Migration : l’Europe prise au piège de sa politique migratoire

Migration : l’Europe prise au piège de sa politique migratoire

La France et l'Allemagne appellent à des accords à plusieurs pays sur les défis migratoires pour contourner l'absence de consensus qui paralyse l'Union européenne sur ce problème.

Alors qu'étaient réunis dimanche à Bruxelles les dirigeants de 16 pays pour un mini-sommet visant à apaiser le climat de tension face aux questions migratoires, le bras de fer en Méditerranée entre les ONG humanitaires et le gouvernement italien s'est poursuivi.

Un navire de l'ONG allemande Lifeline a été bloqué au large de Malte avec 239 migrants à son bord, l'Italie puis Malte lui ayant refusé l'accostage.

Le ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini a sommé les ONG internationales de se tenir à l'écart des opérations de secours de migrants et de laisser les garde-côtes libyens se charger de cette tâche. « Les ports italiens sont et seront fermés à ceux qui aident les trafiquants d'êtres humains », a-t-il souligné.

Salvini a annoncé que les garde-côtes libyens avaient recueilli en mer et ramené en Libye plus de 820 migrants dans la journée de dimanche.

La réunion informelle de dimanche à Bruxelles n'a pas débouché sur des mesures concrètes, mais elle a été jugée « utile », a estimé à son issue le président français Emmanuel Macron. Elle a notamment « permis d'écarter des solutions pas conformes à nos valeurs, comme les stratégies de refoulement », a déclaré M. Macron, plaidant pour une « solution européenne ».

Cette solution « se construira uniquement sur la coopération entre les Etats membres de l'UE, que ce soit une coopération à 28 ou entre plusieurs Etats qui décident d'avancer ensemble », a-t-il ajouté, faisant écho aux déclarations de la chancelière allemande Angela Merkel.

« Nous sommes tous d'accord pour réduire la migration irrégulière, pour protéger nos frontières », a déclaré Mme Merkel. Mais quand un consensus n'est pas possible, « nous voulons réunir ceux qui sont volontaires pour trouver un cadre commun d'action », a ajouté la chancelière.

Mouvements secondaires

Elle avait évoqué plus tôt la nécessité de trouver des « accords bilatéraux ou trilatéraux dans l'intérêt mutuel », en partant du principe que le sommet à 28 programmé les 28-29 juin à Bruxelles, « n'apportera pas encore de solution globale au problème des migrations ».

Mme Merkel et M. Macron ont notamment mis l'accent sur la nécessité de résoudre le problème des « mouvements secondaires », c'est-à-dire des demandeurs d'asile qui se déplacent dans l'UE, au lieu de rester dans le pays par lequel ils sont entrés dans l'attente d'une décision sur leur cas.

C'est pour y mettre fin que le ministre allemand de l'Intérieur Horst Seehofer menace d'instaurer un refoulement unilatéral aux frontières des migrants. Contre l'avis d'une chancelière fragilisée, qui souhaite des décisions concertées avec ses voisins.

« L'idée au départ de cette réunion, c'était un peu de sauver Merkel », soulignait même une source diplomatique, avant ce mini-sommet boycotté par les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) mais auquel l'Italie a participé.

Le Premier ministre du gouvernement populiste italien Giuseppe Conte s'est dit « très satisfait » à l'issue de la rencontre, lors de laquelle il a exposé ses propositions.

Selon un document vu par l'AFP, Rome a notamment appelé à « dépasser » le principe du Règlement de Dublin, qui confie aux pays de première entrée dans l'UE la responsabilité des demandes d'asile, et dont la réforme est au point mort depuis plus de deux ans, en raison notamment de l'opposition frontale des pays de Visegrad, opposés à toute mesure de répartition.

L'Italie demande aussi dans son texte des « sanctions financières » contre les pays n'accueillant pas de réfugiés, comme l'a également souhaité M. Macron la veille.

Dimanche dernier, l'Aquarius qui avait secouru 629 migrants au large des côtes libyennes, avait accosté dans le port espagnol de Valence après le refus de l'Italie et de Malte de l'accueillir.

La question de l'accueil des migrants est au centre d'un mini-sommet dimanche à Bruxelles destiné à tenter d'apaiser les tensions dans l'UE face au défi migratoire.

L'objectif affiché par Bruxelles est d'éviter la multiplication de décisions unilatérales, à l'image de celle de Rome de fermer ses ports aux navires d'ONG secourant des migrants, comme l'Aquarius il y a peu et désormais le...

