Bonnes feuilles de « Mutations politiques comparées au Maghreb et au Machrek, sept ans après “le Printemps Arabe” » 2è partie

Bonnes feuilles de « Mutations politiques comparées au Maghreb et au Machrek, sept ans après “le Printemps Arabe” » 2è partie

Panorapost vous propose la deuxième partie de la publication de l’ouvrage « Mutations politiques comparées au Maghreb et au Machrek, sept ans après le Printemps Arabe » édité par le think-tank marocain OCP Policy center

 Pour cette partie, il sera question de la crise lybienne notamment les faits qui ont précipité la chute de Kadhafi, sujet traité par Ihssane Guennoun, Chargé de programme OCP Policy Center.

Chercheur en sciences politiques, Mhammed Belarbi propose quant à lui un regard sur l’« expérience du gouvernement démocratique et défis géopolitiques du Maghreb ».

Abdallah Saaf, Senior Fellow, OCP Policy Center et superviseur de l’ouvrage dresse une comparaison de trois pays qui ont connu des évolutions différentes du printemps arabe que sont la Tunisie, L’Egypte et une large analyse sur le cas du Maroc.

Au chapitre 4, Ihssane Guennoun, Chargé de programme OCP Policy Center revient sure crise libyenne notamment les enjeux de reconstruction de l’Etat.

La Libye, pays d’environ 6 millions d’habitants, constitue un véritable Etat charnière au Maghreb, du point de vue de son emplacement géographique. Longtemps considérée comme un pays africain, à même d’assurer à ses citoyens, emploi et protection sociale, la Libye a souvent été reconnue comme disposant d’une répartition équitable des ressources, comparée à ses voisins.

La Libye a développé les secteurs sociaux, de santé et d’éducation possédait en 1987 un revenu par tête qui était plus important que celui des Anglais. De plus, plusieurs représentants de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et des Nations Unies (ONU) ont affirmé que comparativement à ses voisins, la Libye bénéficiait d’un taux d’alphabétisation assez élevé (80 % chez les adultes en 2009) et d’une espérance de vie de 77 ans en 2009.198 En 2010, le pays avait été classé 53e dans l’Index de Développement Humain, ce qui constitue un rang élevé comparé aux autres pays Africains. En revanche, bien que la situation économique du pays fût prospère, la vie politique était plutôt agitée. Une analyse comparative portant les pays touchés par le « Printemps arabe » a été menée par Ufiem Maurice Ogbonnaya dans le Turkish Journal of International Relations.

Dans cette étude, l’analyste révèle un nombre de facteurs qui permettent d’expliquer les raisons des manifestations dans chacun des pays composant le panel de l’étude.

 C’est ainsi que dans le cas de la Libye, l’auteur explique que les causes des soulèvements populaires n‘étaient pas économiques mais concernaient plutôt des taux élevés de corruption parmi les fonctionnaires du secteur public. Ainsi, à la lumière des analyses citées plus haut, le cas de la Libye est révélateur d’un pays qui, malgré des conditions économiques favorables, une sécurité sociale prédominante et des taux d’employabilité élevés, n’a pas échappé aux protestations populaires. En effet, le régime libyen favorisait une partie des tribus auxquelles il accordait le pouvoir au détriment d’autres tribus. C’est justement cette situation qui a engendré une répartition inégale de l’influence dans la sphère politique, une prolifération de la corruption et le renforcement de l’exclusion.

 Au lendemain des manifestations contre Ben Ali, en Tunisie, et Hosni Mubarak, en Egypte, Kadhafi avait tenté de se prémunir d’une contamination à travers l’instauration de « mesures préventives ». Dans cette optique, il avait baissé les prix des produits alimentaires, renvoyé des éléments de l’armée et accordé l’amnistie à plusieurs prisonniers. Cependant, les manifestations à Benghazi ont pris la même tournure qu’en Tunisie et en Egypte.

Analysant la destitution de Kadhafi et la mosaïque identitaire de la Libye Madame Ihssane Guennoun met aussi en lumière le jeu des acteurs extérieurs.

