéfiques et, au premier chef, à la population du Sahara marocain, en ayant un impact positif sur leurs conditions de vie et en leur permettant de jouir, à l’intérieur de leur patrie, d’un climat de liberté et de dignité ».

En gros, à l’UE, le chef de l’Etat dit ceci : on veut bien travailler avec vous, créer des richesses communes, et pour ma part, je m’engage encore une fois à ce que ces richesses aillent aux locaux. Mais attention, toute décision revenant sur la souveraineté du Maroc sera sèchement et définitivement rejetée.

Or, comme l’accord a été signé entre Rabat et Bruxelles durant l’été, cette phrase du roi ne peut servir vraiment que dans l’aspect judiciaire, Algériens et Polisariens attaquant ces accords là où ils peuvent pour extraire le Sahara du Maroc. Mohammed VI a donc glissé un argument aux futurs plaideurs du royaume dans de futurs jugements de la Cour européenne, et il a aussi envoyé un message aux parlementaires européens, qui se montrent turbulents de temps en temps.

 

Un discours dans la veine de ceux des années passées, avec des références claires, des mots directs et des positions fermes. Le roi Mohammed VI a été dans le sens de l’ONU, tout en rappelant les fondamentaux, a été « gentil » avec l’UE, tout en lui rappelant les lignes rouges à ne pas franchir, et a été jusqu’à la limite de la bienséance entre voisins, plaçant du même coup l’Algérie au pied du mur, la piégeant même en quelque sorte. On attendra la réaction de M. Messahel, le chef de la diplomatie algérienne…

Le discours, qui rejoint la position officielle du Maroc de ne pas crier victoire suite à l'adoption de la résolution 2440 la semaine dernière au Conseil de sécurité, s'inscrit résolument dans la perspective de la réunion de Genève, en ouvrant les portes du dialogue, en reprenant les termes convenus de l'ONU, et en impliquant l'Algérie encore plus fort qu'elle ne l'a été dans la résolution du Conseil de sécurité.

Aziz Boucetta

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