Lifeline et ses 239 passagers, dont quatre bébés, en attente d'une solution dans les eaux internationales.

« Nous vous invitons cordialement à vous convaincre que ce sont des êtres humains que nous sauvons de la noyade », a lancé dimanche l'ONG allemande Mission Lifeline au ministre italien d'extrême droite Matteo Salvini, qui avait évoqué la cargaison de « chair humaine » de son navire.

« Il ne peut y avoir de réponse unilatérale » à la question migratoire, a insisté dimanche, dans un entretien à El Pais, le nouveau chef du gouvernement Pedro Sanchez, (en photo ci-contre avec Merkel) qui avait ouvert un port espagnol pour mettre fin à l'odyssée de l'Aquarius. Il faut « une réponse européenne commune », a-t-il plaidé.

Tension franco-italienne

Le ton était pourtant une nouvelle fois monté samedi quand le gouvernement italien avait fustigé l’« arrogance » de M. Macron, après les nouvelles critiques du président français contre l'Italie et sa proposition de « centres fermés » pour les migrants dans les pays de première arrivée, où les migrants attendraient l'examen de leur cas sans possibilité de se déplacer vers d'autres pays.

Paris « n'a de leçon à recevoir de personne », a répliqué dimanche M. Macron, faisant valoir que la France avait reçu davantage de demandes d'asile depuis le début de l'année que l'Italie.

Tous les pays européens sont désormais d'accord pour renforcer les frontières extérieures de l'UE, mais ils continuent de se diviser sur leurs responsabilités dans la prise en charge des migrants tentant de rejoindre l'Europe, comme de ceux s'y trouvant déjà. Et ce malgré la chute massive des arrivées sur les côtes européennes constatée depuis 2016.

Le Premier ministre belge Charles Michel a évoqué l'idée de créer des centres d'orientation ou des hotspots, en référence aux idées encore floues de créer des « plateformes de débarquement » des migrants secourus en mer, y compris hors de l'UE (le nom de la Tunisie est souvent cité), et des centres d'accueil de migrants dans les pays de transit.

Ces projets en gestation visent à pouvoir distinguer en amont, avant les périlleuses traversées de la Méditerranée, quels migrants sont effectivement éligibles au droit d'asile et à décourager les autres de tenter le périple.

L’Italie ferme ses ports et se radicalise

L'ONG espagnole Proactiva Open Arms a affirmé dimanche que l'Italie avait refusé l'aide de son navire pour secourir un millier de migrants au large de la Libye, Rome affirmant selon elle que les garde-côtes libyens s'en chargeraient.

Les autorités italiennes « nous ont dit qu'à ce moment-là elles n'avaient pas besoin de nous (...) Elles ont affirmé que l'opération de secours était coordonnée par les garde-côtes libyens », a déclaré à l'AFP une porte-parole de l'organisation, Laura Lanuza.

La porte-parole, qui se trouve à terre mais en rapport avec le navire Open Arms, (photo ci_contre) a affirmé que l'ONG avait reçu au cours des dernières heures « sept ou huit » appels à l'aide provenant de bateaux transportant des migrants et se trouvant au large de la Libye.

« Si l'on ajoute tous les appels au secours reçus, le total est d'environ 1.000 personnes » qui auraient besoin d'aide, a-t-elle ajouté.

Quand l'Open Arms, qui se situait à 60 milles nautiques (110 kilomètres) de là, a contacté le centre opérationnel des garde-côtes à Rome, qui coordonne les secours, ce dernier a selon elle rejeté l'offre de service.

Or « si la coordination des secours revient aux garde-côtes libyens, toutes ces personnes seront renvoyées immédiatement en Libye », a dénoncé Laura Lanuza.

Le navire poursuit sa route vers la zone de secours car il a l'obligation de « porter secours à toutes ces personnes », a-t-elle ajouté.

Elle a également dénoncé les actions menées par l'Italie pour mettre à l'écart les ONG, rappelant que la justice italienne avait placé sous séquestre en mars le navire d'Open Arms, l'accusant de favoriser l'immigration illégale, avant d'annuler la saisie mi-avril.

Ces derniers jours, le gouvernement italien a également menacé de mettre sous séquestre deux navires d'ONG allemandes, le Lifeline avec 230 migrants à bord et le Seefuchs, si ces derniers venaient mouiller dans un port italien.

 

Aziz Boucetta

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