Non, ce n’est pas un séisme, juste un remaniement, mais…, par Aziz Boucetta

Non, ce n’est pas un séisme, juste un remaniement, mais…, par Aziz Boucetta

Et ce qui devait immanquablement arriver… arriva ! Depuis plusieurs mois que le roi Mohammed VI tance et multiplie les remontrances, il a fini par agir. Rudement. En limogeant 4 ministres, en rattrapant, blâmant,  4 autres qui ne sont plus en fonction, en promettant  encore plus de fermeté dans les contrôles et de sévérité dans les sanctions. Un coup de tonnerre, incontestablement, mais peut-être pas encore un séisme qui, pour être, devrait prendre la forme d’un tsunami… Dans l’attente, quelques remarques...

Honneur aux "vaincus"

Les ministres limogés ou blâmés ne l’ont pas été pour fraude ou malversation, et encore moins pour détournements ouforfaiture. Ils ont été convaincus de négligence, peut-être même d’incompétence, mais pas de faits relevant du pénal. Ces hommes et femme sont des gens qui ont servi, ou pensé avoir servi leur pays, au sein du gouvernement. Ils ont démérité, ils ont été désavoués.

C’est déjà beaucoup et point trop n’en faut, les cabales que l’on voit déjà fuser ici et là étant alors parfaitement inutiles, certaines même résolument ignominieuses. Rabat n’est pas Rome et l’arène politique nationale ne sont pas les Arènes, où l’on jetait les bannis dans la fosse aux lions.

La forme

Jusque-là, les ministres qui partaient du gouvernement, forcément limogés, n’étaient pas annoncés comme tels. Ils présentaient toujours officiellement leur démission, comme cela avait le cas pour Mohamed Ouzzine, Abdelaadim el Guerrouj ou encore Habib Choubani ou Naïma Benkhaldoune. On savait qu’ils avaient été révoqués, car au Maroc comme très souvent ailleurs, personne ne quitte un gouvernement en sifflant, pas plus que personne n’ose vraiment démissionner…

Cette fois, c’est le Roi qui a décidé de la révocation de ces ministres et du directeur de l’ONEE, Ali Fassi Fihri, brutalement, abruptement.  Dans sa décision, le fonds y est autant que la forme, et surtout la publicité. Et la légitimité.

Le fonds

A bien relire les discours royaux sur la dernière année, on prend la mesure de la colère croissante du roi Mohammed VI. En octobre 2016, il disait aux députés « pourquoi entrez-vous en politique si ce n’est pour servir le peuple ? », puis en juin 2015, il avait très sérieusement secoué des ministres en Conseil du même nom. Le 29 juillet, les choses montent encore d’un cran, avec le fameux « faites votre travail ou éclipsez-vous ! ». Enfin, le 13 octobre dernier, le chef de l’Etat a clairement appelé à un séisme politique, puis à une pause de réflexion. C’est cela le temps royal, il est différent de celui des autres, et le pouvoir royal de coercition est aussi différent… Aussi douloureux, sans être sanglant.

On pourra commenter la décision royale comme on voudra, mais personne ne pourrait occulter le fait qu’elle vient de loin, et qu’elle a été mûrement réfléchie, avant qu’elle ne soit prise dans la sérénité constitutionnelle. Mais si le Roi n’avait pas agi, alors même que l’opinion publique s’impatientait suite au discours du 29 juillet, cela aurait eu le double effet de laisser accroire à une forme d’impunité des responsables et de laisser planer l’idée d’un défaut d’autorité.

Certains récusent la sanction de Hassad, mais il semblerait aujourd’hui que même un ministre de souveraineté, à la tête d’un ministère régalien, doive rendre des comptes, et assumer ses défaillances, bien que cela soit dommage pour le secteur de l’éducation nationale que Hassad avait commencé à secouer d’une manière convaincante, toutes choses étant perfectibles par ailleurs. D’autres demandent le jugement des ministres démis et/ou blâmés, mais pourquoi intenter un procès pénal à des gens qui n’ont rien commis de pénalement répréhensible ? Encore une fois, si le peuple demande du pain et des jeux, qu’il se suffise du pain car ce qui se passe n’est pas un jeu.

Remarquons cependant que rien n’a été dit sur l’avenir des ministres démis, contrairement aux ministres de Benkirane. Hassad pourra donc reprendre du service plus tard.

Les équilibres politiques

Tout le monde aura remarqué que les deux partis qui n’ont pas été touchés sont le RNI et le PJD (l’UC et l’USFP comptant si peu, étant là uniquement pour la politique et l’arithmétique…). Si pour le parti d’Aziz Akhannouch, on peut considérer que les ministres ont fait leur travail et ont très vite pris la mesure du retard apporté à la mis en œuvre du programme comme l’a signalé le rapport de Driss Jettou, pour le PJD, il est assez étonnant qu’Aziz Rabbah et Abdelkader Amara n’aient pas été sanctionnés : Rabbah était en charge de la route express Taza-al Hoceima, qui tardait, et Amara gérait l’énergie, alors même que le patron de l’ONEE était limogé.

Il faut le dire. La décision royale n’est pas exempte de calculs politiques. Oui pour sanctionner des ministres défaillants, mais non à une fragilisation structurelle du gouvernement. Les ministres qui ont sauvé leur tête le savent, et se reconnaîtront… et, sans doute, se reprendront.

