Que peut faire le PJD, suite au départ de Benkirane ?

Que peut faire le PJD, suite au départ de Benkirane ?

Plus de cinq mois après les élections du 7 octobre et de l’audience royale accordée à Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement sortant, pour le reconduire dans ses fonctions et le charger de former un nouveau gouvernement, et face à l’impasse constatée, le roi Mohammed VI a fait paraître un communiqué annonçant sa décision de choisir un autre chef du gouvernement. Le PJD se réunit en Conseil national ce samedi 18 mars. Que peut-il décider ?

Le communiqué royal

Contrairement à la tradition mais conformément à une habitude récemment ancrée au palais, le communiqué royal annonçant le départ d’Abdelilah Benkirane et la décision du roi de désigner un autre à sa place est explicatif. Longuement explicatif et didactique. Le roi revient et insiste sur son attachement à l’esprit du droit et à la lettre de la constitution : la très rapide nomination de Benkirane, le 10 octobre, la préoccupation du chef de l’Etat de voir un gouvernement promptement formé et ses multiples interventions à cette fin auprès de Benkirane, la mention de l’existence d’autres lectures et options possibles de la constitution, l’évocation  explicite de l’article 42 et le recours maintenu à l’article 47 de la Loi fondamentale. (Lire ici la constitution)

Que dit le roi, en substance ? Qu’il reste attaché à la lecture littérale de la constitution, en choisissant de désigner une autre personnalité au sein du PJD à la fonction de chef du gouvernement. En clair, cela signifie que puisque Benkirane a échoué à convaincre ses éventuels partenaires politiques, ce sera à un autre de le faire, mais toujours au PJD, parti arrivé premier aux élections et constitutionnellement appelé à diriger le gouvernement.

Selon le politologue Mustapha Sehimi, « la contrainte de l’article 47 est une arme à cartouche unique ; si l’objectif n’est pas atteint, le chef de l’Etat peut passer à l’article 42, qui fait de lui le garant du bon fonctionnement des institutions et lui donne la possibilité de choisir d’autres options, dans le cadre de l’esprit de la constitution, et non plus de sa lettre ». Or, Mohammed VI a décidé, mercredi 15 mars, de retenter l’usage de l’article 47 en maintenant la présidence du gouvernement au PJD.

Les réactions au communiqué royal

Plusieurs voix se sont élevées suite à la publication du communiqué. Certains contestent la décision, d’autres constatent une régression démocratique, d’autres encore ont fait le deuil de la transition démocratique, et d’autres, enfin, plus audacieux, regrettent et dénoncent même la révocation brutale de Benkirane. Mais, à observer les choses sereinement, juridiquement, techniquement et fonctionnellement, on ne peut que prendre acte et admettre la situation d’immobilisme actuelle. Sans perspective aucune de la dépasser.

On peut imputer certes ce blocage à Aziz Akhannouch, qui insiste pour l’adhésion de l’USFP au gouvernement, chose catégoriquement refusée par Benkirane. Mais, in fine, la responsabilité ne peut incomber qu’à Benkirane qui tient au RNI dans son gouvernement, mais refuse ses conditions. C’est peut-être une lapalissade, mais elle gagne à être rappelée : un chef du gouvernement est un responsable, et un responsable doit assumer ses responsabilités.

Et donc, en définitive, on doit lire ce communiqué royal de la manière suivante : La constitution a été respectée, et la « méthodologie démocratique » aussi, qui veut que ce soit le chef du parti arrivé premier qui dirige le gouvernement. C’est cela l’esprit de la constitution, en son article 47. Mais le Maroc ne peut continuer ainsi, sans gouvernement. Alors puisque le respect de l’esprit de la constitution n’a rien donné en cinq mois, on passe à sa lecture littérale, en restant dans le cadre de cet article 47. Ce sera donc à un autre dirigeant du PJD de prendre la relève de Benkirane et de reprendre les négociations avec les éventuels partenaires politiques.

La posture du PJD

Après plusieurs heures de mutisme, les membres du  secrétariat général du PJD, stupéfaits, voire assomés par la décision qu’ils n’attendaient pas, se sont réunis et ont publié un communiqué où ils se félicitent des mots avenants du roi pour son ex-chef du gouvernement. Le PJD précise néanmoins qu’Abdelilah Benkirane n’est aucunement responsable du blocage, dû selon eux aux conditions léonines de certaines formations politiques, en allusion au RNI et au MP.