A propos du système tribal, Mme Guennou estime qu’il est révélateur d’une fragmentation nationale et identitaire. Elle explique qu’en

Libye, les tribus constituent un système aussi complexe qu’essentiel de la société, étant donné que les alliances sont davantage tribales que politiques. Les tribus participent activement à la vie politique du pays et leur rôle découle de la composition ethnique de ce dernier. Leur répartition géographique joue également un rôle important dans la prise de décisions politiques.

La Libye, pays qui compte près de 2000 tribus, avec la prédominance d’une centaine, était souvent sujette à des conflits intertribaux. Dans certaines régions du pays, la loi de la tribu pouvait prendre le dessus sur la loi nationale et dans certaines tribus, des taxes envers le chef de tribu étaient imposées aux populations.

Le régime de Kadhafi semblait assurer une unité identitaire des Libyens. Sans pour autant cautionner ses pratiques, il permettait de générer un sentiment d’appartenance chez sa population ce qui n’excluait pas des confrontations à connotation tribale. Aux yeux de Kadhafi, le système tribal était privilégié en tant que seul canal de négociation avec les populations. Cette légitimité accordée aux chefs de tribus comme représentants exclusifs de la voix de leurs membres assurait Kadhafi qu’aucun mouvement ne pourrait réclamer son autonomie. De plus, les traditions tribales s’étaient ancrées à travers la répartition de la rente notamment, motivée par la loyauté politique des chefs de tribus envers Kadhafi.

Une fois son autorité centrale disparue avec son assassinat en 2011, les fractures sociales et identitaires se sont ébranlées et les affrontements tribaux se sont multipliés. La Libye comptait traditionnellement trois régions et quatre principaux groupes ethniques organisés autour de différentes communautés. Avec la disparition du pouvoir central qu’incarnait Kadhafi, chaque communauté considérait qu’elle devait assurer sa protection par elle-même. Ainsi, on retrouvait en Libye des tribus armées qui n’hésitaient pas à s’affronter.

Mhammed Belarbi, Chercheur en sciences politiques, propose un regard sur l’« expérience du gouvernement démocratique et défis géopolitiques du Maghreb ».

« Par un détour autour de la notion de changement et de son usage, il est possible, par cet exercice, principalement politiste, d’établir celle-ci en outil central d’analyse des dynamiques politiques post-2011 au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Mauritanie et en Libye », a précisé M. Belarbi.

En mobilisant certains outils de la transitologie, qui ne nous semblent pas tous disqualifiés par les usages souvent excessifs qui en ont été faits dans certaines régions du monde, il s’agit ici de se focaliser sur les récents développements politiques au Maghreb, non seulement à travers les réformes institutionnelles mais également via les usages qu’en font les acteurs. Bien qu’elles soient encore en plein processus, lesdites dynamiques politiques recadrent désormais la réflexion sur le gouvernement démocratique dans la région maghrébine. Après un bref rappel des principaux arrangements configurant les récentes dynamiques politiques, il s’agira d’abord d’une présentation des avancées et des blocages de la pratique institutionnelle en termes de démocratisation et, ensuite, d’une analyse de leurs impacts géopolitiques, selon une approche comparative. Les quelques réflexions préliminaires axées ici sur la nature du changement au sein des pays du Maghreb post « Printemps arabe » sont susceptibles d’esquisser un cadre d’analyse compréhensif et interprétatif.

À des degrés divers, l’histoire récente fait apparaître les États maghrébins comme des États modernisateurs. Chacun de ces Etats, selon sa singularité historique, est considéré comme garant de l’ordre social et le moteur des changements. Les nouvelles mesures d’ouverture ont été impulsées par les changements politiques survenus post 2011, imposant des contraintes pour les régimes eux-mêmes. Désormais, les récents bouleversements politiques au Maghreb ont enclenché un processus de refonte du lien politique dans son ensemble et, par conséquent, un déplacement de la légitimité vers la constitutionnalisation des pouvoirs et vers la médiation montante des élections.

