Zone de libre-échange continentale africaine : Comptes et mécomptes de l’Accord de Kigali

Zone de libre-échange continentale africaine : Comptes et mécomptes de l’Accord de Kigali

Journée historique hier à Kigali (Rwanda), en marge du sommet extraordinaire des chefs d’Etat de l’UA où 44 pays ont signé de l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) dont son entrée en vigueur est prévue d’ici septembre.

44 pays africains ont signé l’Accord visant à supprimer les barrières douanières pour une intégration économique et commerciale réussie sur le continent.

Il s’agit d’« un accord par lequel nos Etats ont décidé de mettre fin à leur balkanisation et de créer un marché unifié allant d’Alger au Cap, de Praia à Djibouti. » explique le Président nigérien Mahamadou Issoufou qui a coordonné depuis 2016, le processus ayant abouti à cet accord.

Le Nigéria, l’une des locomotives économiques du continent est le seul « ténor » à ne pas approuver sa signature. D’autres pays dotés d’une politique économique protectionniste à l’instar de l’Algérie ont par contre signé. « Nous aurons un autre sommet en Mauritanie en juillet et nous espérons que les pays ayant des réserves signeront alors. », espère Albert Muchanga, commissaire de l'UA chargé du Commerce et de l'Industrie.

Toutefois, il faut noter que les textes juridiques sur les règles et procédures de règlement des différends au sein de la ZLECA ne sont pas encore prêts. Le protocole de l’Accord portant création étant signée, il faudrait un délai de 180 jours (d’ici septembre prochain) pour qu’il entre en vigueur. Le temps de permettre aux pays signataires, de le ratifier dans les textes nationaux.

Pour information, l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale (ZLEC) a changé de dénomination en janvier dernier. Il est rebaptisé Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA).

L’équation nigériane

Le président nigérian Muhammadu Buhari n’a pas fait le plus pour Kigali pour cet événement parce que certains acteurs nigérians ont fait savoir qu'ils n'ont pas été consultés. Ils ont quelques réticences quant aux conditions de ce traité, a indiqué le communiqué relayé par Africa News.

Cette décision est intervenue dans un contexte où plusieurs syndicats du pays ont rejeté l’accord, dont l’une des implications directes résulterait en une plus grande ouverture du marché nigérian, au reste du continent. La décision de suspension devrait donc permettre de « donner plus de temps pour les consultations », selon le texte publié. 

De son côté L’Association des manufacturiers du Nigéria (MAN) a fortement soutenu, mercredi 21 mars 2018, le gouvernement fédéral dans son refus de signer l’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ALE).

Dans un communiqué, les manufacturiers disent désapprouver le contenu de l’accord, notant que cela conduirait à un chômage brut dans le pays.

Le président de l’Association, Frank Jacobs a déclaré que son association ne soutiendrait pas l’adoption et la ratification par le gouvernement fédéral de l’accord portant création de la zone de libre-échange continentale africaine (ALECC) jusqu’à ce que l’accès aux marchés et l’application des règles d’origine soient traités.

Selon l’association, l’attitude du secteur privé est le résultat d’un manque de consultation et d’inclusion des contributions des principales parties prenantes avant la présentation de la position du Nigeria aux réunions du Groupe de travail technique de Union africaine sur la ZLEC.

S’adressant aux journalistes ce mercredi 21 mars, le président de l’Association des manufacturiers, Frank Jacobs, a expliqué que les questions d’accès au marché qui permettent de protéger seulement 10% des produits ainsi que le mécanisme d’application du gouvernement dans le domaine de l’application des règles d’origine doivent être clairement définis avant que les producteurs locaux puissent soutenir l’accord.

Le retrait du Nigeria qui représente l’une des deux plus grandes économies du continent, avec un marché potentiel de plus de 190 millions d’individus, porterait un coup dur au projet, dont la décision de lancement avait été prise depuis 2012.

Rappelons que la ZLEC vise à réunir les 54...

