Discriminations au Maroc : le Conseil civil contre toutes les formes de discriminations dénonce un silence coupable (Rapport)

Discriminations au Maroc : le Conseil civil contre toutes les formes de discriminations dénonce un silence coupable (Rapport)

Présenté, le vendredi passé à Rabat, le Rapport états des lieux des discriminations au Maroc  a nécessité un an de travail fouillé et bien documenté avec des références et des témoignages. Ce travail mené par un collectif de 13 associations et organismes réunis dans le cadre d’un Conseil civil contre toutes les formes de discriminations, initié par le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM), né fin 2016, a entrepris cette étude pour dresser l’état des lieux de ce phénomène.

Ce travail pose avec acuité la lancinante question de la discrimination qui a toujours des poches de résistance dans la société marocaine. Mères célibataires, migrants subsahariens, homosexuels, personnes déminues, personnes à mobilité réduites... tous sont victimes d’ostracisme avec plusieurs degrés différents.

Pour le premier volet d’exploitation de ce rapport, nous nous intéressons à la problématique des travailleurs/travailleuses domestiques.

Cadre juridique défaillant

Pendant plus de 6 ans, le projet de Loi organisant les conditions de travail des travailleurs/travailleuses domestiques a circulé au sein du parlement – après son adoption par le gouvernement en 2011 – pour n’être voté qu’en mai 2016. Les textes d’applications ont étés adoptés par le conseil de gouvernement en 2017 pour une application un an plus tard, en octobre 2018. Si cette loi apporte quelques avancées, plusieurs limites sont néanmoins à souligner. De fait, combler le vide juridique en matière d’organisation du secteur du travail domestique-ménager est une première étape vers de potentielles avancées dans ce domaine mais il ne s’agit pas d’une avancée en soi. Cela ouvre néanmoins la voie vers une restructuration de ce secteur, passant d’un domaine d’activité économique principalement informelle vers l’économie formelle. Dans cette logique la loi 19-12 instaure un salaire minimum (60 % du SMIG dans le secteur industriel), institue l’obligation d’un contrat de travail écrit et déposé auprès des autorités concernées, garantit des repos (hebdomadaires, fêtes nationales et religieuses, …), oblige l’employeur/employeuse à inscrire les travailleurs/travailleuses domestiques à la CNSS (couverture médicale) et impose une autorisation du/de tuteur/tutrice légale (souvent les pères) pour les enfants entre 16 et 18 ans. Cependant cette loi suscite le débat et la critique, à deux niveaux notamment.  Premièrement, elle autorise le travail domestique des mineur-e-s entre 16 et 18 ans - sous conditions précisées par les textes d’application que représentent les deux décrets mentionnés juste en haut. Compte tenu de la pénibilité du travail domestique, cette loi aurait dû protéger les enfants en élevant l’âge minimum du travail domestique rémunéré à 18 ans. En résumé, le Code du travail a prévu une loi spécifique pour le secteur du travail domestique rémunéré dans l’objectif d’innover et de créer des procédures de contrôle adaptées : calquer ces dernières du « Code du travail » sur la loi 19-12 amène à questionner la vision-même de l’État et du législateur. L’enjeu de cette loi 19-12 est-il réellement lié à un souci égalitariste visant à garantir et protéger les droits des travailleurs/travailleuses domestiques ou se limite-t-il à une volonté d’ordre économique dont l’objectif est de tirer progressivement le travail domestique du secteur informel vers le secteur formel ? Un enjeu déjà important certes (comme déjà signalé), mais insuffisant en termes d’égalité effective entre les sexes et de justice sociale. La finalité de la loi 19-12 est d’amorcer un changement (au moins au niveau de l’arsenal juridique) vers la réduction des discriminations au travail que subissent des catégories de travailleurs/travailleuses vivant déjà dans une situation de précarité socio-économique, en l’occurrence ici les travailleurs/ travailleuses.

La situation des travailleurs(euses)e domestiques au Maroc 

Ce diagnostic qualitatif exploratoire des formes réalisées par l’Institut Prometheus pour la démocratie et les droits humains (IPDDH) décrit un travail « inacceptable » dans le secteur domestique-ménager.