Le cas Benkirane

L’ancien chef du gouvernement est-il responsable de la situation et de la négligence de ses ministres ? Certains disent non, puisque...

le Roi ne l’a pas nommé dans son communiqué. D’autres pensent que oui, qu’Abdelilah Benkirane est responsable et coupable du laisser-aller dans la gestion du programme Manarat al Moutawassit.

Le fait est que 8 ministres sont concernés, dont 7 appartenant au gouvernement Benkirane, soit 20% de l’effectif de l’équipe sortante. De plus, qui peut être tenu pour responsable de la non tenue de la Commission centrale de suivi de ce programme interministériel, transversal au gouvernement, dont le chef était Benkirane ? Un programme public de 6,5 milliards de DH est en principe géré par le chef du gouvernement, mais M. Benkirane n’était alors pas en bons termes avec ses ministres, pour raisons électorales et calculs politiciens.

Pourquoi n’a-t-il donc pas fait l’objet de la colère royale, nommément ? Par charité musulmane sans doute, l’homme ayant été, quand même, chef du gouvernement cinq années durant. Et aussi parce qu’un communiqué royal doit se lire dans sa lettre et aussi, et surtout, entre les lignes. Et enfin, parce qu’un cinglant désaveu royal contre Benkirane aurait influé sur les débats en cours actuellement au PJD, et pas forcément dans le sens escompté…

Quid des équilibres politiques et de la majorité gouvernementale ?

Le MP est le parti le plus rudement touché par ces révocations, avec 4 ministres limogés, dont celui qui était pressenti pour prendre la tête de ce parti, en l’occurrence Mohamed Hassad. Mais le MP, de nature (très) conciliante, ne pensera jamais à regimber en quittant la majorité gouvernementale. Mohand Laenser marmonnera deux trois phrases courtes, agitera une rugueuse langue de bois, puis restera dans le rang dont il ne sortira jamais.

Le PPS, en revanche, garderait un peu une partie de son génome communiste rebelle. Nabil Benabdallah, crashé l’année dernière dans un communiqué royal après s’en être pris à Fouad Ali al Himma, s’est remis en selle et a su montrer ses capacités et talents de survivant. Son brutal limogeage du ministère, avec Houssaine Louardi, pourrait le conduire lui et ses camarades à jeter l’éponge et sortir de la majorité gouvernementale, comme le laisse entendre le renvoi de cette question à un imminent Comité central.

Las… le PPS est un poids plume qui ne « pèse »  que 12 députés et donc, même en cas de basculement dans l’opposition, cela n’influerait aucunement sur la majorité d’Elotmani… mais planterait le dernier clou dans le cercueil du parti.

On évoque l’Istiqlal alors, comme possible entrant au sein du gouvernement. Mais la chose est encore prématurée, le vieux parti se remettant à peine de la longue hibernation de la parenthèse Chabat et s’habituant encore à son nouveau chef qui s’habitue lui-même à son nouveau statut, et à ses nouveaux alliés. Et puis, la ficelle serait trop grosse.

Pourquoi ce n’est pas (encore) un séisme ?

Ce qui s’est passé n’est pas un séisme, mais seulement un remaniement en forme de coup de tonnerre. Et c‘est tout. Parler de séisme suite à cette décision royale – spectaculaire malgré tout – serait excessif, car la reddition des comptes ne concerne pas seulement cette dizaine de personnes épinglées.

Et si ce sont 8 ministres qui paient pour leur négligence dans la gestion d’un programme dans une ville, nous pouvons imaginer ce que cela donnera si la reddition des comptes est étendue à toutes les villes du royaume. Cela donnera, à ce moment-là, un séisme. Un vrai.

Le Roi a dit que ce qui s’est produit est la nouvelle approche politique. Que ce n’est qu’un début. Que les contrôles doivent se poursuivre, que la reddition des comptes doit devenir la règle, que les sanctions et les révocations se multiplieront. Revenons sur cette phrase prononcée par le chef de l’Etat ce vendredi 13 octobre devant des parlementaires et des ministres méduses : « Nous appelons à ce que soient associés à ce processus de réflexion l’ensemble des compétences nationales, des acteurs sérieux et des forces vives de la nation. En outre, Nous appelons tout un chacun à faire montre d’objectivité en appelant les choses par leur nom, sans complaisance ni fioriture, et en proposant des solutions innovantes et audacieuses; quitte à s’écarter des méthodes conventionnelles appliquées jusqu’ici, ou même, à provoquer un véritable séisme politique. Nous voulons qu’à l’échelle de la nation, soit observée une escale »…

En clair, le Roi appelle à une sorte de révolution du roi et du peuple revisitée aux conditions de 2017 où le problème, les problèmes, ne viennent pas d’un colon étranger qui a fini par partir, mais de responsables locaux qui devront partir. Pour cela, le chef de l’Etat exhorte les « compétences nationales, des acteurs sérieux et des forces vives de la nation » à agir d’eux-mêmes, réagir entre eux et interagir avec lui. Quelques saines colères et le petit personnel filera droit.

C’est cela qui sera le véritable séisme, un séisme qui aura commencé, espérons-le, par un remaniement aussi énervé que bienvenu d’un gouvernement qui n’aura pas connu un état de grâce avant que certains de ses membres ne subissent les affres de la disgrâce.

 

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