Le jugement sud-africain contre l’OCP et les contextes national et mondial

Le jugement sud-africain contre l’OCP et les contextes national et mondial

A la guerre comme à la guerre, dit-on, et tous les moyens sont bons, pourrait-on ajouter. Certes, mais encore faut-il qu’ils soient juridiques et cohérents, à défaut d’être logiques et pertinents… Ce qui n’est en effet pas toujours le cas, ainsi que le montre l’affaire du navire NM Cherry Blossom, dont la cargaison de phosphate a été saisie le 1er mai à Port-Elizabeth, et pour laquelle les juges ont demandé un jugement sur le fond. Mais les choses vont au-delà, cette affaire n’étant qu’un résultat, et un début…

A l’origine de cette affaire, le combat mené par le Maroc depuis plus de quarante ans pour recouvrer juridiquement sa souveraineté sur un territoire qui est pourtant le sien, tant sur les plans historique que culturel, juridique que politique.

Brève rétrospective historique de la question du Sahara. Plusieurs étapes ont marqué le dossier du Sahara, que l’on peut décliner ainsi :

1/ De 1975 à 1991, le conflit est armé, la diplomatie gère la guerre et l’économie reste en arrière-plan ;

2/ De 1991 à 2007, le cessez-le-feu est signé, la diplomatie reprend ses droits mais le Maroc reste handicapé par un appareil diplomatique atone, aphone et peu, ou pas, actif ;

3/ De 2007 à 2012, le royaume présente son plan d’autonomie mais, face à la puissance de l’appareil diplomatique algérien, lui-même soutenu par des finances florissantes, ce plan reste confiné au rang de simple proposition ;

4/ Depuis 2012, le chef de l’Etat marocain imprime un changement radical à sa politique internationale, montant aux créneaux avec une nouvelle doctrine diplomatique, fondée sur la sécurité et l’indépendance alimentaires, appuyée par les dizaines de visites effectuées dans le continent par le chef de l’Etat marocain depuis le début des années 2010, des voyages qui l’ont conduit à s’ouvrir sur de nouvelles zones en Afrique, jusque-là ignorées.

Le Maroc, second investisseur sur le continent africain, est donc aujourd’hui reconnu comme une puissance régionale et continentale et depuis quelques années, l’OCP qui a effectué une véritable métamorphose mène une politique africaine menée personnellement par le roi Mohammed VI.

La restructuration de l’OCP

Après plusieurs décennies d’activité « ordinaire », extraction et vente de minerai avec un peu de transformation, le groupe OCP a entamé une restructuration en forme de métamorphose. Cela a commencé avec la nomination en 2006 du président Mostafa Terrab, arrivé dans les lieux avec une vision stratégique planétaire, et cela a fini par une situation financière confortable et une position internationale bien assise, qui permet au géant marocain d’accompagner les politiques publiques agricoles du Maroc  en Afrique.

Pourquoi cette vision ? Le phosphate est en effet la richesse principale du Maroc et la demande mondiale de ce minerai connaît une croissance de l’ordre de 3 à 4 % par an, portée par la poussée démographique dans le monde et, par là-même, par l’augmentation des besoins alimentaires, en quantité et en qualité. C’est depuis cette période également, et plus précisément en 2007, que la problématique de la sécurité alimentaire s’est posée avec une dramatique acuité, puis s’est connectée aux grandes questions de géopolitique mondiale.

Face à ces mutations et aux enjeux qu’elles impliquent, l’OCP a développé un gigantesque programme d’investissements industriels, unique dans l’histoire industrielle marocaine, d’environ 11 milliards d’euros à l’horizon 2020. Ce programme repose sur trois fondements, l’augmentation des capacités d’extraction et de production d’engrais, la transformation de l’appareil productif et du système d’organisation de l’entreprise et, enfin, le déploiement d’une flexibilité accrue aux fluctuations du marché aux fins d’adaptation.

Cela étant, cette restructuration s’est opérée alors même que le monde entier est informé (ou presque) des chiffres de l’Office, dispose d’une connaissance précise sur les réserves nationales, sait en détail les parts des différents sites dans la production et les résultats de l’OCP et… n’en retient que ce qu’il veut. Les Chinois, en, comparaison, se sont montrés bien plus discrets sur leurs performances et leurs réserves. Ils ont eu raison.