Souvent aphone et invisible, le « travail domestique » acquiert difficilement le statut d’un « travail » comme les autres dans les divers domaines d’activité économique en raison des représentations sociales mais aussi des institutions de l’État. Le secteur domestique-ménager au Maroc est porté par des travailleurs/travailleuses domestiques qui constituent une main d’œuvre majoritairement féminine (avec une présence d’enfants aussi), sous-payée, fortement exploitée. Ceci alors-même que ces personnes maintiennent un équilibre de vie essentiel et dont il est impossible de se passer : la politisation du débat sur les « métiers du care » (qui consistent à apporter une réponse concrète aux besoins des autres – travail domestique, de soins, d’éducation, de soutien ou d’assistance) est donc un enjeu important. L'Organisation Internationale du Travail  (OIT)  estime que le nombre de travailleurs/travailleuses domestiques déclaré-(es) dans le monde s’élève à environ 52 millions, sachant que le nombre de travailleurs/travailleuses domestique non-déclaré (es) est largement plus important. À l’échelle marocaine, les chiffres officiels font défaut. Une grande majorité de ces travailleurs/travailleuses domestiques exercent dans le secteur informel et qu’une grande partie d’entre eux/elles sont des femmes. Ces dernier-e-s travaillent sans garanties juridiques liées au salaire minimum, aux jours de repos hebdomadaire et les congés payés, couverture sociale et médicale, retraite et droit syndical. Cette situation indécente caractérisant globalement le secteur du travail domestique-ménager pèse plus sur les femmes que sur les hommes. Les activités ménagères (ménage, cuisine, prise en charge des enfants et des personnes âgées, …) étant socialement assignées aux femmes, celles-ci développent finalement ces compétences liées au travail domestique-ménager, et en cas de précarité socioéconomique, ces femmes sont contraintes d’en faire leur « métier ».

Le triptyque : politico-juridique, économique et socioculturelle, a permis de rendre cette triple discrimination plus visible. La privation d’ordre juridique met en avant le manque d’accès aux droits fondamentaux pour les personnes travaillant dans le secteur domestique et informel : pas de contrat de travail ni de protection sociale, des conditions de travails parfois indignes, et l’insuffisance de la loi 19-12 dédiée au travail domestique rémunéré. Ensuite la dévalorisation marchande de ce travail peu...

rémunéré pour sa pénibilité et pour les risques sanitaires qui l’entourent. De plus sa part de contribution au PIB est négligée et sous-estimée, voire totalement reniée. Enfin, une dévalorisation sociale symbolisée par la non-reconnaissance du rôle des travailleurs/travailleuses domestiques à laquelle s’ajoute des stéréotypes péjoratifs, dénigrants voir même humiliants auxquels font face les travailleurs/travailleuses domestiques. C’est ce que nous dégageons à partir des entretiens menés dans le cadre de ce diagnostic exploratoire des formes de travail inacceptable dans le secteur du travail domestique. Un descriptif général du profil social de la plupart des personnes interrogées.

Profils des travailleurs et travailleuses domestiques

De profil de variés, mais le commun des ces personnes est qu’elles n’ont pas le niveau de scolarité très poussé. L’accès aux services de soin médical constitue (ou a constitué à un moment de la vie) une difficulté importante pour elles, et les cartes Ramed dont bénéficient certaines ne leur ont pas été d’une grande utilité selon leurs témoignages. Souvent, c’est grâce à des initiatives de solidarité (famille et proches) qu’ils/elles parviennent à se soigner.

La précarité qui les assaille ne les permet pas de joindre les deux bouts et cela pousse même à l’une des femmes interrogées de révéler s’adonne occasionnellement à la prostitution lorsqu’elle fait face à des dépenses inattendues (enfant malade, rentrée scolaire, …), et double parfois son revenu en atteignant 3000 dhs environ. Et ce cas doit être loin le seul. Globalement mal-logées, ces personnes ont accès au logement, mais souvent, il ne s’agit de logements insalubres, voire même indignes.

Témoignages

Recueil de témoignage de Touria, marocaine, son âge n’est pas précisé dans le rapport ni son profil

Touria : Difficiles, le travail domestique est très fatigant.

