Abdelilah Benkirane et l’éternel retour aux affaires, par Aziz Boucetta

Abdelilah Benkirane et l’éternel retour aux affaires, par Aziz Boucetta

Depuis le 15 mars, date du fameux communiqué du palais royal indiquant le remplacement de l’ancien chef du gouvernement M. Abdelilah Benkirane par un autre responsable du PJD, le secrétaire général du PJD souffle le chaud et le froid, alternant les silences et les prises de paroles, dosant les actions et recherchant les interactions. En ligne de mire, un troisième mandat à la tête de son mandat…

PJD en crise

Les gens du PJD ne le reconnaîtront jamais, mais leur parti est en crise, et l’origine de cette crise est celui-là même qui a fait la force de la formation, en l’occurrence M. Abdelilah Benkirane. Depuis le jour où il a été démis de ses fonctions de chef du gouvernement désigné, le secrétaire général du PJD ne décolère pas et se tâte... L’homme se voit un avenir national, et pour atteindre son objectif, il distille ses sorties et prépare soigneusement sa rentrée.

Dans l’intervalle, le PJD est en suspens. Plus de réunions du Secrétariat général, plus de déclarations, et aucun signe à l’horizon d’un congrès, au risque de se mettre en porte-à-faux de la loi sur les partis. Pourquoi la situation en est arrivée là ? « Benkirane n’a pas apprécié sa révocation, pas plus qu’il n’a accepté la formation du gouvernement El Otmani dans les conditions qu’on sait… Il est comme ça, Benkirane, il est capable de tout arrêter », nous explique un dirigeant de la mouvance islamiste au Maroc.

Et de fait, tout est arrêté. Et le parti est en marge de la loi. En effet, en son article 49, la loi 29-11 sur le fonctionnement des partis politiques stipule que « tout parti politique doit réunir son congrès national au moins une fois tous les quatre ans ». Or, le dernier congrès général du PJD s’est réuni en juillet 2012, et en mai 2016, un congrès extraordinaire avait été convoqué pour reporter le congrès ordinaire d’une année. La raison officielle, évidente et justifiée était alors de maintenir M. Abdelilah Benkirane comme secrétaire général afin qu’il puisse conduire la campagne électorale législative de sa formation.

Les choses s’étant déroulées comme on le sait, le PJD se trouve donc actuellement en situation d’illégalité, puisque l’année de report du congrès ordinaire par le congrès extraordinaire de 2016 est terminée, et que rien n’indique l’organisation d’un congrès dans les prochaines semaines, voire mois.

Mode d’élection du secrétaire général

Aujourd’hui, le parti est en marge de la loi, mais aussi de sa propre réglementation, du fait essentiellement de la question qui revient sur toutes les lèvres : M. Benkirane aura-t-il droit à un 3ème mandat de secrétaire général ou non ? L’article 16 des statuts du PJD précise qu’un secrétaire général ne peut être réélu qu’une fois, et que donc il ne peut rester en fonction que durant deux mandats successifs de 4 ans chacun, soit 8 au maximum. M. Abdelilah Benkirane dirige le parti depuis sa première élection, en 2008. Il ne peut donc briguer un 3ème mandat en 2017.

En effet, il faut savoir qu’au sein du PJD (et de ses organisations parallèles), nul ne peut se porter candidat. C’est un système d’adoubement qui est en place. Selon une procédure arrêtée par la commission préparatoire du congrès, les membres indiquent  5 noms de candidats possibles à la fonction de secrétaire général. Les trois premiers sont retenus, et en cas d’accord des intéressés, le vote se poursuit, dans une sorte de primaire venant du bas. Est donc élue une personnalité qui ne s’est pas portée candidate. Mais qu’en sera-t-il si le nom de M. Benkirane est plébiscité, même si lui ne se porte pas candidat?, et toute l’astuce est là…

Les manœuvres en coulisses

« Le congrès est souverain, il peut décider ce qu’il souhaite, et il peut souhaiter de changer les statuts et de permettre éventuellement...

un 3ème mandat à Abdelilah Benkirane », nous confie sous couvert d’anonymat une source au sein du secrétariat général du PJD, proche du secrétaire général. La même source ajoute que « le Dr Saadeddine El Otmani, en sa qualité de président du Conseil national, refuse de réunir l’instance, malgré l’insistance de plus de la majorité de ses membres ».

