Neila Tazi Abdi : "Les festivals reposent sur des personnes capables de lever du financement"

Neila Tazi Abdi : "Les festivals reposent sur des personnes capables de lever du financement"

Neila Tazi Abdi est la fondatrice, la productrice et la cheville ouvrière du Festival Gnaoua Musiques du Monde, qui fête cette année ses 20 ans. Depuis 1997, de l'eau a coulé sous les ponts et la musique a dansé sous les vents d'Essaouira. Neila Tazi, outre cela, est vice-présidente de la CGEM et de la Chambre de Conseillers, et elle aussi la directrice généale d'A3 Communication. Elle a trouvé quelques minutes (quand même) pour répondre aux questions de Panorapost, et elle nous a expliqué "son" Festival.

 

1. Déjà 20 ans du festival Gnaoua Musiques du Monde, quel est votre sentiment après avoir vu votre bébé devenir progressivement adulte ?

Lorsqu'on se lance dans une telle aventure, on n'imagine pas qu'on puisse un jour célébrer 20 ans d'existence. Et cela encore moins chemin faisant, au fur et à mesure que les choses se corsent. Au Maroc le succès n'est pas suffisamment accompagné. Au contraire, il attise les appétits, même là où ce n'est pas justifié. C'est culturel, cela doit changer, l'écoute doit se renforcer, on gagnerait plus de temps, on irait plus vite !

Pour répondre plus directement  à votre question, je ressens de la fierté, le sentiment d'avoir surmonté le plus dur, d'avoir résisté à tous les obstacles, d'avoir entretenu la flamme , d'avoir parcouru un sacré chemin... mais que celui à parcourir est encore long aussi !

2. Ne pensez vous pas qu’il peut voler de ses propres ailes, indépendamment de ses mères et pères fondateurs ?

Pas encore car nous sommes encore au stade où les festivals reposent sur des personnes capables de lever du financement et de donner du sens au projet dans son contenu culturel. Et c’est précisément ce qui représente l'essentiel de mon travail sur ce projet. Tous  les autres volets sont gérés par des personnes très compétentes et aguerries au sein de mon équipe.

Ceci étant, je suis heureuse de constater que le Festival Gnaoua et Musiques du Monde s'inscrit dans une dynamique de progrès. En effet, et après 19 ans d’existence, nous avons enfin signé une convention de 5 ans avec le conseil municipal, ce qui est un acte fort dans la reconnaissance du projet par la ville et la volonté de l'institutionnaliser.  Les autorités locales  sont de plus en plus mobilisées et cela compte beaucoup dans le climat global dans lequel nous opérons. La région est plus engagée qu'elle ne l'a jamais été.

De nombreux sponsors et partenaires comprennent mieux notre volonté de signer des contrats sur plusieurs années, pour assurer une durabilité au projet, le sécuriser et lui donner de la vision. Car imaginez ce que c'est de recommencer chaque année à chercher des fonds jusqu'à la dernière minute! Difficile de travailler dans ces  conditions. La prise de risque est grande pour faire un travail de qualité. Cela doit changer si on veut que la culture contribue au rayonnement de notre pays et soit un levier de notre émergence économique et sociale au même titre que d'autres secteurs. Un cadre global de travail doit être précisé avec le gouvernement et les différents départements ministériels concernés. 

3. Comment vous apprêtez vous a célébrer la 20ème édition du festival Gnaoua Musiques du Monde ?

En renouant tout d'abord avec nos dates initiales à savoir fin juin, période plus propice pour attirer des festivaliers. Cette année, le festival aura lieu au lendemain du mois sacré de Ramadan. Les Marocains auront donc envie de changer de rythme et de changer d'air.

La programmation musicale promet des concerts de haute facture, entre découverte et nostalgie. Le forum des Droits de l'homme autour de la thématique de la culture à l'ère du digital promet des débats forts intéressants, et enfin beaucoup d'autres activités auront lieu à travers la ville, concerts off, expositions, workshops avec de grands musiciens....C'est une belle fête qui s'annonce! 

4. On dit souvent que c’est le seul festival qui a calculé son impact direct sur sa ville. 1 DH investi au festival rapporte 17 DH à la Ville. Êtes-vous toujours dans la même logique ?

