Les Marocains à Lisbonne, Sahara en bandoulière et fleur au fusil
- --
- 06 mars 2018 --
- Maroc
Ce mardi 6 mars, le ministre des Affaires étrangères marocain Nasser Bourita, accompagné du représentant permanent du Maroc à l’ONU Omar Hilale, de Hamdi Ould Errachid, président de la région Laâyoune-Sakia El Hamra et de Ynja Khattat, président de la région Dakhla-Oued Eddahab, seront à Lisbonne pour y rencontrer l’Envoyé personnel du SG de l’ONU Horst Köhler. Pourquoi cette rencontre, et quel est le contexte général de cette affaire?
L’ONU et M. Horst Köhler
Une fois sa tournée dans la région achevée, en octobre 2017, M. Köhler avait dit qu’il allait recevoir plus tard les représentants des parties et de leurs voisins, eux-mêmes en quelque sorte parties. Il a donc reçu le chef du Polisario Brahim Ghali à Berlin, et suite à lui, c’était au tour du diplomate algérien en chef Abdelkader Messahel de se rendre à Berlin.
L’ancien président allemand avait dit, au Maroc, qu’il était en « mode écoute ». Fort bien, mais aujourd’hui, ce seront les Marocains qui se placeront sur le même mode, ayant déjà tout dit et tout fait. En effet, la proposition d’autonomie soumise par Rabat en 2007 est toujours d’actualité, aucune autre proposition sérieuse n’étant venue la supplanter. Et Nasser Bourita, dans une initiative aussi audacieuse qu’astucieuse, part à la rencontre avec deux élus du Sahara… des élus dont personne n’a remis en question l’élection, ni le scrutin qui y a conduit. Et c’est en « mode silence » que les Marocains signifient à M. Köhler que « nous avions dit autonomie et régionalisation avancée… et bien voilà, ses représentants sont là ! ».
Mais Rabat va plus loin… Il ne veut pas de discussions autres que politiques (hors des ressources naturelles et des droits de l’Homme), car la diplomatie marocaine dit et redit, répète et souvent tempête que c’est à l’ONU, au Conseil de sécurité, et nulle part ailleurs, que les choses s’arrangeront. Ou pas. Et pour preuve, ils brandissent le discours royal du 6 novembre, où le chef de l’Etat marocain a très explicitement dit qu’ « aucun règlement de l’affaire du Sahara n’est possible en dehors de la souveraineté pleine et entière du Maroc sur son Sahara, et en dehors de l’Initiative d’autonomie, dont la communauté internationale a reconnu le sérieux et la crédibilité ».
Mais le roi n’a pas dit que cela… En effet, il a également martelé, sur un ton détaché, afin que tous comprennent, que « le problème n’est pas tant de trouver une solution à cette affaire, mais plutôt d’arriver à définir le processus à suivre pour y parvenir ». En somme, cela revient à dire que les choses ne peuvent pas démarrer si on ne connaît pas le point d’arrivée, ni ceux qui seront sur la ligne de départ, une fois défini ce même point d’arrivée. Plus clairement, cela signifie que si on doit causer indépendance, autodétermination des peuples et tous ces principes éculés et obsolètes, on ne discutera pas, de même qu’on ne discutera pas plus si les Algériens ne s’installent pas autour de la table… et si possible pour dire des choses cohérentes !
Que font-ils d’incohérent, nos amis Algériens ? Tenter d’impliquer l’Union africaine, avec ses instances, dont le très influent Conseil Paix et Sécurité, présidé par l’Algérien Smaïl Chergui. Mais les Marocains refusent mordicus de voir un autre organisme que l’ONU gérer cette affaire, et cela aussi le roi l’avait dit dans son discours : « (L’ONU est), de fait, la seule instance internationale chargée de superviser le processus de règlement ». L’Union africaine ne saurait donc prendre en main le dossier du Sahara, pas plus que l’Union européenne d’ailleurs. L’ONU, et rien que l’ONU, martèlent les Marocains, car l’UE n’est pas concernée et l’UA risque la division du fait de la politique algérienne.
L’Union africaine
Le Maroc y est entré pour, ce qui n’est un secret pour personne, en bouter le Polisario et son entité juridique dite RASD. Pour cela, il faut le vote des deux tiers des membres de l’UA, soit 36 Etats. Cela devrait se faire, mais pas immédiatement. « Doucement, cocher, je suis pressé », disait Talleyrand à son serviteur. Le Maroc réagit de la même manière. Il va lentement, car il est pressé. Et il sait que l’UA sait aussi que la question du Sahara ne saurait être réglée à Addis Abeba car elle divise, en cela que les Algériens jouent les uns contre les autres
Alors Rabat commence par adhérer à l’UA, sous les vivats, ainsi qu’on l’a vu ce fameux et historique 31 janvier 2017. Puis il prend en charge le très important dossier des migrations, dont il est désigné Leader, alors même que les Algériens sont au bord du crime à l’égard de leurs immigrés subsahariens. Ensuite le royaume s’implique dans les différents conflits continentaux, sur les plans militaire et sécuritaire. Et enfin, il entre assez...
facilement au Conseil Paix et Sécurité, même si 15 Etats se soient abstenus.