Or, le vice-président du Conseil national est M. Abdelali Hamieddine, l’un des « frondeurs » au sein du parti, allié objectif de Mme Amina Maelainine dans la bronca menée contre M. El Otmani et son gouvernement. Les deux soutiennent M. Abdelilah Benkirane, bien plus en raison de leur opposition au Dr El Otmani qui ne les a pris dans son gouvernement que par véritable soutien idéologique et/ou politique à Benkirane. Ils sont les plus audibles, les plus véhéments à dénoncer le chef du gouvernement actuel. Qui laisse faire, et laisse surtout fuiter vers les médias…

Interrogé sur la question, M. Najib Boulif avait affirmé en février 2017 – M. Benkirane était encore chef du gouvernement désigné – que la question du 3ème mandat n’était pas envisagée, mais « si elle devait vraiment l’être, ce serait aux instances concernées de prendre la décision ». L’affaire n’est donc pas tranchée.

Concernant la Jeunesse du PJD, dirigée par M. Khalid Bouqarîi, elle rejette massivement le gouvernement de M. El Otmani et appelle ouvertement au maintien de M. Benkirane à la tête du parti, lequel Abdelilah Benkirane, tout en ayant suspendu les activités organisationnelles du parti, répond régulièrement aux convocations de  ses jeunes et leur réserve ses grandes et « petites phrases », qu’il a le don de savoir distiller ici et là.

Et s’il y avait 3ème mandat ?

« Le chef du gouvernement doit de préférence être également secrétaire général du parti, pour la coordination des actions et des positions ». Ces mots ont été prononcés par… M. Abdelilah Benkirane, en 2012, en marge du dernier congrès ordinaire du PJD, et en 2016 aussi.

Dans cette logique, il reviendrait à M. Saadeddine El Otmani d’occuper le fauteuil de patron du parti, « pour la coordination des actions et des positions ». L’actuel chef du gouvernement a déjà assuré la fonction de secrétaire général du PJD, entre 2004 et 2008.

Si tel n’est pas le cas, et que par un tour de passe-passe juridico-politique, M. Abdelilah Benkirane se maintient au poste de secrétaire général du parti, cela enverrait bien des mauvais messages :

1/ Au parti, qui sera désormais celui de M. Benkirane  bien plus qu’il ne serait celui de ses militants. M. Benkirane aura alors imposé cette idée que sans lui le PJD ne serait rien, et le parti serait relégué au rang des formations aux directions éternelles, aux zaïmats inamovibles. Et ce faisant, M. Benkirane serait en contradiction avec lui-même et se placerait en dehors de la légalité morale.

2/ Au gouvernement, car alors l’ancien chef du gouvernement, qui a très mal pris son éviction, fera tout pour compliquer la tâche de M. El Otmani, comme il le fait déjà, sous des dehors amènes. Le Maroc vivra donc cette situation inédite où le parti du chef du gouvernement sera celui qui conduira l’opposition la plus virulente, et aussi la plus insidieuse.

3/ Aux partis de l’alliance gouvernementale qui ont commencé à travailler avec le Dr Saadeddine El Otmani, avançant autant que les moyens à leur disposition le leur permettent. Avec M. Benkirane il y avait de la défiance, et avec M. El Otmani, la confiance a repris des couleurs. Si M. Benkirane rempile à la tête du PJD, c’est la méfiance qui reviendra.

Qu’on l’apprécie ou non, M. Abdelilah Benkirane est un homme qui aura marqué une phase de l’Histoire du royaume. Mais un homme politique ne devient un homme d’Etat que quand il réussit son action quand il est aux affaires, et que quand et surtout il réussit sa sortie une fois qu’il n’est plus en situation. Sera-ce le cas de M. Benkirane ?

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