Quatre journalistes marocains poursuivis en justice pour leurs écrits… mais en France

Quatre journalistes marocains poursuivis en justice pour leurs écrits… mais en France

La vie réserve souvent des surprises, mais parfois ces surprises sont plutôt de l’ordre du burlesque. C’est le cas de cette affaire en justice où deux Marocains sont poursuivis par un troisième, pour un fait survenu au Maroc, et impliquant une société de droit marocain. On savait les tribunaux au Maroc saturés, mais pas à ce point… On savait les tribunaux français rapides, mais pas à ce rythme…

Les faits. En 2014, feu le général Abdelaziz Bennani (ancien inspecteur général des FAR) était hospitalisé à l’hôpital parisien du Val de Grâce. L’ancien capitaine Adib, un temp héros pour avoir dénoncé des actes de corruption, avant de devenir opposant, puis exilé, puis enragé, s’était présenté aux portes de l’établissement militaire où était traité le général Bennani. Il avait essayé de s’introduire dans sa chambre, pour lui remettre des fleurs fanées et une lettre comportant un torrent d’injures.

La chambre de l'ancien "patron" de l'armée marocaine était-elle sous juridiction civile française ou marocaine, au nom du principe de l'extra-territorialité ? Etait-elle sous juridiction militaire française, les protagonistes étant des soldats et l'établissement appartenant à l'armée française ? Dna stous les cas, ce sera à la justice marocaine, et non française, de le dire, aux termes des conventions judiciaires signées en 2015.

La presse marocaine s’était alors saisie de l’affaire, peu anodine il est vrai vu la qualité du général Bennani, et le statut de l’hôpital des armées du Val de Grâce. Et puis, le capitaine Adib avait été auréolé au début des années 2000 du statut de courageux capitaine dénonçant la corruption, avant de basculer dans une sorte de spirale dangereuse qui l’a amené à s’installer en France et à se déclarer opposant du Maroc.

La plainte. Naïm Kamal, directeur de Quid.ma, et Narjiss Regghaye, journaliste free lance, connus pour leurs plumes acerbes et leurs convictions tranchées, ont alors dénoncé cet acte peu chevaleresque, et très peu digne de l’honneur militaire, d’un ancien capitaine allant agonir d’injures un général en état de détresse médicale. Ils ont considéré dans un article signé per eux deux que cet acte était de la « barbarie ».

Il n’en fallait pas plus pour que le capitaine monte au créneau, s’estime insulté, se considère bafoué dans son honneur, et porte plainte. La justice française, décidément très rapide, a donc envoyé des convocations au deux journalistes en 2017, pour comparution devant un tribunal français où ils risquent, aux termes...

des articles de loi qui leur seront opposés, amendes et prison !

L’historique. Précédemment convoqués donc par la justice française, en mai 2017, les deux journalistes marocains ont respecté les procédures et les conventions judiciaires liant les deux pays, à savoir qu’une affaire concernant des citoyens des deux pays devait prioritairement être jugée par la justice compétente, en l’occurence celle qui est la première concernée. Il avait fallu la grande crise diplomatique et judiciaire entre les deux pays en 2014, pour en arriver à cela en 2015.

Or, comme tous les protagonistes sont marocains, c’est donc à la justice marocaine de se prononcer. Une commission rogatoire avait alors été dépêchée en 2017 toujours, et les deux journalistes avaient répondu aux questions des enquêteurs.

Aujourd’hui. Les deux journalistes restent sur leurs positions : cette affaire est du ressort de la justice marocaine. On ignore si une commission rogatoire se rendra au Maroc, mais Narjiss Regghaye et Naïm Kamal ont reçu par voie postale une « convocation pour première comparution » du Tribunal de grande instance de Paris, fixée pour le 8 octobre prochain.

Signalons que deux autres journalistes, Adil Lahlou et Jamal Berraoui, de Challenge, sont aussi poursuivis, eux aussi pour les mêmes faits, et eux aussi sont convoqués pour le 8 octobre au tribunal de Paris. Dans un article publié en 2014, ils avaient qualifié Mustapha Adib de "petite merde", ce qui est certes injurieux, plus que "barbarie", mais ce sera encore une fois aux juges marocains de se prononcer.

La justice française semble s’être une fois encore fourvoyée, par précipitation, par ignorance des conventions judiciaires liant le Maroc et la France, ou par coupable indifférence … Comment se saisir d’une affaire qui implique un opposant à des journalistes, sur la base d’un mot employé par les seconds, marocains, dans un site électronique, marocain, et jugé abusif par le premier, marocain ? Comment un opposant peut-il s’offusquer d’être critiqué, alors que c’est là même le cœur du dur métier d’opposant, quand il est réel ?

Et, surtout, comment la justice française, ou plutôt une juge française, peut-elle ne pas prendre la mesure d’une affaire et décider de son incompétence face à une situation où tous les protagonistes sont marocains ? Tous ? Tous.

Réponses dans les jours, ou semaines, qui suivent… Dans l'attente, nous suggérons aux décideurs français de relire, voire de lire, les conventions judiciaires entre Rabat et Paris.

Aziz Boucetta

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