En 2020, les Commissaires de l’UA seront changés, et M. Chergui ne devrait pas rempiler à sa fonction. Le Maroc sera alors à la manœuvre, pour présenter un candidat… qui aura de fortes chances d’être élu. En effet, en matière de paix et de sécurité, comme le Conseil paix et sécurité, le Maroc est partout, en opérations de paix ou en opération sécuritaires. Convaincantes et concluantes.
Et ainsi donc, entre la coopération sud-sud, les migrations, le développement durable mutualisé, la sécurité, la diplomatie, l’économie, les finances, la religion… le Maroc entre dans son continent et œuvre à s’y rendre indispensable. Il le deviendra, et alors quand le Maroc embrassera toutes les grandes questions africaines, la présence de la RASD deviendra embarrassante. Et elle devra partir…
Les à-côtés
Cette rencontre entre la diplomatie marocaine et M. Köhler s’inscrit dans un contexte particulier, en l’occurrence celui du dernier arrêt de la Cour de justice de l’UE, qui maintient en validité l’accord de pêche entre Rabat et Bruxelles, mais en en excluant le Sahara. Le Maroc a préféré regarder ailleurs… Et la raison principale est qu’il ne veut pas de crise avec l’Union européenne. Du moins pas dans l’immédiat, du moins pas de manière irrémédiable.
Rabat part du principe que tout est politique. Alors la décision judiciaire ayant été ce qu’elle est aujourd’hui, le Maroc s’est adressé à la Commission, abritant des Etats et agissant selon une logique politique. Il ne faut pas gêner nos alliés européens, et principalement la France, qui dispose d’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, avec la grande Bretagne, cette « perfide Albion » (comme l’appelaient les Français) avec laquelle le Maroc souhaiterait une « Entente cordiale ».
Et cette position de la diplomatie marocaine est immuable. Déjà, en décembre 2016, l’arrêt des juges avait « soudé » les relations entre Rabat et la Commission européenne, les Etats membres s’étant alors montré très constructifs. Il s’agissait alors, et c’est la même logique aujourd’hui, de satisfaire les juges, mais sans créer une situation nouvelle ni établir une distinction territoriale au Maroc entre le Sahara et le reste du royaume. Cela est une ligne rouge…
… Une ligne rouge que le monde doit comprendre, pour plusieurs raisons :
1/ Pour le Maroc, le Sahara est une question existentielle, de principe, de souveraineté et de dignité ;
2/ Pour les Algériens, le dossier du Sahara relève d’une question de politique interne et de psychologie ancienne des gouvernants, qui voient dans le Maroc un Etat adversaire à affaiblir… une logique de guerre froide ;
3/ Le Maroc négocie tout, ou rien. On peut être le gendarme migratoire, avec toute l’élégance affichée par le Maroc dans le traitement des dizaines de milliers de migrants arrivés sur son sol… on peut être le très utile et extrêmement efficace accompagnateur des politiques de sécurité en Europe (les terroristes sont sans doute « made in Morocco », mais ils sont presque toujours identifiés et localisés par les services eux aussi « made in Morocco », en Europe)… On peut être LE hub économique vers un continent prometteur… Mais tout cela entre dans un pack du « à prendre ou à laisser » !
4/ Le Maroc a lancé, et fait aboutir, sa régionalisation élective, et il a également lancé en 2015 un programme de développement de 7 milliards de $ dans le Sahara. En outre, le territoire est ouvert et la population y circule librement. Ce n’est pas le cas en Algérie, à Tindouf, où les dirigeants sont imposés, et les populations désabusées et l’ensemble sclérosé. Considérer les choses autrement et donner encore crédit aux thèses algériennes serait pour l’ONU (et accessoirement l’UE) une politique de deux poids deux mesures, qui conduira Rabat à prendre des mesures.
En clair, et en conclusion, le Maroc est attaché à l’Accord avec l’Europe, mais pas au détriment de son Sahara. Si l’Europe suit sa CJUE, elle et le Maroc perdront leurs avantages liés aux Accords (pêche et agriculture) : le Maroc pourrait y être prêt, mais l’Europe l’est-elle ? Pour l’ONU, le Maroc se met en mode écoute, en attendant le rapport qui sera le fruit de l’écoute de M. Köhler. Rabat dit et redit que le dossier se traite à l’ONU et seulement à l’ONU, mais avec les paramètres précis de l’inclusion des voisins, Algérie surtout, et l’exclusion des autres instances ou organismes internationaux.
Le Maroc est chez lui au Sahara et l’ONU l’y présente comme « puissance administrante ». Fort bien, les choses peuvent continuer ainsi, dans ce statu quo, en attendant, peut-être, que l’Algérie sorte du sien sur les plans politique, économique et social. Et en attendant que l’ONU comprenne que ce conflit doit être solutionné, définitivement, pour et dans le bien de la région, englobant Sahel et Europe.
Aziz Boucetta
Commentaires