Comment le roi a géré, et gère encore, l’affaire d’al Hoceima

Comment le roi a géré, et gère encore, l’affaire d’al Hoceima

Hier donc, lundi 2 octobre, le roi Mohammed VI a accordé une audience au chef du gouvernement Saadeddine Elotmani, accompagné des deux ministres de l’Intérieur et des Finances Abdelouafi Laftit et Mohammed Boussaïd (photo) ; il y avait également le président de la Cour des comptes Driss Jettou.  Le roi est revenu sur l’affaire d’al Hoceima, et bien évidemment sur le fameux rapport qu’il avait ordonné le 25 juin aux deux ministres de rédiger. Retour sur une intervention progressive, active et surtout institutionnelle du chef de l’Etat dans cette crise qui a, quand même, secoué le pays.

Rappel : Nous sommes le 25 juin, à Casablanca… Les ministres sont là, au grand complet et en grande tenue, pour un Conseil des ministres qui intervient 10 jours après la grande marche de Rabat sur al Hoceima, et à 20 jours de l’autre grande marche, celle du 20 juillet, à al Hoceima. Dans le communiqué suivant le Conseil, il est écrit ceci : « Au début des travaux de ce Conseil, Sa Majesté le Roi a fait part au gouvernement et aux ministres concernés par le programme Al-Hoceima Manarat Al Moutawassit, en particulier, de sa déception, son mécontentement et sa préoccupation au sujet de la non-réalisation dans les délais impartis des projets prévus dans le cadre de ce grand projet de développement dont la signature s’est déroulée sous la présidence effective du Souverain en octobre 2015 à Tétouan. A cet égard, Sa Majesté le Roi a donné Ses Hautes instructions aux ministres de l’Intérieur et des Finances afin que l’inspection générale de l’administration territoriale au ministère de l’intérieur et l’Inspection générale des Finances mènent les enquêtes et les investigations nécessaires sur la non-réalisation des projets programmés, déterminer les responsabilités et soumettre un rapport en la matière dans les plus brefs délais ».

L’histoire de l’implication – officielle – du roi commence là et par là, en ordonnant aux deux ministres Abdelouafi Laftit et Mohamed Boussaïd de mener enquête et de lui en soumettre les conclusions.

Trois semaines passent, et le 20 juillet, les autorités d’al Hoceima interdisent la marche, qui se tient pourtant ici et là. Charges policières, grenades lacrymogènes, des dizaines de blessés dans les camps des policiers et des manifestants. Et un mort, le jeune Imad Attabi, dont le décès fait toujours l’objet d’une enquête du procureur, qui finira bien par rendre ses conclusions un jour.

Le 29 juillet, le roi Mohammed VI prononce un discours très nerveux. Politiques et hauts fonctionnaires de tous les grades en prennent pour leur grade. Abruptement. « Faites votre travail, ou partez ! », leur lance en substance le chef de l’Etat, qui prend le soin et le temps de préciser qu’il a perdu confiance dans une partie d’entre eux.

Et puis plus rien…

Les deux fêtes de l’été (30 juillet et 20/21 août) se passent a minima ; le roi ne dit pas un mot sur al Hoceima dans son discours de la fête de la Jeunesse, et les choses continuent… les ministres consignés durant leurs vacances font leur travail, les hauts fonctionnaires aussi. Ilyas el Omari, président de la Région Tanger-Tetouan-al Hoceima quitte son poste de chef du PAM, « sans que personne ne le lui ait dit », assure-t-il à une presse peu convaincue. En août aussi, plusieurs médias douteux ont titré sur « les noms des ministres qui seront arrêtés sur ordre du roi », « le rapport ordonné par le roi lui a été remis et des décisions terribles seront prises », « voici les décisions royales concernant al Hoceima »…

Mohammed...

VI part en vacances fin août, subit une légère opération sur l’œil, poursuit ses vacances, et revient. Dans l’intervalle, al Hoceima se calme, les esprits aussi, mais l’affaire suit son cours… plus sereinement. Et plus institutionnellement surtout.

Hier donc lundi 2 octobre, trois mois après leur avoir enjoint de lui soumettre un rapport « dans les plus brefs délais », le roi reçoit les deux ministres chargés d’enquêter et de rédiger ce rapport, et l’audience se déroule sous les yeux du chef de l’Exécutif et du Premier président de la Cour des Comptes, laquelle Cour est définie dans la constitution comme ayant pour mission « la protection des principes et valeurs de bonne gouvernance, de transparence et de reddition des comptes de l’Etat et des organismes publics ». Or, le roi, dans son fameux discours du 29 juillet avait dit ceci : « Je mets l’accent sur la nécessité d’une application stricte des dispositions de l’alinéa 2 de l’Article premier de la Constitution, alinéa qui établit une corrélation entre responsabilité et reddition des comptes ». Les choses se précisent : le roi évoque la nécessité de reddition des comptes dans son discours, et un mois après, il implique dans cette affaire la Cour des Comptes, chargée de ladite reddition des comptes.

Les deux ministres Laftit et Boussaïd ont donc soumis au chef de l’Etat « les rapports des inspections ayant conclu au retard, voire à la non exécution de plusieurs composantes de ce programme de développement, excluant par la même tout acte de malversation ou de fraude ». Fort bien, semble leur avoir dit le roi… demandons donc à la Cour des Comptes de s’en assurer et de vérifier tout cela…

On en est là : Driss Jettou a dix jours, donc jusqu’à la veille du très attendu discours d’ouverture parlementaire du parlement par le roi. Le président de la Cour des Comptes aura deux missions : 1/ Vérifier la véracité du rapport du gouvernement qui pourrait être enclin à défendre ses fonctionnaires et à dissimuler des actes douteux et, 2/ Dans le cas où le rapport transmis par les deux ministres serait exact, et qu’il n’y ait pas eu fraude ou malversation, mais seulement retards et non-exécutions, alors la Cour devra identifier les responsabilités et aussi les responsables ayant failli et devant en conséquence rendre des comptes, « y compris ceux qui ne sont plus en poste à l’heure actuelle », précise le communiqu royal du 2 octobre.

L’affaire est donc bien menée, dans la stricte logique institutionnelle et constitutionnelle, sans énervement ni précipitation, et elle arrive à son terme. Le rapport de la Cour des Comptes sera remis dans la semaine qui suit, et le roi prononcera son discours, directement devant la classe politique, dont une partie devra rendre des comptes.

Si on suit toute cette logique, et que la Cour des Comptes confirme les défaillances/incompétences et pas les malversations/fraudes, on peut être certain que des décisions de révocation seront prises dès la fin de la semaine prochaine, peut-être avant le discours si on veut soigner la com, ou juste après si on souhaite laisser du temps au temps. Mais la logique juridique impose ces sanctions, maintenant que les rapports ont été rédigés par le gouvernement et seront confirmés par la Cour des Comptes.

Et cela serait un bon signal adressé aux médias et à l’opinion publique, montrant que même le roi ne licencie ni ne sanctionne sur des coups d’énervement ou sous la pression, mais que les institutions font leur travail, dans le strict respect de la loi.

Aziz Boucetta

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