On ne sort pas de « Kandahar » comme on y est entré, par Noureddine Miftah

On ne sort pas de « Kandahar » comme on y est entré, par Noureddine Miftah

L’opinion publique marocaine apprend parfois des informations de prime importance d’une manière tout à fait fortuite, comme cela a encore été le cas dernièrement avec l’annonce du retrait unilatéral du Maroc de la zone de Guergarate. Les explications officielles se sont contentées d’indiquer que le royaume a obtempéré à l’injonction du secrétaire général des Nations-Unies M. Antonio Guterres.

Fort bien. Mais alors posons la question directement : Est-ce parce qu’il s’agit de notre affaire nationale que nous devons fatalement apprendre les décisions prises, puis nous atteler à en analyser les aspects uniquement positifs ? N’avons-nous pas la possibilité de nous interroger, en tant que détenteurs non institutionnels du droit à demander des comptes, pour éclairer l’opinion publique ? J’estime que la logique démocratique requiert cela en effet… Et de cette question découle une autre : Pourquoi donc sommes-nous initialement entrés dans cette zone  de Guergarate en août dernier ? Et pourquoi sommes-nous entrés en désaccord avec notre voisine la Mauritanie et aussi avec l’ancien secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon au sujet de cette zone tampon ?

Ce sont là des questions pour décortiquer les choses et non pour critiquer les actes, et c’est pour cela que la communication dans cette affaire, comme dans d’autres, serait la bienvenue. Il faut admettre que nous ne comprenons un acte politique chez nous qu’en le reliant à d’autres, mais cela est réservé aux connaisseurs en matière de stratégie, car les autres ne sauraient déchiffrer les tenants et les aboutissants de la décision de s’activer ici, sur un échiquier brûlant, et de se retirer de là. Et de fait, toute réflexion d’analystes ou de commentateurs ne saurait être que de la spéculation ou de la supputation, mais en aucun cas de l’information.

Remarquons par ailleurs que pour l’événement le plus important qu’ait connu ce règne, en l’occurrence l’adhésion du Maroc à l’Union africaine, personne ne s’est donné la peine d’inviter la presse nationale à couvrir cet instant historique. Je ne parle pas d’une présence sur convocation, en dépit du fait que c’est ainsi que procèdent les autres Etats ; les journalistes voyagent, par exemple, dans Air Force One du président US, et cela se fait de la même manière pour le Liban, la Russie ou l’Egypte. Non, quand je dis cela, je pense à la disposition des informations sur un événement donné. Ainsi, pour l’Union africaine, même les journalistes qui ont fait le déplacement à Addis Abeba à leurs frais se sont contentés de prendre des photos pour immortaliser les scènes auxquelles ils ont assisté. C’est heureux pour leurs albums personnels, mais pas pour l’information, la vraie, qui n’était procurée que par « Jeune Afrique ». C’est cet hebdomadaire qui nous a informés de qui a dit quoi durant ces heures fatidiques où le chef de l’Etat marocain attendait dans ses appartements l’issue de la réunion du Sommet des chefs d’Etat africains, qui s’est tenu sous les attaques des adversaires du royaume…

Oh certes, la fin justifie les moyens, dit-on, mais il faut dire et affirmer que le décalage entre les avancées historiques du royaume et le traitement réservé aux médias ne saurait continuer ainsi. Car, en toute simplicité, les gens ne s’abreuvent pas que de politique et d’économie mais aussi d’informations, de culture et de débats publics, commençant par l’accès à l’info en temps réel.

Ainsi, en quoi cela aurait-il été si gênant et/ou si difficile d’organiser un déplacement des médias marocains à Guergarate, alors même que cette affaire dure depuis plus de 6 mois maintenant et que la plus grande partie de l’opinion publique ne sait même pas de quoi il s’agit, ni où se trouve cette bourgade ?

Voici quelques années seulement, quand nous nous plaignions de l’extrême rareté de la communication des plus hauts décideurs du pays avec les médias, nous bénéficions tout de même de rencontres « en off ». Des conseillers royaux, des ministres de souveraineté et des sécuritaires avaient alors des apartés avec les médias afin de fournir aux analystes et éditorialistes des éléments de compréhension pour écrire sur les grandes affaires du royaume. Aujourd’hui, nous sommes privés même de ces petites confidences… de temps à autre, quelque communiqué indigent et mystérieux, sur lequel se jettent avidement les commentateurs pour emplir les vides et les blancs de leurs  périodiques ou de leurs sites.

Ce qui précède est une petite, mais longue, parenthèse que nous refermons, dans l’espoir de ne pas avoir à la rouvrir dans les jours, les semaines et les mois qui viennent, et nous la refermons pour nous essayer...