Les contradictions de la « globalisation démocratique » nous apprennent qu’il est toujours loisible de mesurer les divers degrés délimitation du pluralisme et de comparer sur cette base les différents régimes. Ce faisant, il importe d’explorer la logique et les modalités polymorphes du « pluralisme limité » en tant que telles. Les « stratégies de survie » qui prenaient la forme d’une libéralisation politique, visaient, sans doute, à alléger la pression sur les régimes et à favoriser leur pérennité. Toutefois, cela impliquerait de reconnaître d’autres valeurs et d’autres cadres qui s’orientent vers des fonctionnements libéraux (qui ne convenaient ni à la nature effective des régimes ni aux attentes suscitées par ces stratégies de survie). Concernant l’expérience des gouvernements démocratiques, l’amplification des faits récents agit sur les acteurs, contribue à leur émulation et influe par la même occasion sur leur implication dans un nombre de processus qu’ils pensaient ne pas maîtriser et auxquels ils ne prévoyaient pas de recourir.

Revenant sur l’ « Aperçu théorique autour de la notion du changement politique », Mhammed Belarbi explique que les premières analyses produites sur les événements de 2010-2011 au sein des pays arabes tendent à distinguer fortement les processus contestataires. Ceci dit, pour parler de transitions politiques dans les pays du Maghreb, il y a une nécessité méthodologique d’abord de revenir sur l’état des régimes à partir desquels se sont amorcées les récentes dynamiques politiques. Le cadrage de la causalité transformatrice de l’évolution des formes de gouvernance et de mobilisation, et la résilience autoritaire, imposent des qualifications théoriques.

De fait, le référentiel de la démocratie, c’est-à-dire la manière dont sont conçus les objectifs, comment les problèmes sont-ils représentés et les solutions envisagées, diffère profondément. La somme des pratiques accumulées à la suite de nombreuses dynamiques politiques ne sert qu’à nourrir une longue liste de « démocraties à adjectifs », composée de formes plus ou moins détournées ou inachevées du modèle occidental contemporain242. Dans cette perspective, les terminologies multiples utilisées par les politologues contemporains pour décrire les régimes politiques en transition traduisent bien l’état des transitions entamées dans les années 1990 dans les pays de l’Afrique : « démocratie défectueuse », « nouvel autoritarisme », « régime hybride », « autoritarisme compétitif », « autocratie libéralisée », « autoritarisme électoral ». Au-delà des nuances qui distinguent les positions associées à ces terminologies, celles-ci se rejoignent dans la description de régimes qui partagent un même mode opératoire.

Si le gouvernement est matérialisé par le sommet de l’appareil d’État, le régime représente l’ensemble des voies qui y mènent, c’est-à-dire l’ensemble des modalités pas nécessairement formalisées, qui établissent les voies de recrutement et d’accès à des rôles au sommet de l’Etat. Par conséquent, le régime autoritaire s’attache principalement à la limitation de la participation politique et à la dépolitisation des citoyens. Ainsi, un régime autoritaire met en exclusion politique ceux qui ne lui font pas allégeance ou n’acceptent pas passivement la situation. La notion “d’exclusion politique” informe les processus et les interactions politiques, et explique la teneur politique que prennent nombre de questions économiques ou sociales dans les régimes autoritaires. Dans ce cas de figure, l’autoritarisme est un mécanisme d’exclusion et de limitation du pluralisme politique.

Retour sur les printemps arabes

Abdallah Saaf, Senior Fellow, OCP Policy Center dresse une comparaison de trois pays qui ont connu des évolutions différentes du printemps arabe que sont la Tunisie, L’Egypte et le Maroc.