Puis les dirigeants du PJD adoptent un ton légèrement comminatoire, en annonçant dans leur...

communiqué que les mêmes causes produiront les mêmes effets, expliquant que puisque « le chef du gouvernement sortant a fait montre de la nécessaire souplesse, dans le cadre de la logique constitutionnelle, de la désignation royale et du mandat populaire, il n’endosse aucune responsabilité dans l’échec des négociations, dû aux conditions successive émises par les autres partis ».

Le communiqué du PJD considère donc que « le gouvernement – si gouvernement il y a – ne saurait être formé si ces conditions sont maintenues, quel que soit l’identité du futur chef du gouvernement. Les concertations à venir doivent tenir compte des dispositions constitutionnelles, du choix démocratique et de la volonté populaire ».

En clair, le PJD accepte la décision royale mais cadre très étroitement celui qui sera choisi pour remplacer Benkirane. Le futur chef du gouvernement désigné aura certes  la confiance du chef de l’Etat, mais devra rendre compte à son parti. Pas de blanc seing pour lui, donc.

Le PJD a bien compris qu’il ne peut refuser la décision royale, en choisissant par exemple de basculer dans l’opposition. En plus d'un désastreux message adressé à l'opinion publique nationale et aux observateurs étrangers, et en plus aussi d’un bras de fer avec le palais royal, le PJD verserait ainsi dans l’inconstitutionnalité puisque le roi, dans son communiqué, a scrupuleusement respecté la constitution. Après avoir longtemps proclamé leur victoire et leur force, Benkirane et ses amis se sont finalement rendus à l’évidence : leur score électoral de 1,6 million d’électeurs, bien que les plaçant premiers, reste insuffisant pour leur assurer la domination qu’ils souhaitent sur la scène politique nationale. C’est rude, mais c’est ainsi. La logique arithmétique qu’ils ont invoquée depuis le 8 octobre ne peut résister à la force de la loi et à la réalité des faits.

Et les faits sont que refuser la décision de Mohammed VI serait clairement anticonstitutionnel et placerait le PJD en dehors du cadre légal, ce qui irait à l’encontre de sa stratégie de normalisation. Les faits consistent aussi pour le PJD à accepter le choix royal du successeur de Benkirane, quel qu’il soit, en ce sens que cela entre dans le cadre des fonctions régaliennes du chef de l’Etat.

Le conseil national du PJD

Il servira, avant tout, à la posture. « Le secrétariat général du PJD convoque une session extraordinaire du conseil national pour examiner les dernières évolutions et prendre la décision adéquate », conclut le communiqué, ajoutant toutefois que « le secrétariat général affirme que le parti restera toujours fidèle à l’intérêt national, veillera encore au choix démocratique, et privilégiera la logique du consensus, dans le respect et la sauvegarde des fondamentaux du pays ».

Ainsi, que le roi nomme un chef du gouvernement avant ou après le conseil national, les membres de ce dernier ne pourront que l’accepter, et on remarquera que nulle part, dans le communiqué, il n’est fait allusion à l’éventuelle proposition d’un nom au roi. Cela ne se fait pas et ne s’est jamais fait, tant au regard de la coutume politique marocaine que sur le plan de la constitution.

Ben Arafa, le « sultan » renégat

Aussi, évoquer Ben Arafa (le sultan placé sur le trône par les Français, après l’exil de Mohammed V en 1953) pour désigner celui qui acceptera de remplacer Benkirane ne saurait être mis que sur le compte de la stupeur et de la désillusion nées de la décision du roi de ce mercredi 15 mars.

C’est le ministre de la Justice sortant et candidat pressenti à la succession de Benkirane, Mustapha Ramid, qui avait évoqué le nom du « sultan » renégat de 1953. C’était lors d’un entretien en janvier dernier avec le site alaoual.com : « Benkirane est le chef du gouvernement désigné, et ses décisions sont adoptées et entérinées par le secrétariat général du parti. Il n’y a pas de solution alternative à Benkirane, et si je puis oser cette comparaison, je ne serai pas le Ben Arafa du PJD ».

Depuis mercredi 15 mars, cette expression est revenue en force, les internautes et certains médias se demandant « qui sera le Ben Arafa  du PJD ?». Une interrogation outrageante car si le successeur désigné de Benkirane est un  « Ben Arafa », il ne faut pas oublier que ce dernier a été illégalement placé en situation par le colonisateur…

Aziz Boucetta

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