à analyser, donc, le retrait unilatéral du Maroc de la zone tampon de Guergarate. Mais avant d’en sortir, pourquoi donc y sommes-nous entrés à l’origine ?

A mon sens, si je puis oser, l’intervention était justifiée par le simple fait de la dénomination de cette région en Kandahar, synonyme de chaos et de désordre. Guergarate est le point frontière de l’extrême-sud du Maroc, et elle est située dans la bande la plus étroite de la zone tampon au Sahara, comprenant Bir Lahlou au nord est des provinces sahariennes, Tifariti, Mhirès, Mijeq, Agounit ou encore Zough, autant de localités attenantes à la Mauritanie.

Guergarate a été rebaptisée en Kandahar à force d’être fréquentée et parcourue par les trafiquants divers, essentiellement ceux qui exercent la contrebande de voitures ou le trafic de stupéfiants, sans préjudice pour les marchands d’armes. C’est pour cette raison que le Maroc a décidé de quitter ses cantonnements au sud pour s’inviter dans cette zone et la nettoyer de ces trafics. Rabat a aussi entrepris d’asphalter une des nombreuses routes pour faire un peu de clarté sur les activités régnant là-bas, ce qui a autant surpris qu’irrité Algérie et Polisario. L’affaire a été dénoncée aux Nations Unies et le Polisario a amené des éléments armés dans la région. Les choses ont continué ainsi, dans une tension palpable, qui a culminé ces dernières semaines.

Et tout cela était bien naturel… encore une fois à mon sens car je ne dispose d’aucune information privilégiée. En effet, la tension avec la Mauritanie a baissé d’un cran, le Maroc a fait un retour triomphal dans les instances panafricaines, le roi a visité près d’une quarantaine de pays du continent, dont une grande partie était jusqu’à il y a peu rangée dans le camp algérien… et face à cela, et conséquemment aussi, le Polisario a décidé d’adopter une démarche insensée, en l’occurrence entreprendre le contrôle du mouvement  des camions qui transitent dans la zone et leur imposer d’enlever le drapeau et/ou la carte du Maroc. La tension a alors fortement augmenté, avec une centaine de mètres  seulement séparant l’armée royale et les troupes séparatistes.

Que fallait-il faire donc ? Toutes les options étaient possibles, surtout quand on sait que le rapport de forces entre les deux camps est on ne peut plus asymétrique et que le Maroc aurait pu rétablir les choses à leur endroit en quelques heures seulement. Mais quel est l’objectif ?

Revenons au début de cette affaire, au mois d’août, et réfléchissons. L’objectif n’était pas le Polisario, mais la lutte contre la contrebande qui prospérait dans les lieux. Ce but a été atteint. Si à l’inverse, l’objectif du royaume était dans l’espace entre le mur de sécurité et la frontière mauritanienne, Rabat ne se serait pas dérangé pour ces quelques arpents de Guergarate, délaissant le cinquième des terres marocaines qu’Hassan II avait laissées à l’est du mur, quand il en avait décidé la construction sur 2.700 kilomètres et qu’il avait laissé le Polisario s’y installer et déclarer les bourgades précitées villes libérées.

Le Maroc donc, en toute logique, qui n’a jamais violé le cessez-le-feu pour ces centaines de kilomètres carrés, n’aurait pas déclenché les hostilités pour le lopin de terre de Guergarate. Mais cette localité a ceci d’important, de crucial, qu’elle est le seul point de passage terrestre reliant l’Europe à l’Afrique via le Maroc. Un passage par où transitent quelques soixante camions par jour, et qui revêt donc une importance autre que celle de zones désertiques.

Et c’est pour ces raisons que j’estime que le retrait unilatéral du royaume de Guergarate est plutôt tactique, en ce sens que Rabat indique que son armée revient à ses positions de cessez-le-feu telles qu’admises par la communauté internationale. Et ce retrait signifie également que si les choses reprennent comme avant, avec les trafics et la contrebande, le Maroc interviendra, et cette fois cela sera justifié. La décision marocaine est aussi à considérer comme un geste d’amitié à l’égard du nouveau secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres et une page tournée du différend avec l’ONU du temps de Ban Ki-moon. Et, enfin, le retrait est un cadeau d’entrée offert au Commissaire de l’Union africaine pour la paix et la sécurité, l’Algérien Smaïl Chergui, afin qu’il puisse constater par lui-même ce que sont et où sont les troupes du Polisario dans une zone démilitarisée de l’ONU !

Plusieurs explications donc à la position du Maroc, mais la réalité est connue des seuls décideurs, dont la pleine latitude pour la décision n’a d’égale que notre entière aptitude à la précaution.

Al Ayyam (traduction de PanoraPost)

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