Les réalités issues des printemps arabes peuvent être classées selon les différentes situations qui se sont déclarées sur le terrain jusqu’à aujourd’hui : on recense trois cas de renversement de régimes (la Tunisie, l’Egypte, la Libye). Dans plusieurs pays l’insurrection n’a pas abouti et s’est transformée en guerre civile : la Syrie, le Yémen, rejoints par la Libye où plusieurs parties se disputent le pouvoir. Ces pays s’ajoutent à ceux qui vivaient une situation d’instabilité accentuée depuis de longues années (le Soudan, l’Irak). La Palestine a vécu un printemps de plus sous occupation depuis la vague démocratique arabe de 2011, mais sans discontinuité depuis les accords d’Oslo, depuis 1967, depuis 1948. Dans un pays comme l’Algérie, il...

n’y a pas eu réellement de mouvement en raison, dit-on, des conditions de sortie du pays de la décennie noire. Dans d’autres, il n’y a pas eu d’initiatives significatives de changement (la Jordanie, la Mauritanie). Au Liban, a régné une ambiance de conflit antérieure aux événements de 2011, dominés par des tensions internes et des facteurs géostratégiques. Les pays du Golfe ont vécu à distance l’ensemble des événements, à l’exception du Bahreïn où les faits insurrectionnels ont été étouffés par une intervention militaire saoudienne.

Quant au Maroc, il ne se situe ni dans la catégorie de la glaciation ni dans celle du changement substantiellement radical. Les interrogations ne peuvent être adressées au même niveau à l’ensemble des pays de la région.

Plusieurs années après, les événements connus sous le nom de « Printemps arabe » continuent à appeler des visites renouvelées, de l’analyse et de la réflexion. Sept ans après, à distance appréciable de ce qui a semblé faire rupture avec le passé, et alors que sur les divers terrains du Maghreb et du Machrek, les flux et reflux n’ont pas cessé, et après bien des hauts et des bas, le sentiment de bonheur que provoque le changement, les joies de l’émancipation, les grandes confusions, de nombreux drames, des fractures, des confrontations, voire des guerres, les interrogations sur la nature des événements de la région, leur sens, leur portée, leurs perspectives et leurs effets, à moyen et long termes, restent entièrement ouvertes.

La perspective comparée concernant les printemps arabes renvoie, ici principalement, à l’examen de trois cas, à savoir la Tunisie, l’Egypte, le Maroc, avec un focus particulier sur le dernier cas.

Au moins trois types de processus semblent se dégager :

  • La Tunisie, premier pays de la transition, a connu un processus quasi révolutionnaire complexe, difficile, tourmenté de bout en bout. En fin de compte, et après bien des péripéties, la Constitution a pu être achevée, par consensus, sans référence à la Charia. Plusieurs élections ont été organisées.

Plusieurs formules gouvernementales ont été expérimentées. Parmi les facteurs qui ont alimenté cette dynamique, face aux agendas conservateurs, une société civile qui s’est révélée plus consistante qu’on ne croyait, un mouvement de femmes considérable, des forces progressistes de diverses natures (rôle central de l’UGTT, partis politiques de gauche, une variété de sensibilités oppositionnelles…) Majoritaires aux élections, les islamistes d’Ennahda ont fait preuve à plusieurs occasions d’autolimitation, mais ont souffert d’une relative perte de légitimité. Le régime pouvait-il réellement changer pour autant ?

  • Concernant l’expérience égyptienne, la pression populaire a provoqué la chute de l’Etat Moubarak, héritier de l’épopée nassérienne et du cycle sadatien. Tout, par la suite, a favorisé une dominance islamiste. Les erreurs des Frères Musulmans et du président Morsi ont fini par provoquer le renversement du gouvernement qu’ils dirigeaient, né des tumultes perçus par les uns comme « coup de société », et de « coup d’Etat », par les autres. La suite du processus, et la quasi-guerre civile qui s’en est suivie, condamne la démarche qui a semblé prévaloir à ce stade. Cependant, des différences notables de la situation égyptienne ressortent par rapport aux autres. Le rôle de l’armée est manifestement plus fort et plus central que dans le cas tunisien, capable de représailles violentes, avec en face des partis politiques faibles et une société civile peu en état de relever les défis. En réalité, là aussi se pose la question de savoir si en définitive les changements qui eurent lieu se sont faits finalement dans le cadre du même pouvoir.
  • Le cas marocain se situe manifestement dans une perspective que l’on peut qualifier, dès le départ, de « réformiste ». L’amendement du régime plutôt que sa transformation semble y prévaloir, à travers une approche consensuelle au sein d’une partie considérable de la société, un élargissement de l’espace public, une délibération inédite par un grand nombre d’acteurs, aussi bien traditionnels que nouveaux.