Etats d’Afrique, à travers leurs organisations sous-régionales, afin de réaliser la plus grande intégration commerciale africaine.

… Un géant aux d’argile

Constituée de 190 632 261 habitants, la république fédérale nigériane est le pays le plus peuplé d’Afrique. Son économie et sa structure sont comparable à celle de bien des pays africains qui sont basées sur une main-d'œuvre et des ressources naturelles abondantes. Les fuites de fonds liées à des pratiques financières illicites favorisées entre autres par la corruption et globalement une opacité du système financier mondial y constituent un frein important au développement de ce pays. Et y sont récurent…

Premier pays producteur de pétrole du continent, le Nigéria est classé 36 éme au rang des pays les moins corrompus en Afrique et 148 éme au niveau mondial sur l’indice de perception de la corruption. Pour l’environnement des affaires avec Doing Business, le géant d’Afrique est classé 145 éme mondial, avec une note de 52.03 et très proche de la moyenne régionale (Afrique Sub-Saharienne) qui est de 50.43.

Les contrecoups de la mauvaise gestion des affaires publiques favorisés par beaucoup de crises institutionnelles dans un passé récent et l’instabilité sécuritaire avec la présence de Boko haram dans le nord du pays font que le Nigéria flotte sous le seuil de la pauvreté et de l’insécurité. Son produit intérieur brut (PIB) par habitant le situe dans la moyenne africaine, mais il reste largement en dessous du niveau d'avant l'indépendance. Environ deux tiers de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté absolue (1 $ par jour), contre 43 % en 1985.

L’environnement des affaires et le climat des investissements restent problématiques car le pays qui s’est retrouvé en position de 169 des 190 pays sur l'indice de facilité de faire des affaires de la Banque mondiale cette année. A ce titre Okechukwu Enelamah, ministre de l'Investissement, de l'Industrie et du Commerce, a déclaré que le président Muhammadu Buhari a reconnu la nécessité pour le gouvernement d'attirer les investissements étrangers pour regagner du terrain.

Ambivalence dans le discours du président qui sous pression de ce même secteur privé suspend son adhésion à la Zone de libre échange du continent, à moins qu’il veuille commercer avec ses anciens clients : États-Unis 42 %, Brésil 9,5 %, Inde 9 %, Espagne 7,3 %, France 5,1 %, (2008), ou fournisseurs : Chine 16,1 %, Pays-Bas 11,3 %, États-Unis 9,8 %, Royaume-Uni 6,2 %, France 5,1 %, Allemagne 4,4 %.

L’incompréhensible attitude béninoise

Le Gouvernement du Bénin qui a examiné en Conseil des Ministres, ce mercredi 21 mars, les résultats des travaux devant aboutir, ce même jour à Kigali, à la signature de l’Accord a exprimé sa satisfaction de l’initiative des travaux engagés dans le cadre de l’Union Africaine et renouvelle sa disponibilité à œuvrer pour leur concrétisation.

Toutefois, l’importance de la mise en place de ladite zone appelle que les études préalables soient plus approfondies. En effet, une feuille de route réaliste tenant compte des spécificités de chacune des régions économiques permettrait de mieux éclairer et d’orienter les décideurs nationaux pour l’atteinte des objectifs socio-économiques et politiques pertinents.

Pour rappel, le Bénin est classé 151/190 sur le Doing business en 2018 et est classé 8è pays le plus pauvre au monde dans un classement de la Banque mondiale qui est basé sur les données relatives au Produit intérieur brut (Pib) et au Pib par habitant. Tout un symbole !

Par ailleurs, le Gouvernement du Bénin a engagé des concertations nationales nécessaires notamment avec le Parlement ainsi que les acteurs sociaux et économiques dont il attend l’aboutissement. Chose qu’il a sans doute oublié de faire quand il s’agissait de signer les APE (Accords de Partenariat Economique) avec l’Union Européenne, accord qui éliminait les barrières douanières des produits de l’UE.

Mouhamet Ndiongue

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