Dans une longue et remarquable étude datant de 2012 et intitulée « OCP : anatomie d’une transformation radicale », Pascal Croset affirme que « sur les trois années qui suivront, l’entreprise apportera à son actionnaire, l’État marocain, environ six cents millions d’euros (7,6 milliards de dirhams marocains) de dividendes. Les fonds propres, négatifs d’environ 16 milliards de dirhams en 2006, vont redevenir positifs tout comme l’autofinancement qui, sur la même période, était déficitaire d’un milliard d’euros (10,8 milliards de dirhams marocains), va redevenir largement positif ».

La diplomatie du phosphate

De fait,  les immenses investissements contractés dans plusieurs pays africains par le géant marocain, essentiellement en Ethiopie et au Nigéria, établissent clairement l’offensive du royaume en direction de sa sous-région d’abord, du continent africain ensuite, et plus généralement, vers le monde (Brésil, Golfe, Europe…).

L’OCP est devenu comme entreprise le 2nd producteur mondial d’engrais et le 1er producteur d’engrais phosphatés, face à l’ensemble des entreprises chinoises prises individuellement. Cela implique nécessairement un bouleversement des équilibres traditionnels des marchés et des alliances politiques. La récente arrivée du Maroc en Afrique sur le plan politique ne se fonde plus sur la seule question de la légitimité de la revendication du Sahara, mais répond à une nouvelle doctrine qui se résume dans la formule : « Les affaires d’abord, la politique suivra, et la diplomatie s’imposera ».

Quand l’OCP s’installe dans un pays, il ne construit pas seulement une usine pour produire de l’engrais, mais il bâtit aussi et surtout des écosystèmes économiques intégrés, créant ainsi une relation de partenariat privilégié entre le Maroc et le pays hôte. Le Maroc a saisi cette idée que les Etats, en Afrique et ailleurs, devenant de plus en plus démocratiques, c’est la prospérité qui préside au succès de leurs dirigeants. Les moyens mis en œuvre, la production assurée et la richesse ainsi créée mettent en place des liens entre le royaume et les autres pays.

L’audace diplomatique que montre le pouvoir marocain implique ainsi, forcément, des désagréments pour d’autres puissances qui se pensaient solidement et durablement installées dans les pays ayant été récemment approchés par le Maroc. En effet, la création de valeur dans ces pays d’accueil du Maroc, de l’OCP et de l’ensemble des entreprises tous secteurs confondus, a vocation à fixer les richesses dans leurs pays et donc, conséquemment, de bloquer leurs transferts vers certains pays occidentaux.

Ces derniers apprécient peu, et se défendent donc en agissant, ou en laissant agir… Il est en effet troublant de constater la succession, voire la concomitance,  d’attaques que subit le Maroc depuis quelques années, de l’ONU (la question des droits de l’Homme, sous impulsion US) à l’Union européenne (par Cour de justice interposée), de la remise en question de la qualité du phosphate marocain par Bruxelles aux signes inamicaux adressés par l’ancien secrétaire général de l’ONU et à la tentative consécutive d’intimidation de Rabat à New York…  Et aujourd’hui, al Hoceima et les très troublants rebondissements de cette affaire depuis 9 mois.

Le Maroc est, depuis quelques années, un pays cerné par son adversaire éternel, l’Algérie, qui  l’a isolé de son environnement, soutenue par son puissant quoique lointain allié sud-africain. Tunis, Nouakchott, Bamako et, dans une moindre mesure Tripoli, gravitent dans l’orbite d’Alger, s’éloignant d’autant de celle de Rabat. Et en juin, l’ensemble régional partenaire stratégique du Maroc, en l’occurrence le Golfe, est en crise.

La diplomatie marocaine doit donc se projeter au-delà de sa région et, de fait, elle se montre de plus en plus offensive, voire agressive, car inclusive et globale. D’où la nouvelle stratégie des soutiens de la RASD consistant à enchaîner les saisies de phosphates et multiplier les procès contre les clients de l’OCP et leurs transporteurs, arguant que le phosphate vendu par le Maroc vient de Phosboucraâ, en territoire contesté, dans une entreprise d’exploitation des ressources, préjudiciable aux populations locales.

Phosboucraâ

Jusque-là, Alger – puisque c’est l’Etat algérien qui agit en coulisses – avait attaqué les acheteurs de phosphates ou d’engrais, les accusant publiquement de « contribuer à la spoliation du peuple sahraoui  occupé » bien que, à supposer que ce soit le cas dans une lecture étriquée du droit international, Phosboucraâ ne représente que 1,6% des réserves totales de l’OCP, avec 8 millions de tonnes, et 6% des ventes totales. En  face, le groupe marocain y a lancé un plan de développement et d’investissement de 22 milliards de DH pour la période 2014-2020, après avoir engagé 37,7 milliards de DH dans la région depuis 1976.