Pour le Maghreb, le paysage s’est quelque peu décanté : changement en Tunisie, incertitude en Egypte, quasi statu quo, continuité dans l’attentisme en Algérie, changement dans la continuité ou changement sans mutations spectaculaires au Maroc. Le processus ne semble pas achevé, l’agitation a persisté à des degrés inégaux. Au Maroc, par exemple, le Mouvement du 20 février (M20F) a commencé à partir de plusieurs alliances, et a connu au cours de la phase la plus avancée (décembre 2011) un divorce retentissant entre les deux composantes clés du mouvement (Ennnahj Eddimokrati et Al Adl Wa Ihssane). Il sembla se métamorphoser en plusieurs segments revenant ainsi à l’état antérieur au « Printemps arabe ». De plus, alors que les moments forts du 20 février paraissaient comme dépassés, des explosions sporadiques de grande taille ont lieu ici et là en dehors de la logique du Mouvement du 20 février (Taza, Khénifra, El Jadida.), et sans force motrice. On sait, cependant, que les mouvements sociaux sont versatiles et qu’ils peuvent revenir en force contre toute attente. Tout s’est effectué dans une ambiance d’interaction, de positionnement des uns par rapport aux autres. Dans l’évolution des événements au Maroc, notamment à travers l’adoption de la Constitution et sa mise en oeuvre, se dégage comme les contrecoups, au début, des lenteurs et des difficultés du processus tunisien, et des événements dramatiques d’Egypte, et en particulier les circonstances de la chute de Morsi.

On se souvient de ces échanges à distance, repris partout à propos du « Printemps arabe », avant l’effondrement du régime de Moubarak, ce dernier déclarant : « L’Egypte n’est pas la Tunisie ». « La Tunisie n’est pas l’Egypte », lui avait répondu Ghanouchi.

Le Maroc s’est ressenti à divers stades de l’évolution de la vie politique dans les deux pays et a servi, durant toute la période, de référentiel pour l’approche de problèmes institutionnels spécifiques, particulièrement dans le processus constitutionnel tunisien. Au Maroc, par certains côtés, le caractère émotionnel (autour de la chute des chefs d’Etats) et réactif (au cours de l’évolution ultérieure) est frappant tout le long du processus.

Avec le recul de sept années après les événements de 2011, plusieurs interrogations s’imposent : Où en est-on après les explosions de 2010-2011 ? Ont-elles toujours des prolongements ? Comment apparaît aujourd’hui la nature de ces processus ? En quoi ont consisté les événements insurrectionnels ? Comment lire les processus de protestation qui ont éclaté partout dans le monde arabe ? Faut-il les rapporter à la logique des mouvements successifs de libéralisation et de raidissement qui ont marqué la vie politique de chacun des pays concernés au cours des dernières années ? Faut-il imputer l’explosion à l’arrêt de processus de libéralisation politique dans ces pays : fin de l’expérience du gouvernement de l’alternance au Maroc, durcissement du pouvoir en Egypte, désirs de plus grande ouverture non satisfaits en Algérie, au Bahreïn, etc.. ; renforcement de l’autoritarisme en Tunisie ? Quid de la carte institutionnelle effective, des processus électoraux, de la situation de la justice, des médias, des droits de l’homme, des processus de sécurité ?

Processus de démocratisation ou enfoncement dans la tourmente ? Situation de ni démocratie ni autoritarisme ? Quelle est la nature des transformations, des évolutions, des ruptures s’il en est ? Par ailleurs, comment expliquer et la victoire « démocratique » des islamistes et quelle est sa signification ? Que pouvaient-ils accomplir au cours de cette législature ?

