« Les collectivités locales doivent contrôler le prix du poisson pour éviter les hausses » (Kamal Sabri)

« Les collectivités locales doivent contrôler le prix du poisson pour éviter les hausses » (Kamal Sabri)

Une vague de protestations est née depuis le début du mois de ramadan, contre la cherté des poissons et les prix élevés pratiqués pour les sardines, que les Marocains ont pris pour habitude de consommer durant ce mois du jeûne en raison de leur valeur nutritive et de leurs prix relativement abordables, ou qui du moins devraient l’être... Mais ça, c’était avant… Ce ramadan, le prix du kilo de sardines dépasse les 25 DH par endroits…

Qui est donc responsable de cette situation qui a conduit un grand nombre de personnes à déclarer leur boycott du produit ? Les intermédiaires, les spéculateurs, l’exportation ?

Notre confrère Mowatine a interrogé à ce sujet Kamal Sabri (ci-contre), président de la Chambre de pêches maritimes du nord, qui a expliqué le processus de distribution de la sardine, avec ses différents intervenants, de même que le mode de fixation des prix sur les marchés.

Comment expliquez-vous la flambée des prix du poisson durant ce mois de ramadan, et principalement les sardines ?

Je voudrais préciser d’abord qu’il appartient à tout citoyen de connaître la nature du marché de la sardine, tant au niveau offre que sur le plan des prix. Mais il est important de préciser qu’il existe au Maroc deux types de sardines : celles qui sont pêchées du nord de Safi jusqu’à la côte méditerranéenne, et qui sont de tailles grandes et moyennes, et celles que l’on pêche au sud d’Agadir, de tailles grandes.

La première variété est vendue par le producteur (pêcheur) au plus à 8 DH quand les prises se font  par temps agité et 5 à 6 DH par mer calme. Et je voudrais préciser que ce prix n’a pas varié durant ce mois de ramadan, et qu’il est le même pour les autres mois de l’année.

Quel est le prix de vente de la sardine à son arrivée dans les ports, et quelles sont les étapes suivantes dans le circuit de distribution ?

Quand les bateaux accostent dans les ports, leurs cargaisons sont vendues aux enchères publiques, sous le contrôle de l’Office national des pêches, et les prix des sardines ne dépassent pas les 7 DH le kilo ; le poisson est alors chargé dans des camions frigorifiques appartenant aux vendeurs en gros, et acheminé vers les marchés comme ceux de Casablanca, Tanger, Agadir, Tanger, Meknès, Marrakech, Oujda et autres… Le prix de vente aux détaillants est alors majoré au maximum de 2 DH.

Précisions que les sardines ne peuvent faire l’objet de spéculation car leur délai de consommation ne peut dépasser 24 heures après leur sortie de mer, contrairement à d’autres variétés de poissons. Une fois vendues aux détaillants, qui n’achètent en grande partie qu’une cinquantaine de kilos chacun, soit deux caisses, le prix d’achat des sardines est majoré de 7 DH au maximum, pour couvrir les frais des commerçants au détail comme la location des locaux et le transport de la marchandise, et pour inclure la marge commerciale du vendeur.

Tout cela concourt à l’idée que le produit sardine, après les différentes étapes de sa distribution, ne peut dépasser le prix de 15 à 17 DH le kilo.

Comment expliquez-vous alors qu’à certains endroits de Casablanca et de Rabat, le prix de la sardine ait atteint les 30 DH le kilo ?

Cela n’est ni acceptable ni raisonnable et les services de contrôle des prix devraient intervenir, de même que les collectivités locales, responsables directes des marchés de vente au détail. Il ne doit pas être inenvisageable de revenir aux anciennes méthodes pratiquées jadis dans les souks, en l’occurrence la fixation de prix de vente sous le contrôle d’un « amine » qui veille et supervise cette opération, en accord avec les responsables des marchés de gros.

Quant à nous, producteurs, nous refusons ce prix de 30 DH/kg de sardine,...

un prix exorbitant qui montre la voracité de certains détaillants. J’ai la conviction que ce prix n’est pratiqué que dans certains marchés, qui se comptent sur les doigts d’une main, isolés et situés en grande partie dans les quartiers huppés de Casablanca. Pour ce qui est des quartiers comme Sidi Bernoussi, Sbata, Aïn Chok, Sidi Othmane et d’autres dans la capitale économique, on y vend la sardine à des prix n’excédant pas les 15 DH/kg.

Vous avez évoqué une autre variété de sardines pêchées dans les littoraux marocains au sud d’Agadir… Ces poissons sont-ils écoulés de la même manière que les sardines pêchées au nord de Safi ?

Les sardines venant de cette région sud du pays sont vendues à des prix variant entre 5 et 6 DH. La raison est l’accord tarifaire conclu dans les ports du Sud entre les patrons de bateaux, les vendeurs au gros et les industriels. La plus grande partie du produit de la pêche est destinée à l’exportation, et le reste va dans les marchés intérieurs du pays pour répondre à la demande.

Il est donc du devoir des vendeurs au détail d’informer le consommateur sur le prix de vente des deux types de poissons, proposés en vrac ou en conserves, afin de le tenir au courant des différences de prix et de la qualité du poisson mis en vente.

Le Maroc dispose de deux littoraux courant sur 3.500 km de côtes mais les prix des poissons restent élevés et l’offre dans les régions intérieures demeure faible par rapport aux villes côtières…

Il faut rendre grâce à Dieu du fait que le Maroc a fait un grand pas en avant du fait de la mise en place du Plan Halieutis, car sinon les choses allaient empirer en raison de l’exploitation non réglementée, « sauvage », de nos richesses en poisson. Si le travail d’encadrement n’avait pas été réalisé, nos mers n’auront plus servi qu’à la baignade…

Le Plan Halieutis a introduit un certain nombre de législations, de principes et de mécanismes aux fins de protéger nos ressources halieutiques et nos richesses poissonnières. Ainsi, les bateaux de pêche sont désormais tous équipés d’appareils de contrôle et de GPS pour savoir où, quand et comment ils pêchent. Leurs itinéraires sont suivis au niveau d’un centre de contrôle situé au ministère à Rabat. Le Plan a aussi fixé les périodes de pêches et celles de repos biologique, de même qu’il a précisé par zones les quantités de poissons à pêcher, dans l’objectif de déterminer les volumes à pêcher et la quantité de poissons à laisser en vie et en mer pour la reproduction.

Toutes ces mesures, combinées, ont permis de ramener la population de poissons à son niveau d’avant, et cela s’est fait, par des moyens scientifiques, dans la durée.

Aujourd’hui, il appartient aux professionnels du secteur, au ministère et aux collectivités locales de redoubler d’efforts pour organiser et structurer le secteur en vue d’une meilleure commercialisation de ses produits, et aussi pour tenir le consommateur final informé sur les prix de vente de la pêche dans les ports. Ce n’est que de cette façon que les spéculateurs seront amenés à respecter l’éthique de leur métier et à ne plus pousser leurs prix vers le haut à des occasions comme ramadan par exemple.

L’exportation de poisson a-t-elle une incidence sur les niveaux élevés des prix au Maroc, tout au long de l’année ?...

98% de la pêche effectuée au nord de la ville de Safi est destinée au marché local, et 70% de celle du sud d’Agadir est exportée, et a fait la réputation du Maroc dans le domaine. Les 30% restants sont écoulés au Maroc, bien que les Marocains ne soient pas encore très familiarisés avec ce genre de produit, le poisson en conserve en l’occurrence.

Propos recueillis par Abdelkader Fatouaki (Mowatine.com)

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