La décision de renvoyer l’affaire du navire NM Cherry Blossom  vers un jugement sur le fond part...

donc du principe de l’exploitation déloyale des ressources de Boucraâ par l’OCP, et donc par le Maroc, l’entreprise étant presque totalement propriété de l’Etat marocain. Si l’intention pourrait être considérée comme louable, les visées sont résolument politiques et participent de la guerre menée contre le Maroc, sur tous les plans et à tous les niveaux, excepté le militaire.

Or, au-delà du fond, et en déniant le droit au Maroc d’extraire le minerai de Phosboucraâ et de le vendre, la Cour sud-africaine omet volontairement plusieurs principes de droit, mais aussi et surtout nie les bénéfices apportés par l’OCP à la région de Boucraâ, pourtant longuement énumérés par la défense du groupe marocain : recrutement des employés dans le tissu local (1250 personnes sur un total de 2100), part croissante des Sahraouis dans le top management de Phosboucraâ, construction massive d’infrastructures de toutes natures (logements en propriété, centre de formation, structures médicales, énergie éolienne à 99,8%…) et donc aisément vérifiables sur site, auprès de la Minurso (Mission des Nations Unies au Sahara occidental) ou dans les documents de l’OCP.

Ainsi qu’exprimé dernièrement par le Danemark, l’activité du Maroc au Sahara respecte la légalité internationale et traiter avec Rabat est conforme aux résolutions de l’ONU. Cela signifie clairement que le Maroc, tout en affirmant sa souveraineté sur le Sahara et en attendant que cela lui soit enfin et définitivement reconnu, respecte scrupuleusement les dispositions juridiques internationales en agissant en « bon père de famille », ménageant les ressources et impliquant les populations locales.

La stratégie des saisies

Le 29 avril, le Conseil de sécurité des Nations unies adoptait la résolution 2351, une résolution qui tranche avec les précédentes… Elle est ainsi favorable à une nouvelle approche de la diplomatie internationale pour cette affaire du Sahara, qui a trop duré, parce que telle était la volonté des Grands. Désormais, les deux parties doivent discuter directement, avec comme objectif de mettre en place de nouvelles pistes de sortie de crise.

Les changements intervenus cette dernière année à la tête des Etats-Unis, de la France, de l’ONU, du Polisario, les évolutions européenne et africaine, avec la sortie du Royaume-Uni de l’UE et l’entrée du Maroc à l’UA, et les mutations dans la politique et les enjeux internationaux, ont complètement bouleversé la donne. Aujourd’hui, les priorités à l’échelle de la planète ont évolué : le climat, les migrations  et le terrorisme sont au cœur des préoccupations des puissances mondiales. Et le Maroc, avec son engagement dans la COP22, sa politique migratoire et sa maîtrise de la lutte anti-terroriste, est à la manœuvre.

Il reste cependant que l’insécurité de la région et son instabilité sont principalement dues à l’opacité institutionnelle marquant le territoire du Sahara.

Les adversaires du royaume ont conscience de tout cela, et ils ont semble-t-il décidé de s’adapter à leur tour, face à l’offensive multiforme du royaume. Le Polisario, bousculé par le changement de sa direction et affaibli par les évolutions dans un monde qui a changé de paradigme, a mis au point l’idée des saisies opérées sur les cargaisons de phosphate embarquées par les clients de l’OCP.

L’objectif est multiple :

1/ Semer le trouble dans les esprits des clients de l’OCP, qui seraient alors complices de l’argument de l’exploitation des ressources avancé par le Polisario. Cette stratégie a été mise en échec par ces mêmes clients, désireux de poursuivre leur collaboration avec l’OCP, et qui ont donc commis de grands cabinets internationaux, dont les rapports ont finalement prouvé l’effort d’investissement d’OCP dans la région et les bénéfices engrangés par les populations locales.

2/ Créer une jurisprudence en vue du prochain  examen par la Cour de justice de l’Union européenne des Accords contractés entre Bruxelles et Rabat ; le Maroc deviendrait ainsi Etat colonisateur et le Polisario représentant unique et légitime du peuple sahraoui, celui-ci étant  présenté par la cour sud-africaine comme vivant dans sa grande majorité à l’ouest du mur de sécurité érigé par le Maroc, ce qui est inexact, de la reconnaissance même de l’ONU. Les juges sud-africains apportent également cet argument de la reconnaissance du Polisario par 45 Etats, omettant de préciser que la tendance internationale est au retrait diplomatique de dizaines d’autres nations face à la RASD.