S’agissant, dans ce texte, de revenir à distance sur ces processus, la science sociale est-elle en mesure de s’arrêter valablement aujourd’hui sur un ensemble de faits et d’actes que des acteurs opérationnels décryptent parfois comme participant d’un vaste complot international ? Que bon nombre d’observateurs considèrent comme toujours en gestation, une entreprise en l’état actuel des choses encore inachevée, des phénomènes non finis, des processus encore marqués par l’« indétermination », des conjonctures encore trop ouvertes ? Manifestement, la question de la fermeture ou de l’ouverture de ces événements reste indéterminée. Les mouvements actifs en 2011 selon l’approche de Verta Taylor, loin de tomber nécessairement dans le déclin ou l’épuisement, peuvent se convertir en cellules ou réseaux dormants, prêts à alimenter une nouvelle génération d’explosions comme cela peut être le cas dans le mouvement actuellement à l’oeuvre au Rif, à Jerrada, et dans d’autres parties du pays?

L’objectif est autant de questionner les événements qui ont fait le « Printemps arabe » que les processus de réforme qu’ils ont impulsés, les voies et les rythmes de démocratisation choisis, les mécanismes de formation de la citoyenneté, les procédures et techniques de construction de la vie politique, en portant un regard sur l’ensemble de la région à travers l’étude des systèmes, des acteurs et de leurs interactions.

Au coeur de ce questionnement, plusieurs angles d’approche interpellent l’analyse : développement, préoccupations identitaires, édification de l’Etat de droit, promotion des droits de l’homme, stabilité politique et sécurité, relations internationales, vivre ensemble, justice sociale, dignité humaine. Il importe dans chaque cas de distinguer entre l’événement et ses dynamiques, en y démêlant les anciennes formes de protestation venues s’ajouter à de nouvelles.

Ce qui est apparu, au départ, comme une vague de fond remettant en cause des ordres bien établis dans la région, a tout de même initié des réélaborations constitutionnelles, de grandes consultations populaires, des refontes institutionnelles notoires, la production d’une nouvelle génération de lois et de règlements, le lancement de politiques publiques déterminées, une plus grande implication de la société, et l’émergence de nouveaux acteurs.

Alors que le « Printemps arabe » battait son plein, les acteurs, Etats et porteurs du mouvement social, étaient aux aguets, incertains, dubitatifs sur l’issue des événements en cours. Ils prêchaient leurs convictions, déclinaient leurs agendas : avec leurs repères propres, leurs analyses, leurs chronologies, leur perception des faits vécus, leurs attentes et leurs espérances.

Entreprendre l’étude d’un mouvement de protestation exige, sans aucun doute, une distance épistémologique nécessaire à une objectivisation convaincante, une attitude de défiance vis-à-vis des représentations et des idées des différents acteurs sur les événements. Il ne s’agit, en effet, ni de s’inscrire contre, ni d’être pour, mais de s’affirmer comme observateur « engagé », juste le degré nécessaire d’engagement pour tenter de mieux saisir le réel.

Dans l’étude d’un mouvement de protestation comme celui vécu à travers le Mouvement du 20 février, plusieurs niveaux appellent l’attention, en particulier les suivants :

Il est possible d’entreprendre une analyse des soubassements sociaux du mouvement de protestation à l’instar de celui effectué par Samir Amin dans ses textes sur les événements dits du « Printemps arabe » dans son livre sur « La révolution égyptienne », en se basant sur une analyse des classes sociales.

Il est possible, aussi, que la recherche empirique se saisisse des éléments quantitatifs (les chiffres, statistiques, données relatives aux mouvements de protestation, les normes produites suite à son impact) et qualitatifs constitutifs (la nature de sa composition, les coalitions, les succès, les échecs, les questions de sens).

Il est possible de dégager une lecture synthétique des faits, en évitant de se perdre dans la pléthore des éléments d’information, tout à fait naturelle dans ce type de contextes.

Dans ce texte, il s’agit principalement de s’arrêter d’abord sur les interactions marocaines avec les événements en Tunisie et en Egypte, d’examiner le phénomène insurrectionnel à travers ses expressions pratiques et théoriques, d’explorer les facteurs qui l’ont déterminé, et de relire les séquences politiques les plus importantes qu’il a engendrées.

 Mouhamet Ndiongue

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