Tout à fait. Nous avons voulu réaliser cette étude pour apporter la démonstration qu'un projet culturel tel que celui là est porteur de valeur ajoutée, créateur d'emplois et de richesses. La culture est depuis trop longtemps le parent pauvre de...

nos politiques publiques, il est temps que cela change, les signes ne sont pas encore là puisque les budgets alloués sont maigres (en deçà de la moyenne recommandée par l'UNESCO).

Beaucoup d'études ont été réalisées, par le CESE (Conseil économique social et environnemental), par l'IRES (Institut de recherche des études stratégiques), etc. Les recommandations sont claires mais la volonté politique ne suit pas. Pourtant la culture englobe tout, au delà du divertissement, du tourisme etc. Elle englobe les systèmes de valeurs et notre rapport à l'autre, ce qui est aujourd'hui plus que jamais au cœur de nos défis. 

5. Pour rester dans le volet financier, quid du budget de cette édition commémorative et du cachet moyen par artiste ?

Notre budget est de quinze millions de dirhams. On peut difficilement  parler de cachet moyen par artiste car il y a des nombres de musiciens différents selon les groupes, parce que les cachets varient selon la notoriété du groupe et que nous avons beaucoup d'artistes.

6. Votre position politique actuelle, en tant que vice présidente de la chambre des conseillers, vous aide-t-elle pour attirer plus de soutien à votre festival ?

C'est une question complexe. Je commencerai par dire que c'est mon engagement tout au long de ces 20 ans dans ce projet passionnant et difficile à la fois qui m'a convaincue de m'engager en politique. Je me suis décidée à y aller avec la ferme volonté de pousser plus loin mon engagement. Je suis élue au nom de la CGEM avec la ferme volonté d'essayer, même modestement, de faire porter la voix du secteur privé et de la PME, mais aussi de changer des choses pour le monde de la culture et de la production artistique de manière générale.

Au parlement je sens une véritable considération de la part des élus et des membres de l'administration pour le travail réalisé avec ce festival et je les remercie. Mon profil suscite peut être de l'intérêt et de la curiosité car je représente à la fois  le patronat et  l'engagement pour un projet culturel très populaire. Mais l'engagement est un état d'esprit que l'on décline dans tout ce que l'on fait dans sa vie du moment qu'on le fait avec conviction et éthique.

Et pour dire les choses clairement, ma position politique n'entraîne pas plus de soutien. Elle attire peut-être plus d'écoute. Sinon, je continue de défendre mes idées partout,même dans cet univers institutionnel où souvent, les relations entre gouvernement, parlement, administration, secteur public  et secteur privé sont encore trop confuses. 

7. C’est pour quand l’inscription du festival sur la liste  de l’UNESCO du Patrimoine immatériel de l’humanité ?

Notre demande à été  formulée il y a près de 5 ans. Nous avons entrepris toutes les démarches nécessaires et le dossier est désormais à l'Unesco dont la commission doit se réunir en décembre à Séoul. Le destin de ce travail repose désormais entre les mains des hauts responsables de notre Ministère de la culture. Il leur revient de défendre ce dossier avec ferveur car les Gnaoua le méritent. Ce serait un formidable aboutissement de 20 ans de travail qui, rappelons-le, est né d'une initiative de la société civile pour devenir ce qu'il est. C'est le rôle du politique de l'accompagner.

8. Qu’en est-il de la politique des festivals de l’Etat et de la fondation lancée par le Roi ?

À ma connaissance, le Ministère de la culture organise 22 festivals et il existe plusieurs autres festivals organisés par des associations, des fondations ou des entreprises.  Il n'y a pas encore de politique des festivals puisqu'il n'existe pas encore d'initiative fédérant l'ensemble des acteurs et les invitant au dialogue et à la concertation. D'après mes souvenirs, la création d'une  fondation des festivals avait été annoncée devant Sa Majesté le Roi mais elle n'a jamais été activée. Pour quelle raison ? Je l'ignore.

Propos recueillis par Aziz Boucetta

 

Edition 2013, Omar Sosa

 

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