Dans l’intervalle, le Polisario a connu deux très sérieux revers. Le 8 juin, les juges panaméens, qui ont eu à connaître de la même affaire de saisie sur un navire de transport de phosphate que l’Afrique du Sud, se sont déclarés incompétents du fait que la question du Sahara, et de son phosphate, sont traités par les organismes internationaux et que le Polisario n’a pas qualité de s’exprimer pour toute affaire concernant ce territoire. Et en juillet, le Danemark a publiquement déclaré par la voix de son chef de la diplomatie que « l’importation des produits du Sahara est légale et ne remet pas en cause la légalité internationale, les populations du Sahara bénéficiant directement des ressources de leur région ».

3/ Se dresser face à la nouvelle logique onusienne se rapportant aux « différentes formes de l’autodétermination ». L’une d’elles serait d’entériner la logique de l’autonomie sous souveraineté marocaine, laquelle autonomie passerait dans ce cas par le bénéfice des ressources aux populations locales. L’ONU, dans cette approche, exige que l’Etat et ses entreprises participent au développement des territoires contestés (avantages économiques, activité durable et privilège dans l’embauche) ou consultent les populations de ces territoires, alors même que le Polisario et les Algériens remplacent le ou par et, ce qui altère totalement le sens premier de la logique des Nations Unies.

Le hold-up judiciaire sud-africain contre l’ONU

Sans entrer dans les détails juridiques et les attendus judiciaires de la décision de la Cour sud-africaine, il est important de noter que l’argumentaire développé par les juges dans leurs décisions évoque de très près les termes et arguments émotionnels invariablement proposés par le Polisario et Alger. Parmi ceux-ci, le premier attendu du jugement de renvoi sur le fond : « Le territoire du Sahara occidental est réputé être le seul territoire africain encore sujet à un régime colonial ». Au-delà du fait que même les Nations Unies n’ont jamais usé du mot « colonial » pour justifier la présence du Maroc sur le territoire, il convient de noter qu’un tribunal, en Afrique du Sud ou ailleurs, ne retient jamais la « réputation » comme argument juridique.

Mais plus grave encore que le déni du principe de courtoisie internationale qui contraint les tribunaux des Etats à faire déférence judiciaire envers les intérêts d’un Etat souverain, la décision de la justice sud-africaine de renvoyer l’affaire pour jugement sur le fond est un véritable hold-up judiciaire contre la prééminence de l’ONU pour connaître des litiges internationaux.

Plus clairement, si les juges sud-africains jugent en faveur du Polisario et que ce jugement soit versé dans la jurisprudence internationale, quel rôle auraient donc encore les Nations unies sur l’échiquier mondial ? N’importe quel tribunal local qui s’arrogerait une compétence universelle jugerait de n’importe quelle affaire soumise au Conseil de Sécurité.

Le principe de compétence universelle est certes louable dans les affaires de crimes contre l’humanité ou de génocides, mais pas dans des affaires éminemment politiques où les enjeux diplomatiques sont aussi grands que les jeux qui les servent sont complexes. Et ramifiés…

 

En définitive, la lecture des attendus éminemment politiques du jugement sud-africain, conjuguée aux efforts du Polisario et de sa RASD pour décrédibiliser l’œuvre de l’OCP, et donc de son actionnaire l’Etat marocain, au Sahara occidental montre que cette affaire du NM Cherry Blossom s’inscrit davantage dans une lutte de leadership initiée par Alger et soutenue par Pretoria que dans une légitime défense des intérêts des populations locales.

Celles-ci, comme le reconnaissent nombre de cabinets d’audits internationaux indépendants, sont pourtant très largement bénéficiaires de la politique de développement menée par Rabat depuis 40 ans, et relancée par le récent plan de développement de 8 milliards de dollars annoncé en 2015 et dont la moitié est déjà en œuvre.

Cette affaire du NM Cherry Blossom, qui s’est très opportunément produite à la même période que celle du Panama (dont la justice a classé le dossier) indique que de bien rudes moments attendent la diplomatie marocaine en général et l’OCP en particulier. Le Polisario/RASD, par Algérie et Afrique du Sud interposées, n’en restera pas là, ayant montré sa ferme intention de torpiller les efforts de l’ONU, jusqu’en lui confisquant son privilège de connaître des litiges internationaux. Une première dans la diplomatie internationale.

Aziz Boucetta

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