  • Parfois, c’est la pénibilité du travail qui est difficile à supporter, et parfois c’est le mauvais comportement des « employeurs/employeuses » qui est mauvais et difficile.
  • Et quand tu lui demandes, « combien allez-vous payer ? », elle répond par, travaille et je te récompenserai bien (nthla  fik). Au final, elle te donne un revenu humiliant qui n’a rien à voir avec le travail accompli.
  • Je n’arrive jamais à 2000 Dhs, en fait c’est possible d’y arriver mais en contrepartie d’une grande fatigue, une fatigue éreintante (ta3ab chaq) et même ton moral est brisé (nfssk katheress). Je gagne entre 1500 Dhs et 1800 Dhs mensuellement prendre mon petit déjeuner chez-moi ou bien je le prends avec moi dans mon sac. Même le sucre et le thé et le pain j’en prends toujours avec moi.
  • J’ai fini par décider de ne travailler que pour des hommes. Les hommes compatissent et m’aident plus, je les trouve mieux que les femmes. Quand une femme n’arrive plus à faire elle-même le travail domestique (chghl) elle me le laisse à moi, comme ça sa maison parait belle et moi je prends pour ma santé ; et je te jure que j’ai vu de mes propres yeux, des hommes qui donne à leur femmes 50 Dhs de plus pour moi et cette dernière la prenne me refusant ce bonus. À plusieurs reprises j’ai vu cela, je les ai entendus de mes propres oreilles.
  • Et concernant le RAMED, j’ai une carte RAMED, mais j’en ai peu bénéficié. J’avais une radiographie à faire une fois, mais je me suis trouvée à faire des « va et viens » pour rien et finalement je me suis faite opérée dans une clinique grâce à des bienfaiteurs (et non pas le RAMED). Dans l’hôpital public on me disait que je n’avais pas besoin de soin, alors que des bienfaiteurs m’ont trouvé un docteur qui après consultation, m’a expliquée qu’il faut faire l’opération en urgence, à Tanger, c’est le docteur « X » qui m’a opérée gratuitement et avec 3 jours de prise en charge totale dans une clinique privée. Alors qu’à l’hôpital public, je suppliais juste pour qu’on me donne des médicaments et on me répondait que je n’ai pas payé les 60 Dhs de cotisation annuelle ; sachant que je renouvelle ma carte annuellement.
  • Harcèlement sexuel, c’est déjà arrivé, mais je ne leur donne pas l’occasion car je suis une mère correcte. Plus dans la rue qu’au travail. Je louais une chambre dans une maison, et comme tu sais, dans ces situations tu ne peux pas savoir qui sera ton voisin. Un homme, dès qu’il me voyait, je te jure, il allongeait l’argent, des billets de 200 Dhs l’une à côté de l’autre sur toute une rangé et il me disait laisse-moi juste te toucher là [l’interviewée montre d’un signe de main le bout de ses pieds] ; je suis arrivée avec lui à un point que je ne peux vous dire, en tout cas j’ai cherché un autre loyer ailleurs. Parfois il me rencontre dans la rue, et il me donne le salut, car il n’a rien reçu de moi.
  • L’humiliation, oui, surtout par exemple, lorsqu’au moment du déjeuner, et souvent, c’est moi-même qui prépare le déjeuner de mes propres mains et le dépose pour leur famille, certains te donnent la nourriture qui reste de la veille, cela arrive très souvent ; mais tous les gens ne font pas ça, et généralement ce sont les gens d’un niveau élevé qui agissent ainsi, les gens dont le niveau est moyen se comportent avec nous de manière plus équitable : tu manges avec eux à table, tu peux parler avec leurs maris et tout ça. Ceux qui ont beaucoup d’argent, considère la femme qui travaille chez eux comme une poubelle, quelque chose qui n’a aucune valeur. Elle peut te dire, prend les lentilles dans le réfrigérateur ou bien elle te donne des restes de bout de pain qu’ont laissé ses enfants. Dans ma maison je peux le faire, mais pourquoi doit-elle m’humilier à cause d’un pain qui ne coute qu’1 Dhs, pourquoi ? [En chuchotant tristement] Là tu sens l’humiliation.

La résignation

Je commence même à oublier tout cela, et il y a des choses que si Allah ne leur pardonne pas, de mon côté je ne les pardonnerai.

 MN

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